Festivals

Festival d’Annecy 2019, jour 3 – Une chienne roumaine, un oncle portugais et de beaux projets.

par Nicolas Thys

Le beau temps revenu, ainsi que le paysage habituel de festivaliers en terrasse et au bord du lac. Nous avons ainsi pu commencer la journée par une session sans réservation et réussir à entrer, ce qui semble de plus en plus compliqué. Et donc, pour la première fois au festival d’Annecy nous avons trouvé le temps de nous rendre au MIFA et écouter les pitchs de 6 projets de courts métrages. L’exercice est aussi simple à expliquer que difficile à pratiquer : les auteurs sélectionnés ont 10 minutes, montre en main, pour présenter leur idée de film. Certains sont accompagnés de leur producteur, d’autres n’en ont pas encore mais tous cherchent des soutiens artistiques, logistiques ou financiers.

Conclusion : ils s’en sont tous bien tirés, mais les projets étant sérieux et prenants, il en aurait difficilement été autrement. On a pu ainsi pu voir les premiers essais de Clémence Bouchereau qui fera son film sur écran d’épingles. Il s’agit d’une expérience sensorielle autour de la féminité entre la petite enfance et la puberté sur une île isolée. Antoine Presle proposait un documentaire animé sur un abus sexuel sur mineurs à travers le témoignages d’une victime au point de vue surprenant. Après Limbo, Limbo travel et une réadaptation moderno-hongroise de Candide, Zsuzsanna Kreif revient avec une histoire de dinos aussi folle que drôle (et en plus elle a cité Les Mondes engloutis, elle a tout d’une grande !). Daniel Gray soumettait une idée de film assez métaphorique autour du mal du pays à travers une partie de cache-cache qui n’en finit pas.

Nous nous attarderons davantage sur les deux derniers projets, que nous avons pu suivre d’un peu plus près car passés par la résidence d’écriture de l’abbaye de Fontevraud. En compétition TV cette année, Camille Authouart est venue parler de La Grande arche, un projet issu de longues contemplations du quartier mal aimé de La Défense, à la périphérie de Paris, et de carnets de notes et de dessins réalisés lors de ses observations. Là, différents rythmes se superposent et, au grouillement quotidien de milliers d’anonymes et de travailleurs en costume, répond l’éternelle immobilité de tours de verre et d’œuvres d’art en plein air ; et, notamment une immense araignée rouge signée Calder que la réalisatrice va mettre en scène. A une atmosphère réaliste le jour, dont le fil conducteur pourrait être les allers et venus d’un SDF, devrait répondre le fantastique de la nuit. Son film, produit par Miyu, se présente comme une fable poétique et sociale et les éléments qu’elle a montrés achèvent de convaincre de l’importance du projet.

 

Camille Authouart - La Grande arche

Camille Authouart - La Grande arche

Camille Authouart - La Grande arche

L’écriture du dernier projet, Plus douce est la nuit de Fabienne Wagenaar, n’est pas encore achevée mais ce qu’on a vu et entendu laisse augurer du meilleur. Comme Authouart, elle est passée par En sortant de l’école mais son nouveau film sera à destination d’un public plus adulte. Au cours des années 1950, dans une ville portuaire d’Afrique de l’Ouest, la même que dans Cobra Verde de Werner Herzog, un missionnaire disparaît alors que l’indépendance du pays est proclamée. Un officier part à sa recherche et se retrouve confronté aux occidentaux obligés de repartir chez eux, à la mutation d’un pays ainsi qu’à une morale trop prégnante aux conséquences néfastes. La réalisatrice décrit son court comme réaliste, onirique et fantastique et il devrait mêler aventure, amour, enquête et réflexion historique, le tout en peinture animée. Si elle précise que son film ne sera pas bavard, laissant l’animation faire son travail, la musique aura une grande importance, faisant intervenir des instruments locaux et diverses nappes sonores. Son projet est ambitieux mais son pitch tient parfaitement la route et on a hâte d’en voir plus.

 

Plus douce est la nuit - Fabienne Wagenaar

Plus douce est la nuit - Fabienne Wagenaar

Plus douce est la nuit - Fabienne Wagenaar

 

Le second temps fort de cette journée aura été la présentation officielle de L’Extraordinaire voyage de Marona d’Anca Damian. On connaissait davantage la réalisatrice pour des longs métrages politiques ainsi que pour son implication forte dans des projets délicats à monter. Alors que certains peinent à réaliser un film sur une décennie, elle aura réalisé un court et trois longs – dont deux pour un public adulte – en animation en moins de 10 ans… sans compter ses films en prises de vues directes. Et elle impressionne d’autant plus que ses réalisations sont des réussites. Marona est la dernière en date.

Cette fois elle quitte les prisonniers roumains et les anarchistes pour aller vers un univers plus familial avec le récit d’une petite chienne qui doit régulièrement quitter ses maîtres alors qu’elle ne demande qu’à être aimé. Un tel pitch pourrait facilement rebuter tant on aura peur du mélo dramatique qui vire au ridicule, mais il n’en est rien. Son film est simplement bouleversant. Elle a confié le design des personnages à Brecht Evens, l’un des plus importants auteurs de bandes-dessinées actuels, doté d’une patte graphique incomparable, et tout en allant dans la simplicité pour le chien, il donne vie à une incroyable galerie de portraits, tous plus surprenants les uns que les autres. L’animal noir et blanc au museau en forme de cœur, virevoltera dans les bras colorés d’un acrobate à l’animation époustouflante, son premier amour, celui qu’elle n’oubliera pas – et nous non plus. Il se joue de la gravité, se métamorphose, s’étire, se contracte et semble faire plier le monde à ses mouvements. Elle rejoindra ensuite d’un ouvrier aussi fort que tendre mais mal entouré, que ce soit par une mère en proie à des crises de violence ou une femme qui traite les animaux comme des jouets. Ils vivront dans un univers plus enfermé, moins défini mais plus stellaire, qu’on croirait brisé avant même d’être construit. Enfin, elle rencontrera une petite fille qui, malheureusement, grandira avec son étrange famille : une mère quasi invisible, un grand père quasi statufié et une boule de poils roux hargneuse, chat quasi abstrait et effrayant autant qu’amusant.

L’histoire pourrait sembler d’une simplicité confinant à la banalité mais le film fourmille d’inventions visuelles et sonores, avec mille et une idées par plan. Le scénario est donc idéal car, plus complexe, il aurait perdu en efficacité et n’aurait pas laissé le plaisir de la contemplation. La cinéaste, en entremêlant les techniques, laisse à l’animation et aux graphismes la possibilité de créer des univers d’une grande singularité. Signalons aussi la magnifique partition de Pablo Pico, autre réussite du film.

 

 

Le festival est si riche qu’il est impossible de parler de tout. Parmi les autres belles séances on citera, et on en parlera ultérieurement, une séance de courts métrages consacrée aux liens étroits et fondamentaux entre cinéma d’animation et nourriture. Peut-être aurons-nous le temps d’y revenir.

Mais impossible de ne pas aborder la troisième série de courts en compétition, surtout que cette sélection était la plus intense depuis le début de l’édition 2019. Composée de huit films, elle ne compte qu’une déception venue du Canada anglophone : Girl in the hallway de Valerie Barnhardt. Ce film à l’animation, de bric et de broc, relate un fait divers sur l’assassinat d’une petite fille et il est narré d’un bout à l’autre par une voix off à la diction théâtrale. La voix est si présente que l’animation viendrait presque parasiter sa fluidité, et l’animation est si surprenante que la voix viendrait presque gêner son bon déroulement. Par conséquent, il faudrait choisir entre fermer les yeux et prendre le film comme une émission de radio ou alors se boucher les oreilles et laisser l’image s’exprimer. Autre reproche plus grave, et lié au précédent, l’aspect racoleur du métrage qui transformerait les spectateurs en une foule digne de celle du Fury de Fritz Lang, qu’on préférera amplement revoir. Le discours, sans subtilité aucune et utilisant les gros sabots larmoyants, joue sur tous les mécanismes d’identification, et le sentimentalisme du sujet devient pratiquement un appel au lynchage lors du générique final. La voix ne laisse aucun moment de répit, aucun temps de réflexion et elle entraîne les spectateurs dans une pensée fermée et bien trop dirigée.

Heureusement, les autres films étaient moins gênants. H5 revient avec My generation, dix ans après Logorama. Si les deux films sont proches dans leurs facilités anarchistes sans implication réelle, le nouveau est bien meilleur esthétiquement. Avec Kids, Michael Frei s’amuse de trois fois rien et en dit beaucoup. Il utilise quelques petits personnages similaires qui courent en rythme, se bousculent, changent de direction, tombent dans des trous, s’écrasent et se relèvent, sont déféqués. On peut le prendre comme un cartoon inoffensif ou comme une métaphore aussi radicale qu’épurée de la société. Dans Per Aspera Ad Astra, Franck Dion propose un film intime avec des thématiques et des idées qu’on retrouvait parfois au second plan dans ses précédents courts. Il nous offre la possibilité d’un voyage dans un univers familier, réalisée dans une 3D d’une facture qui lui est bien spécifique et dont on découvre une nouvelle facette. Cette fois, le monde est peuplé de poules : elles travaillent, parfois dans de rudes conditions, et une chanson mélancolique passe, écrite par Kent, chantée par le cinéaste, autour de thématiques liées à la peur, à l’autre, à la société. Plus coloré, Per tutta la vita de Roberto Catani continue sa vie en festival et se bonifie avec les visions. Si la première fois ses fantastiques couleurs surprenaient et que la deuxième fois le mouvement métamorphique emportait, la troisième fois on comprend mieux la structure du film, ses rares cuts, le livre étoilé et les étranges pensées circassiennes et circulaires d’une petite fille. Vivement la quatrième !

Ce qu’on retiendra le plus, puisqu’il faut toujours faire des choix, sont probablement les trois derniers. Nuit chérie de Lia Bertels est l’un des films les plus doux, tendres et apaisants de la compétition. Ses deux sociétés de production, Ambiance ASBL et Luna Blue Film, ont des noms si évocateurs que c’est à se demander si elle ne les a pas choisies car leur appellation collait à son scénario. En effet, les deux premiers éléments notables du film de Bertels sont le bleu de ses nuits et l’atmosphère qu’elle installe autour d’animaux mystérieux. Malgré un sous texte plutôt sombre car empli d’insomnies, de non-dits, d’amours disparues, et d’êtres affamés, tout se résout dans un calme étoilé, les sourires des faux-semblants et un peu de nourriture. Le miel panse les plaies du monde et les lents mouvements de personnages plutôt ronds laissent au temps le plaisir de l’émerveillement devant la simplicité. Le plus beau c’est que rien ne semble ironique, le film est simplement naïf, on le prend comme il vient et on n’a plus qu’à se laisser porter.

 

 

Intermission Expedition est une autre jolie réussite. On avait laissé la réalisatrice, Wiep Teuwisse, avec Depart at 22, son film de fin d’études. Ce nouvel opus prend une trajectoire bien différente. Ses personnages mutiques font penser aux dessins épurés, têtes longues, nez rond légèrement proéminent de Tom Gauld, avec même un peu de sa mélancolie amusée. Le décor est quasi vide, et la réalisatrice fait rire d’un rien : une route, un sol rouge, un volcan en quelques lignes fines. Le groupe de personnage joue sur les écarts et variations notamment dans les couleurs de leurs vêtements, et la cinéaste s’amuse de la répétition de mouvements similaires, de cycles et d’éléments anodins qui prennent une grande importance à la manière de ces étranges bulles qui apparaissent, gonflent et explosent dans une étrange éruption. Son film semble s’épanouir dans un comique doux dont la simplicité déconcertante rappellera La Pluie vu dans le premier programme, en moins politique.

 

 

L’un des plus beaux films de cette édition 2019 reste Tio Tomás – A contabilidade dos dias, nouveau court-métrage de Regina Pessoa coproduit par Ciclope, l’ONF/NFB et Les Armateurs. Ces derniers n’avaient plus fabriqué de courts-métrages depuis le départ de Didier Brunner et font avec celui-là un magnifique retour. La réalisatrice mélange différentes techniques, et utilise entre autre, l’animation de volumes, tout en reprenant la gravure qui la caractérise. Comme avec Kali, son précédent court, elle utilise l’ordinateur 2D et l’effet est saisissant. Le récit est poignant mais il la touche intimement et elle livre l’un des plus beaux portraits d’homme qu’on ait vu, un rêveur involontaire.

Cet oncle, qui a joué un rôle décisif dans son univers artistique, est obsédé par les chiffres, à l’écart du monde réel, prend plaisir à l’inutile, et surtout il fût son refuge. Elle met en scène un univers intérieur que seule l’animation peut atteindre avec autant de force et de délicatesse. Il ne lui faut pas grand-chose : beaucoup de blanc, quelques traits noirs virevoltant aussi délicats qu’angoissants, toujours en mouvement et vacillants, et un peu de rouge pour soutenir l’ensemble à travers quelques tâches sur des objets importants. Le récit est sobre, intelligent, la voix off est magnifiquement dosée sans jamais prendre le pas sur son animation et, même si elle proclame son amour à ce personnages différent et délicat, Pessoa ne sombre jamais dans le larmoyant qu’elle tient à bonne distance. Moins expérimentale que précédemment, elle se révèle grande conteuse et reprend le meilleur de l’univers esthétique de ses précédents courts.

 

Demain, nous reviendrons sur les films de fin d’étude, encore une fois d’excellente qualité !


14 juin 2019