Festival d’Annecy 2022 – Jours 3 et 4
par Nicolas Thys
Alors que le festival se poursuit sous une chaleur accablante, les baignades dans le lac deviennent de parfaits moyens de rafraîchissement et les bars sont combles contrairement aux salles. A l’exception de quelques projections spéciales et de surprises parfois étonnantes, comme la première officielle de Khamsa, long métrage algérien présenté en section contrechamp, rares étaient les projections pleines.
De notre côté, nous avons continué notre périple court avec les compétitions 3 et 4 ainsi que les trois autres programmes étudiants. Force est de constater qu’après un démarrage en demi teinte, les films deviennent plus intéressants même si la liberté des œuvres estudiantines semblent souvent écraser les discours bien trop lisses et calibrés des pro, tout en permettent des expérimentations que ces derniers osent moins. Heureusement certains se détachent du lot.
Parmi les 14 films pro, nous avons ainsi eu droit à une jolis fête de collège avec révélations amoureuses et personnages à tête d’interrupteurs dans Les Liaisons foireuses de Violette Delvoye et Chloé Alliez, un hommage appuyé à La Planète sauvage de Laloux et Topor avec humains en cut-out, géants bleus, animaux étranges et réécriture de l’histoire humaine dans Terra incognita de Pernille Kjaer et Adrian Dexter ou une sobre et efficace fable contemporaine sur l’intelligence artificielle par Sean Buckelew dans Drone. De même, on retiendra l’évasion philosophique et onirique d’Hannah Letaïf dans La Passante, la mise à mal du corps et l’angoisse qui en découle dans l’univers doux d’Anxious body de Yoriko Mizushiri ou encore le récit tout en rouge et noir de Deux sœurs aux abords d’une forêt d’Anna Budanova.
Autant d’univers différents et passionnants mais quatre courts finissent par se détacher des autres. Dans The Flying sailor, production ONF/NFB, Wendy Tilby et Amanda Forbis utilisent différentes techniques pour envoyer un marin dans l’espace. Inspiré d’un fait réel, les cinéastes ont utilisé l’animation pour faire d’un récit saugrenu – le vol plané sur 2km d’un marin en 1917 suite à une explosion – une jolie méditation muette sur le monde, la mort imminente et l’intime. Passée également par l’ONF/NFB, Elizabeth Hobbs est revenue au Royaume Uni pour The Debutante où une amitié entre une petite fille et une hyène qui se travestit a des conséquences inattendues lors d’un bal. Tout dans ce film danse, apparaît pour mieux disparaitre et virevolte comme pour démonter les conventions d’un milieu rigide et s’amuser d’une esthétique qui reprend autant aux icônes des années 30-40 qu’à l’abstraction des décennies précédentes. Autre cinéaste britannique : Emma Calder faisait son grand retour dans Beware of trains, surprenant collage qui explore les mécanismes d’une société anxieuse autant qu’anxiogène. Pendant une dizaine de minutes, une femme se livre à une thérapie et passe d’un homme, d’une action à l’autre dans un univers qui joue habilement sur cet « entre-deux » – entre la réalité et la construction mentale – que permet l’animation. Enfin, le film le plus drôle de ces quelques jours : Blackflip, grand retour de Nikita Diakur après Ugly. Cette fois il utilise l’image de synthèse et l’intelligence artificielle pour créer des espaces réalistes et leurs coulisses jamais finies ainsi qu’un avatar pour apprendre à faire un saut arrière sans se casser le cou. L’humain inhumain va donc caricaturer l’apprentissage et le monde réel pour évoquer son absurdité totale. Un grand film sur les chimères, les artefacts et les rêves impossibles.
Des étudiants, il sera difficile de tout mentionner mais globalement les œuvres valaient le détour avec des thématiques qui se détachent avec une réelle volonté de ne pas se satisfaire des conventions narratives classiques pour tenter d’aller ailleurs, que ce soit dans l’abstrait ou simplement vers d’autres façons de raconter des histoires. Sans mentionner tous les films, nous avons pu percevoir une certaine propension à interroger le corps dans son organicité et dans l’au-delà de sa matérialité (Protostase de Tibério Supressa, Saft de Mona Keil et Boddyssey de Jonas Bienz), ou dans ce qu’il peut avoir de sexué (Maman, il a quoi le chien ? De Lola Lefevre ou Klimax de Bea Hoeller). De même, nous retrouver un amour de l’absurde (Pentola de Leo Cernic, Au revoir Jérôme ! des Gobelins qui rappelle Wednesday with Goddard de Nicolas Ménard, Red Giant d’Anne Verbeure) ou à s’interroger sur le monde, ses conventions et une forme de réalité (An Ostrich told me the world is fake de Lachlan Pendragon, Noon d’Olivier Bémer, But de Haomin Peng).
Mais s’il n’en fallait retenir que trois, ce serait Persona de Sujin Mon et son personnage translucide qui se dote d’une peau plastique semblable à une poupée gonflable. Réflexion sur le double, la confiance, l’être au monde et l’apparence, ce film simple joue impeccablement sur les matières et leur mouvement ainsi que sur l’horreur du corps et de la réalité. Plus décalé, Toothless d’Andrea Guizar, réalisatrice mexicaine étudiant en Pologne. Puisant dans le dadaïsme, elle colle différents éléments issus de films, livres et œuvres diverses autour des dents pour faire voyager son héroïne qui en est dépourvue dans un monde étrange, en totalement déliquescence. Un film à revoir pour plonger dans les différentes strates qui le constituent et que Chris Marker ne renierait probablement pas. Enfin, le poétique Sometimes I don’t know where the sun is de Samantha Aquilino. D’une construction littéraire abstraite et personnelle, la réalisatrice fait un film étrange et minimalistes aux images qu’un petit rien relie : un son, une voix, une métamorphose. Là un humain, un chat, un cerf, un homard et une pomme se croise comme dans un rêve mystique où tout peut communiquer.
Demain, pour finir, nous ferons un tour vers les longs métrages, la dernière compétition courte et le off limits.
17 juin 2022