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Festivals

Festival d’Annecy 2023 : deuxième partie du festival

par Nicolas Thys

L’ambiance générale en ce milieu de festival reste agréable et ensoleillée. Les films défilent, les invités également. Le marché du film commence à empiéter sur le lac au point de se demander si l’eau sera encore visible d’ici 10 ans. Et les cocktails s’enchaînent à un rythme effréné. C’est également un des changements de ces dernières années. Auparavant, ils étaient présents mais moins nombreux. Là, chacune équipe et quasiment chaque long métrage organise le sien. Annecy commence à se faire Cannois. Enfin, invariablement, les lapins se font toujours autant martyriser dans les bandes-annonces du festival pour le plus grand plaisir des spectateurs.

Annecy 2023

En parlant de lapin, le troisième programme de la compétition courte, plutôt sympathique en dépit de quelques ratés, en contenait un qui a réveillé les ardeurs vocales de certains individus dans la salle. Mais faire un film sur un lapin au festival d’Annecy est rarement une bonne idée. Si Stephen Irwin l’avait admirablement fait en 2014 avec The Obvious child, ce n’est pas le cas d’Eoin Duffy et de son Regular Rabbit pas si « regular ». Comme à son habitude, il crée numériquement des personnages géométriques, minimalistes et mignons à partir d’animaux de la forêt. Faussement pour enfants, ses courts sont souvent aussi noirs et drôles mais cette fois, l’utilisation d’une voix off omniprésente et exagérément pénible ruine son film. Tout passe par celle-ci au point que l’aspect visuel devient secondaire à l’exception d’un excellent dernier plan… silencieux. En outre, les lapins méchants sont pléthores pour les cinéphiles, depuis le déjà pas si gentil Bugs B. à Donnie Darko en passant par Sacré Graal sans oublier les courts de Kamen Kalev et la phobie d’Anya dans Buffy, cela devient un joyeux poncif qu’il serait bon de varier.

Le précédemment cité Stephen Irwin avait d’ailleurs son court métrage World to roam présenté ici. Nous avions exprimé notre amour pour ce film anxiogène à l’atmosphère unique la semaine dernière à Zagreb. Après une seconde vision, il s’avère encore plus obscur et intense. Avec ses étranges et vibrants dessins noirs et ses jeux de texture si particulier, il est impossible de ne pas découvrir de nouvelles choses à chaque passage sur grand écran. Mais le réalisateur était encore une fois absent. C’est à se demander s’il existe réellement !

Maurice, de son vrai nom Moïse Zekry quant à lui a bel et bien existé. Ce juif algérien décédé en 1942 gérait l’un des premiers bar queers parisiens dans les années au début du 20ème siècle. Maurice’s bar de Tom Prezman, Tzor Edery lui rend hommage à travers un point de vue extérieur et une multitude d’anecdotes et de rumeurs racontées par ceux qui l’ont connu et aimé. Intéressant et doté d’une mise en scène onirique et fluide tournée vers l’obscurité, le film souffre de sa longueur avec une partie centrale au rythme moins maîtrisé mais aussi d’une surcharge symbolique un peu trop appuyée. Reste un beau portrait d’un invisible par un autre invisible.

Néanmoins la surcharge symbolique du film précité n’est pas aussi pénible que celle d’Electra de Daria Kashcheeva. La réalisatrice avait reçu un cristal et une nomination à l’oscar pour son film de fin d’études Daughter. C’est dire si son nouvel opus était désiré mais, comme souvent les attendus cette année, il déçoit. Techniquement éblouissant, il hybride différentes techniques dont une admirable utilisation de marionnettes à taille humaine. Cependant, un film n’est pas réductible à sa technique et le reste est lourd. Très lourd. Elle évoque un abus physique et psychologique sur une petite fille par son père lors de ses 10 ans et la responsabilité de la mère. Un thème fort, compris dès les premières minutes, qu’elle répète et singe en partant dans tous les sens, multipliant les symboles les plus éculés une fois, deux fois, dix fois pendant 25 minutes comme pour éclaircir ce qui est déjà limpide avant de le répéter dans un plan final face caméra. Merci, c’était bien utile ! Cette esbroufe technique lui fait perdre la magie de son film précédent : un récit simple, un symbole conducteur délicatement filé, quelques notes bien posées et une technique déjà impressionnante mais liée à des enjeux de mise en scène précis. A avoir trop de moyens, les cinéastes finissent souvent par faire n’importe quoi.

Tout l’inverse de l’excellent Box cutters de Naomi van Niekerk adapté d’un poème de Ronelda Kamfer. Là aussi le thème est clair : des courses à faire, une agression dans la rue, la vie censée reprendre. Cependant, la mise en scène de la cinéaste sud africaine est bien plus subtile et efficace. La violence reste cachée, sourde mais bien présente. Elle utilise la force du dessin et de l’animation de poudre, avec une habileté particulière dans les contrastes noir et blanc, dans l’évanescence de certaines figures, les métamorphoses des paysages et les mouvements plus ou moins fluides. Ses plans parfois resserrés rende les arrières plans d’autant plus durs, cauchemardesques et suggèrent la peur physique et le trauma psychologique qui s’ensuit. La violence passe par un simple tracé et, le final, une porte qui s’ouvre, se ferme doublé d’une phrase banale, est glaçant. L’ensemble est parfaitement conduit par une musique qui n’en fait pas trop non plus et suggère sans emphase.

Cette force du tracé est également au cœur de l’un des rares films expérimentaux de la compétition courte : Intersextion du canadien Richard R. Reeves. Dans la lignée de Norman McLaren, il travaille sans caméra autant pour l’image que le son. Quatre minutes durant, il évoque la relation tumultueuse de deux particules, deux éléments dont l’énergie folle leur permet de se disloquer, de se retrouver, d’éclater et de se reformer jusqu’à s’évanouir. Un joli récit qui s’affranchit des narrations standards. Sans fioriture, dans une démarche qui pourrait paraître classique aujourd’hui, il poursuit ses recherches sur le traits et les couleurs et continue de composer une des œuvres les plus importantes de l’animation sur pellicule contemporaine.

Tout en couleurs également mais avec une voix un peu trop présente, l’iranienne Yegane Moghaddam réalise Our uniform, autour du voile imposé par le régime aux femmes depuis l’enfance. Elle a beau se défendre de toute critique du régime, le spectateur ne pourra y voir qu’un engagement vis à vis de l’actualité et du système scolaire et institutionnel qui détruit plus qu’il ne construit. Elle anime directement sur textile gris et utilise admirablement les couleurs et les plis, rejouant des métamorphoses propres au matériau, simples mais baroques, révélant l’aspect multiple d’une surface en apparence simple. Et politisant ainsi son travail.

Naomi van Niekerk - Box Cutters

Nous n’avons pas encore vu la compétition 4 mais les Off-limits. Pour rappel, la compétition off-limits, souvent résumée à une compétition expérimentale, explore les limites, les frontières entre ce qui est généralement considéré comme étant ou n’étant pas de l’animation. Si souvent la sélection est forte, cette année elle a un peu perdu en qualité malgré certains films importants.

Transcient de Pink Twins ressemble à un exercice de V-Jing végétal, ornemental et aussi factice que des fleurs en plastique dont il aurait été bon de se passer. I can’t go on earth d’Aria Covamonas est un exercice de collage banal et sans grand intérêt, surtout dans cette section. Plus surprenant, Algodreams de Vladimir Todorovic est réalisé via des AI autour de rêves commandés sur chat GPT et de style d’animation liés à un autre logiciel dont nous avons oublié le nom. Même s’il ne convainc pas malgré une utilisation de la voix off plus intéressante que dans certains autres courts, c’est le type de film qui a sa place en Off-limits tant il risque de participer, ces prochaines années, à une redéfinition du concept même d’animation. Un cran au-dessus, Das feine Zirpen einer Dunkelziffer de Vera Sebert joue le flicker, l’intermittence des images et les longues nappes noires pour proposer quelques visions subreptices de mouches en gros plan : ailes, corps, yeux, totalité. Après tout, le film reproduit notre agacement lorsqu’une d’elle décide de passer devant nos yeux. Bien fait mais un peu long. Une œuvre VR avec tapette incluse pour la tuer plus vite et achever le film quelques minutes plus tôt n’aurait pas été de refus.

Nos deux préférés restent Motus de Nelson Fernandes et Cave painting de Siegfried Alexander Fruhauf. Le premier joue sur la dégradation des éléments image par image. Un corps sur une tôle disparaît chimiquement petit à petit, et surgissent devant son image en déliquescence une chorégraphique improvisée de micro bulles et autres effets incontrôlés. Une œuvre intrigante qu’il serait bon de revoir. Le second est l’œuvre d’un des artistes autrichiens les plus importants depuis les années 2000. Il joue sur l’empreinte, celle du temps et de l’homme, en particulier celles qui touchent à l’art en multipliant les images de natures, de roches, de caves qu’il va venir remodeler à travers un travail pictural dense, multiforme et sensoriel essentiellement numérique et abstrait. Cette revisite lui permet de cumuler sur chaque image différentes strates, photographiques et picturales pour proposer une vision singulière des origines du dessin, surtout du mouvement qui l’engendre et donc du cinéma.

Siegfried Fruhauf - Cave painting

Nous n’évoquerons pas Is Heaven blue ? #2 de Menno et Paul de Nooijer, important duo d’artistes habitué aux œuvres vidéo et installation. Suite à une grosse fatigue, le film n’a pu être vu. Dommage. Il est d’ailleurs grand temps d’aller dormir…


16 juin 2023