Festival d’Annecy 2023 : Premiers jours
par Nicolas Thys
Annecy 2023 évolue, légèrement pour le moment mais avec une probable amplification les années suivantes. D’une part, il débute désormais le dimanche après midi, soit une demi journée supplémentaire avec l’ouverture ce jour. Cette année c’était Sirocco de Benoit Chieux, film jeune public à la mise en scène maîtrisée mais au scénario quelque peu brouillon. D’autre part, le court métrage est à nouveau déplacé pour une séance officielle à 16h, ce qui est bien mieux que la relégation à 10h subie l’année précédente qui semblait le remiser à un endroit où il serait (encore) moins visible et moins gênant. Espérons que cela se poursuivre car il est tout de même de plus en plus enfoui sous les longs et séances spéciales. Enfin, cette année près de 16000 accréditations semblent avoir été vendues – chiffre entendu à plusieurs reprises – avec une rupture dès la fin du mois de mai. Le nombre de festivaliers explose mais guère le nombre de salles ou de logements, dont les prix frisent parfois Cannes à la mi-mai. Heureusement, le temps est au beau fixe et les séances ne devraient pas être surchargées, le festival ayant quelque peu diminué les réservations possibles pour certaines catégories d’accrédités. Une telle augmentation laisse toutefois perplexe quant aux années à venir.
Et après les habituelles régalades au fromage tant attendues en Savoie, il était temps de rejoindre les salles, en particulier pour voir les films courts mais également quelques expositions et longs métrages. Si Animafest Zagreb fût le lieu d’un vibrant hommage à William Kentridge la semaine précédente, Annecy fait honneur à Théodore Ushev avec une magnifique exposition au Musée Château, la plus belle depuis que nous nous rendons au festival. Davantage qu’une simple rétrospective, il a pleinement investi le lieu à la manière d’un artiste plasticien avec des œuvres originales et un parcours thématique. Par ailleurs, un documentaire signé par le journaliste bulgare Borislav Kolev intitulé Liens invisibles revient sur le parcours en Bulgarie d’Ushev tout en faisant un parallèle avec son actualité. Belle manière de compléter l’exposition. Nous finirons jeudi par Phi 1.618, long métrage pratiquement sans animation, sorti au Québec mais pas encore en France.
Mais, pour nous, le départ du festival c’est aussi le démarrage de la compétition courte. Et, le premier programme, plutôt centré autour des rêves, cauchemars et fantasmes était de bonne tenue. Du côté des plus faibles, le public a eu droit à Catisfaction André Almeida, bizarrerie anecdotique avec un chat volant aux énormes dents en 3D et Last order de Hangjin Ho, court horrifique coréen qui lorgne entre autre sur Dark Water d’Hideo Nakata. Efficace, certes, mais banal pour les aficionados du genre. Un cran au-dessus, Christopher at sea de Tom CJ Brown propose le récit d’un voyageur sur un cargo rempli de mâles alpha de la cabine au repas en passant par les douches. Bien emmené, il oscille entre douceur et désir dans un univers métallique et labyrinthique d’où il est impossible de s’échapper. Malheureusement, il convainc moins visuellement. De même, Jenny Jokela, ancienne gagnante du prix étudiant pour l’excellent Barbeque revient avec Sweet like lemons autour d’une relation toxique sur laquelle mettre un terme. Dessiné sur papier, le film est visuellement fort mais la seconde partie, qui enchaine de courtes métamorphoses sans pause, fait quelque peu perdre le fil global.
Nos préférés restent les trois autres. Dans Koerkorter (Dog appartment), l’estonien Pritt Tender retrouve l’esprit surréaliste des animateurs baltes. Inspiré par un poème d’Andres Ehin, il met en scène un ancien danseur aux prises avec un appartement qui aboie et qu’il est nécessaire de nourrir. Pour ce faire, il virevolte sur le lac des cygnes devant des vaches pour les faire produire du lait en échange de saucisses. Le film se déroule dans un monde en ruines, réminiscence communiste, et l’animation en stop motion apporte un aspect ancré dans la réel à cette œuvre folle et poétique qui étonne d’autant plus que l’univers déployé par le cinéaste est, en lui-même, profondément cohérent.
Nous avions déjà écrit le bien qu’on pensait de la Grande Arche de Camille Authouard. A la deuxième vision sur grand écran, ce film architectural et profondément sensitif sur le quartier de La Défense à la périphérie de Paris, reste toujours aussi éblouissant. Le traitement narratif, les jeux de couleur, de texture, les fantômes quotidiens du film et l’incarnation du vagabond que d’habitude nul ne voit, ainsi que la musique de Bachar Mar-Khalifé font de ce court une expérience unique. Le film prouve encore que l’animation peut approcher le réel au moins autant que les œuvres en prise de vues continues.
Bien différent, Nun or never reste l’une des meilleures comédies animées de ces dernières années. La finlandaise Heta Jäälinoja excelle dans la maitrise du rythme dans cette histoire sans paroles axée sur des répétitions et variations. La simplicité et la légèreté de son trait sont idéale pour ce récit fantasmatique d’une nonne éprise d’un homme qu’elle déterre par accident et revoit partout après. Loin des cartoons américains, la réalisatrice utilise un style doux, évite de surcharger l’écran et laisse place à un bel imaginaire.
Après un premier programme réjouissant, le deuxième était plus inégal. Première déception pour un film attendu, The Miracle de Nienke Deutz, récipiendaire du cristal pour l’excellent Bloeistraat 11. Cette fois elle évoque le regret de ne pas avoir eu d’enfant. Rien de palpitant dans ce récit où il semble impossible de vivre heureux sans avoir donné la vie – le beau miracle qui arrive à la moitié de la population mondiale ! Elle reprend les figurines translucides et bidimensionnelles de son court précédent mais sans évolution majeure hormis des bébés (non translucides ?) visibles dans le ventre des femmes enceintes qui pullulent. Et il ne se passe pas grand-chose. Dommage.
The Smile d’Erik Van Schaaik est un documenteur sur un crocodile star de cinéma dans les années 50 avec fausses interviews et scandales à la clé. Gentiment amusant, il reprend les clichés des documentaires et films hollywoodiens jusqu’au grain des images mais il tourne à vide et se révèle trop long pour ce qu’il raconte.
Cependant, ces deux films restent des chefs d’œuvre comparé à Humo de la mexicaine Rita Basulto. Pathétique et vulgairement larmoyant, elle ose la Shoah vue des yeux d’un enfant qui se retrouve dans un camp où il va finir au « paradis » mais préfèrerait rester encore avec sa maman (littéralement dans le texte). Difficile de ne pas songer au fameux texte sur le Travelling de Kapo. Si Rivette voyait cette chose, Pontecorvo serait directement réhabilité. Impensable que la réalisation d’un film aussi abject puisse encore survenir après tout ce qui a été écrit sur la représentation de l’holocauste. Impensable aussi qu’on ose le programmer.
Les autres films sauvent la donne !
Avec Astoria, Frank Dion propose un film beau, simple, sans parole sur un astronome qui s’en va ailleurs. Sans être aussi fort que son précédent, il nous permet de replonger dans son univers si singulier et onirique.
Même sans être amateur de football, difficile de ne pas être retourné devant 11 de Vuk Jevremovic. Le croate joue l’esquisse, le brouillon, le mélange de couleurs et, parfois, d’imagerie pour entrer dans la tête d’un joueur qui marque un but. Son film est limpide et donnerait presque envie de le suivre. Nul besoin d’un thème majeur pour produire une œuvre forte.
Avec Marie.Edouardo.Sophie, le québécois Thomas Corriveau réfléchit le mouvement des corps et la peinture en à peine quelques minutes à partir de trois figures dansantes. En partant de l’abstraction la plus totale, il donne vie à ses modèles qui se mettent à évoluer et à se déplacer dans des chorégraphies que seul le trait de l’animateur-peintre semble contrôler avant de leur laisser une part de liberté. La beauté du film tient également dans la fulgurance d’un geste qui n’a pas besoin de se déployer davantage pour manifester toute sa puissance et son énergie.
Notre préféré reste La Perra de Carla Melo Gampert. La réalisatrice colombienne était en compétition à Cannes cette année avec ce film aussi violent que brillant sur une fille qui grandit et devient une femme sous les yeux d’une mère qu’elle va finir par comprendre. Cette thématique n’est pas évoqué par un récit classique. Aucun mot, peu de décors, des personnages énigmatiques, hybrides d’oiseaux et d’humains. La part belle est faite aux corps esquissés d’une mère au cou rouge et de sa fille au cou jaune. La plus jeune ne comprend pas la plus âgée qui mène une vie résumée ici à son domicile et des rencontres amoureuses et sexuelles décrites avec une certaine violence. Jusqu’au moment où elle-même va grandir. La simplicité du dispositif contraste avec la brutalité de l’animation et la simplicité apparente du thème est brillamment retravaillée par ces corps qui cherchent à se comprendre, se métamorphoser, s’aimer sans trop savoir comment faire.
Demain, suite de la compétition et petit détour par des pitchs.
15 juin 2023