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Festivals

Festival d’Annecy 2024 : Nos attentes et les premiers films

par Nicolas Thys

Les festivités seront-elles orageuses ? Pour cette édition 2024 du festival International du film d’animation d’Annecy, le premier jour a vu quelques éclairs et des trombes de pluie mais rien ne semblait arrêter les premiers spectateurs. Près de 17000 accrédités sont attendus pour découvrir, tant dans les courts métrages que dans les longs, les grands noms de l’animation attendus de Michèle Lemieux de retour après 12 ans d’absence sur écran d’épingles à Adam Elliott qui viendra présenter son nouveau long métrage, Memoir of a snail, 15 ans après avoir remporté un cristal pour Mary & Max. Et si l’industrie prend une place toujours plus importante dans le planning, les auteurs y ont toujours une place de choix. Cette année le Portugal et la danse seront à l’honneur.

Pour les plus chanceux, les prémisses d’Annecy avaient pu débuter lors du festival de Cannes. Fait inédit autant qu’improbable, huit longs métrages animés, toutes sélections confondues, y figuraient dont sept sont programmés cette semaine dans la cité savoyarde. Nous ne reviendrons pas davantage sur l’inanité de Sauvages de Claude Barras. La déception est grande tant au niveau du scénario, publicité didactique à souhait pour les réseaux sociaux supposés sauver le monde, que dans l’animation, l’Amazonie au cœur du récit est si figée qu’elle n’est qu’un simple décor mort. Idem pour la sympathique mais oubliable simplicité enfantine d’Angelo dans la forêt mystérieuse d’Alexis Ducord et Winshluss. D’autres films, bien plus réussis, à l’image de Flow de Gints Zilbalodis ou Slocum et moi de Jean-François Laguionie, relèvent heureusement le niveau. Nous y reviendrons dans les jours à venir.

Slocum et moi - Jean François Laguionie

Cette édition 2024 du festival d’Annecy voit arriver quelques changements. Côté courts métrages, la compétition officielle rétrécit d’année en année avec seulement 31 films montrés contre une cinquantaine une décennie auparavant. Le phénomène est dû à un allongement de la durée moyenne des œuvres et il reste difficile d’imaginer que la longueur de certains ne se fera pas lourdement ressentir. Peut-être faudrait-il songer à ajouter une séance car les oubliés sont légion. Cependant, si la compétition courte retrouve un horaire correct l’après midi, les films de fin d’études disparaissent de la grande salle de Bonlieu à 23h. Ces séances, souvent intenses, passent dans la petite salle le matin vers 11h. Difficile de penser qu’ils ne sont pas relégués en catégorie inférieure alors que les films sont parfois plus intéressants que ceux des professionnels.

Depuis l’année passée, le festival d’Annecy a gagné une demi-journée, débutant le dimanche après midi pour se terminer le samedi soir. Ce premier jour a débuté sur des premières huées lors des films de commande (clips, films institutionnels, publicités, Ted-ED, etc). Dès que l’IA est arrivée, les cris affolés ont démarré. Il s’agit du faux scandale de 2024 : Annecy a décidé de sélectionner plusieurs films réalisés par cette nouvelle technologie, ouvrant la porte à un conservatisme outrancier de la part de certains spectateurs qui la rejette automatiquement. Nul doute que cela se poursuivra par la suite.

De cette séance composée d’une quarantaine d’œuvres très courtes – rarement plus de 4 minutes – nous retiendrons plusieurs thématiques fortes au premier plan : l’écologie ou les luttes contre les discriminations, mais également films originaux à l’image des bandes-annonces des festivals d’Interfilm par Anne Isensee, ou d’Ottawa (OIAF) réalisé par Matthew Rankin dans son style inimitable. Signalons également une pub sous forme de retour aux années 80 pour arrêter de boire dans des bouteilles en plastique (The Lords of Water, ‘Launch film’) ou encore un clip pour la WWF (‘Up in smoke’) réalisé avec de la véritable fumée. L’avantage de cette sélection pour les lecteurs non-annéciens : les films sont souvent déjà disponibles en ligne !

Matthew Rankin - OIAF

S’en est suivie une masterclass avec Terry Gilliam. Le cinéaste de 83 ans, ancien membre des Monty Python et auteur de Brazil ou Las Vegas Parano prépare un nouveau film. Toujours aussi dynamique et anarchique, il est essentiellement revenu sur la première partie de sa carrière, abondante en collages animés. Il a servi de nombreuses anecdotes tant sur sa période en tant que dessinateur que sur ses films en solo jusqu’au Baron de Münchausen, comparant ce dernier à l’opus tchécoslovaque de Karel Zeman réalisé en 1962 sous le titre Le Baron de Crac. Ceux qui ont lu son autobiographie n’auront pas appris grand-chose mais le show donné par Gilliam était immanquable.

Malheureusement, la journée s’est conclue sur La Plus précieuse des marchandises, premier long métrage animé de Michel Hazanavicius, en compétition à Cannes voilà trois semaines. Si les décors sont beaux et l’aspect technique agréable, le film souffre d’un scénario convenu et excessif, larmoyant et misérabiliste. Ce conte sur la Shoah met en scène un couple de bûcherons recueillant un bébé juif tombé d’un train. La musique comme les dialogues sont trop appuyés, sans finesse ni subtilité, prenant le spectateur pour un imbécile destiné à pleurer sur commande. Hazanavicius ne semble pas non plus savoir ce qu’est un hors champ et passe son temps à montrer des images sordides à donner une attaque à Claude Lanzmann. Les morts défilent, les visages émaciés mettent à distance plus qu’ils n’émeuvent tant leurs références picturales sont banales. Le bébé, innocence détruite, semble n’être là que pour faire pleurer dans les chaumières pendant que l’excuse du conte parait arriver pour masquer les incohérences du scénario. Ceux qui voudront voir un « conte » sur le même sujet pourront toujours se tourner vers La Vie est belle de Roberto Begnini qui, malgré certains défauts, lui est largement supérieur, voire vers d’autres œuvres comme Le Fils de Saul, Shoah ou le récent Zone of interest, bien plus puissants.

La dernière fois qu’un bon film a figuré en ouverture, c’était en 2016 avec La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit. Il faudra bientôt se résoudre à croire que le festival est frappé d’une malédiction.


10 juin 2024