Je m'abonne
Festivals

Festival d’Annecy 2025 : Premières impressions.

par Nicolas Thys

La 49ᵉ édition du festival international du film d’animation d’Annecy a débuté voilà deux jours sous un soleil éclatant et, pour la troisième année, durera sept jours au lieu de six. Vu la richesse de la programmation tant dans les salles qu’au marché du film, une ou deux journées supplémentaires ne seraient pas de trop. Cette année, la Hongrie est à l’honneur et, enfin, le court métrage retrouve une place centrale après quelques années à vivoter en étant déplacé à des horaires parfois difficiles et avec de moins en moins de films sélectionnés dus au rallongement – souvent inutile – de leur durée moyenne. Un sixième programme de compétition permet toujours d’atteindre une trentaine d’œuvres en compétition, contre une cinquantaine en 2014, et cette année c’est une séance courte et compétitive qui a ouvert les festivités, comme c’est le cas à Zagreb et comme c’était le cas ici-même voilà quelques décennies. Un acte symbolique, mais important, qu’on aimerait voir perdurer.

Annecy 2025

Le premier grand événement fut la masterclass donnée par Michel Gondry, qui n’était jamais allé au festival aussi loin qu’on s’en souvienne – c’est-à-dire pas depuis 2010, au moins. S’il a reçu une belle ovation et une jolie surprise quand son frère et collaborateur, Olivier, est venu lui remettre un cristal d’honneur, le public en a eu une moins belle lorsque Marcel Jean a fait venir sur scène Didier Allouch pour modérer les échanges. Jamais modération n’a été aussi catastrophique, entre les cabotinages du début pour faire ami-ami, le manque de culture d’un présentateur décontenancé en entendant parler de Youri Norstein et ne semblant pas avoir vu Microbe et Gasoil, son insistance à vouloir caser le mot animation à chaque question en oubliant que dans cinéma d’animation, il y a « cinéma », son incapacité à rebondir sur les réponses pour revenir sur ses questions plutôt foutraques, son insistance à parler des Barbapapa voire de lui-même. Heureusement que Gondry répondait à côté, ça lui a permis d’être passionnant.

Sur les deux séances de courts métrages en compétition vues, les premières joies comme les premières déceptions se sont fait ressentir. Le premier programme se composait d’une performance technique anecdotique sur les fonds marins (9 millions de couleurs) et d’une comédie répétitive dans un avion qui aurait gagné en absurdité et en efficacité à être plus courte (Carcassonne-Acapulco), mais surtout de trois films plus intéressants. D’abord un spin-off de Star wars signé Shinya Ohira (Star wars : Visions ‘Black’), animé et virtuose, qui s’autorise tant les silences que la musique jazz sans paroles, trop rapide pour qu’on comprenne réellement ce qui s’y passe et frôlant régulièrement l’abstraction. Nos sens étaient conquis par l’expérience, mais difficile d’adhérer pleinement tant on se demande : « À quoi bon ? ».

Annecy 2025 - La Jeune fille qui pleurait des perles

Ensuite, La Jeune fille qui pleurait des perles de Chris Lavis et Maciek Szczerbowski (ONF/NFB) nous a presque conquis en évoquant l’amour d’un enfant miséreux pour une fille dont les larmes vont le rendre riche. C’est probablement l’une des plus belles directions artistiques jamais vues. La musique de Patrick Watson sert idéalement les sublimes décors et marionnettes. Les deux auteurs de Madame Tuttli-Puttli parviennent une fois encore à envoûter en juxtaposant des décors lugubres en papier mâché et l’hyperréalisme de sublimes regards. Les projections lumineuses et le voyeurisme du protagoniste proposent une inquiétante métaphore du cinéma dans un conte à la lisière du fantastique. Malheureusement, la voix off, trop présente, s’obstine à répéter ce que l’image dit déjà, et la chute finale n’est pas à la hauteur : le réveil est trop brutal.

Nous étions heureux de voir le nouveau film de Théodore Ushev, La Vie avec un idiot (Miyu), adaptation d’une nouvelle sarcastique de l’écrivain russe Victor Erofeev, qui devient dans les mains du cinéaste un pamphlet politique intime pour mieux dire le monde contemporain. Un homme qui travaille peu se voit contraint de vivre avec un idiot qui petit à petit contamine son foyer comme une revisite du Théorème de Pasolini. Le trait virevoltant au stylo sur aquarelle donne l’impression d’un brouillage perpétuel, comme si chaque image appelait la suivante et était hantée par les précédentes, dans un aspect improvisé qui rappelle la délirante folie de La Débutante de Lizzy Hobbs. La voix de Dominique Pinon, grave, marquée, fort présente, apporte un poids à l’ensemble comme l’annonciation de la tragédie : difficile de savoir qui est l’idiot. L’homme, son double, les politiques, et nous-mêmes probablement, incapables d’agir.

Annecy 2025 - La vie avec un idiot

Du second programme, nous retiendrons surtout Zwermen (Murmures) de Janneke Swinkels et Tim Frijsinger, émouvante évocation du désir de liberté d’un homme âgé coincé dans une maison de retraite. À mesure qu’il réalise son incapacité à échapper à cet enfermement physique autant que psychologique, il se métamorphose. Rien d’original, mais l’ensemble est doux, bien fait et, surtout, bien écrit.

Pour le reste, Bruno Collet déçoit avec Atomik tour. Ses personnages sont incroyables, mais l’histoire de cet influenceur à Tchernobyl sombre dans les pires clichés jusqu’à un final mièvre auquel il est impossible de croire. Tapeworm Alexis & the opera diva de Thaïs Odermatt proposent une biographie de la Callas à travers un ver solitaire, comme si Toxic de Saulé Bliuvaité rencontrait Maria de Pablo Larain. Drôle et avec de belles idées de collages, mais assez vain. Ma xi tan xiao xiong de Sun Xun est visuellement magnifique et hypnotique, mais pauvre et obscur sur l’idée du monde qui s’enflamme. En boucle, dans le cadre d’une installation qui le dépasse, l’expérience pourrait être meilleure. Dans Il burattino e la balena, Roberto Cattani propose une variation autour de son propre cinéma à travers une – éternelle – relecture de Pinocchio. Très beau, mais on en vient à se demander s’il n’existe pas qu’un seul conte en Italie, sorte de bizutage pour tous les animateurs et illustrateurs venus de la botte. Enfin, le hongrois Dog ears de Peter Vacz fait partie de ces films si longs qu’ils en deviennent démonstratifs. Plus de 20 minutes pour évoquer la tristesse et la solitude d’enfant et de son chien dans une maison à l’aide d’une esthétique naïve, c’est trop. L’économie d’une dizaine de minutes lui aurait permis de gagner en subtilité et en profondeur, même s’il aurait été compliqué d’échapper à cette impression de déjà vu.

Annecy 2025 - Murmures (Zwermen)

Pour le reste de la programmation, mentionnons une excellente et expérimentale séance de l’Academy Film Archive avec six trésors. L’idée de revoir sur grand écran et dans une qualité incroyable le sensuel et désirable Asparagus de Suzan Pitt, les géniaux collages sonores et visuels de Frank film de Frank Mourris ou la relecture de l’histoire de l’art par Joan C. Gratz dans Mona Lisa descending a staircase rendait déjà cette édition 2025 du festival d’Annecy incontournable. Et découvrir le brûlant et foisonnant Kick me de Robert Swarthe, le planant Hand held day de Gary Bleyder et les incursions abstraites et délirantes d’Henry Selick sur Seepage n’a fait que le confirmer.

Annecy 2025 - Asparagus

Outre les prochains programmes courts, nous reviendrons bientôt sur l’excellente sélection de films de commande et deux beaux programmes de films de fin d’études.


11 juin 2025