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Festivals

Festival d’Annecy 2016, dernier jour : A côté du festival, à-côtés de l’animation.

par Nicolas Thys

Le festival se referme, nos yeux fatigués et heureux également. On se souvient de ce ver d’Henri Michaux : « La contrariété, pour nous, dans la nuit, c’est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement. » – et des nains-métrages aussi. Tout comme on se remémore du toujours très bon programme Spike and Mike’s sick & twisted festival of animation ; de sa douzaine de lutins mignons. Et, soudain, dans un bref retour au réel, on se rend compte que, lorsqu’on est capable de faire de telles analogies et d’aussi mauvais jeux de mots, il est bon d’écrire un dernier article avant d’aller dormir pour de vrai !

Alors que l’édition 2016 arrive à sa fin, que le palmarès est connu et qu’Annecy se vide, il semble important de revenir sur les à-côtés du cinéma d’animation, sur ces interstices entre les images dont parle Norman McLaren. Certes, ils ont disparu à l’ère du numérique, mais ils semblent toujours définir une certaine idée du cinéma d’animation, tout comme sa frontière avec ce qu’il ne serait pas.

Premier événement : Inverso Mundus, une installation hors normes, qui sera présentée aux Haras d’Annecy jusqu’au 30 septembre 2016. Grâce à la fondation Salomon pour l’Art contemporain, on a pu découvrir cet objet atypique qui n’avait jamais été montrée en France dans sa totalité. Il s’agit d’un écran (en fait 8 écrans réunis les uns à côté des autres) qui s’étire sur 40 mètres et d’une projection qui dure 35 minutes. L’ensemble est signé par le collectif russe AES+F (le F en question ayant rejoint le groupe en 1995 alors que les autres officiaient depuis 1987) qui a acquis une certaine notoriété grâce à son installation Last Riot présentée en 2007 à la biennale de Venise. Dans Inverso Mundus, ils travaillent des media classiques comme la prise de vues directes ou contemporains comme l’image de synthèse, sans en cacher les défauts, afin d’en explorer l’absurde rencontre et la laideur dans une fresque monumentale au rythme lancinant où les protagonistes muets semblent se mouvoir de façon irréelle. Le titre fait référence aux mondes inversés du Moyen Âge et à toute cette imagerie utopique et carnavalesque, morbide et macabre, pleine de monstres et d’individus perdus, parfois reliée aux peintures infamantes, afin de réfléchir sur l’époque contemporaine. On y voit plusieurs thématiques avec des jeux de renversements amusants où les individus se métamorphosent, et leur condition sociale égalemen,t avec des femmes torturant des hommes, des policiers devenant des criminels, des riches mendiant auprès des pauvres… Les acteurs sont tous des simili-mannequins qui ont l’air aussi faux que des poupées Barbie et Ken, s’amusant d’une certaine iconographie contemporaine superficielle et visant à faire de l’humain un morceau de plastique pour magazines de mode. L’utilisation de l’animation est intéressante car les chimères qu’elle crée rendent l’ensemble malsain autant qu’hypnotique.

Deuxième événement : la découverte de Virgilio Villoresi. C’est la personnalité dont il fallait voir les films cette année car trop peu montrés, un peu comme ce fut le cas de Stacey Steers en 2015. Alors que cette dernière était peu connue du milieu de l’animation, car elle était plutôt tournée vers celui du cinéma expérimental – les deux étant formellement très poreux mais humainement trop distant –, Villoresi vient des domaines de la publicité ou du clip. Il a environ 35 ans et, comme Michel Gondry, il est réfractaire à tout effet rajouté en postproduction. Tout est donc réalisé au moment du tournage, sans artifice. Inspiré par les machineries et techniques du pré-cinéma qu’il collectionne, ses films ne rentrent parfois pas dans le cadre strict de l’animation. Il navigue entre Georges Méliès, Emile Cohl et les grands expérimentateurs du XIXe siècle, utilisant notamment l’ombro-cinéma, le folioscope, la lanterne magique, le papier découpé ou le dessin – aidé parfois de l’artiste Virginia Mori, dans un style que les amateurs d’Edward Gorey ne renieraient pas. Parfois encore, il transforme son corps en créant personnages ou génériques avec ses mains, doigts ou bras. Ses références vont de Jiri Trnka à Cocteau ou Stan  VanDerBeek et on l’imagine cousin lointain d’Harry Smith, Paolo Gioli  ou Karel Zeman. Villoresi est l’une des personnalités les plus imaginatives qu’on ait rencontrées et ses films, souvent très courts, sont emplis d’une poésie naïve et enfantine qui émerveillent de la manière la plus simple et naturelle. Au point qu’on en arrive même à être heureux de voir de la publicité !

Troisième événement : Minotaur de Munro Ferguson. Ce court métrage de 6 minutes date de 2014. Si on le place dans les événements de 2016, c’est qu’on a pu le découvrir en réalité virtuelle. Cette édition du festival marque le vrai début de cette technique à Annecy, dans le sens où c’est certainement la première fois qu’elle était aussi présente. Son défaut ? Un retour vers le kinétoscope d’Edison, c’est-à-dire à une projection qui n’est plus publique, à une expérience qui n’est plus de l’ordre du partage car il faut, pour le moment, essayer les lunettes les uns après les autres en individuel. Et donc faire une queue énorme pour que certains des appareils soient disponibles ! Son intérêt : proposer une nouvelle manière d’immerger le spectateur au sein du film d’un point de vue visuel et sonore. Dans le cadre d’un film, l’expérience est mitigée. D’un côté le résultat est magnifique et, portées par la musique de Kid Koala, les sensations offertes par cet espace abstrait et totalisant créé par Ferguson sont inédites pour qui n’a jamais testé la VR et on a l’impression d’être à la place du héros mythique dans des dédales étranges et des couloirs labyrinthiques. De l’autre côté, nous sommes limités par la temporalité du film et, ce qui est normal devant un écran duquel on reste extérieur, est déconcertant dans le cadre d’une telle immersion. On reste porté par le film et le son mais on ne peut pas se déplacer comme on le souhaite dans les espaces du film. On est entrainé par un récit qui continue même sans nous, au cas où on prendrait le temps de voir ce que l’écran nous refuse en général.

Enfin, il est bon de terminer par quelques mots sur le sixième programme de courts métrages, le « off-limit ». Plusieurs films mériteraient un papier à eux seuls mais la place ne le permet pas. Nous aimerions souligner les réussites de The Reflection of Power de Mihai Grecu, dans lequel la Corée du Nord, spectrale et moribonde, se remplit d’eau pendant que les gens chantent sa gloire, l’air de rien. Dans Datum Point, Ryo Orikasa cherche à transcrire l’émotion d’un poème de Yoshiro Ishihara en créant un espace propre, un paysage blanc composé de vagues en mouvement perpétuel et d’un horizon mystérieux et difficile à atteindre. Et ceci sans jamais « dire » le poème mais en faisant surgir dans ce paysage quelques-uns de ses logogrammes. Dans If You Say Something, See Something, la réalisatrice, Gina Kamentsky, dessine sur une pellicule déjà utilisée, ne laissant plus apparaitre sur celle-ci que des sous-titres et des mots et faisant se déplacer ses personnages dans un univers amusant aux références cinématographiques multiples. Enfin, avec 4min15 au révélateur, Moïa Jobin-Paré montre une nouvelle fois que le Québec est l’un des lieux les plus importants à l’heure actuelle pour le cinéma d’animation et expérimental. Elle utilise des images filmées depuis un appartement, en plan fixe, afin de développer une pensée autour de l’humain et de l’urbain. Pour ce faire, elle travaille ce qu’elle enregistre par le biais de l’animation image par image dans un film sobre et d’une grande beauté plastique.

Nous n’avons rien à dire du palmarès, très bon dans l’ensemble et qui, pour les courts métrages, semble mettre en valeur des narrations fortes dotées d’un style visuel singulier, grâce auxquelles on reconnait les auteurs au premier coup d’œil ! Au final, cette édition d’Annecy fut réussie et puisque nous avons débuté par Michaux, terminons par ce même poète qui écrivait : « Soleil n’arrive qu’en son heure. »

Il devait avoir en tête quelque prémonition d’Annecy. Et, tout comme nous attendons le soleil, il ne nous reste plus qu’à compter les jours avant la prochaine édition du festival, qui verra une rétrospective autour du cinéma d’animation chinois.

 

Palmarès du festival d’Annecy 2016

Courts métrages

Cristal du court métrage

Une tête disparaît, de Franck Dion (Papy3D Productions, ONF – Office national du film du Canada, Canada, France)

Prix du jury

Vaysha, l’aveugle, de Theodore Ushev (ONF – Office national du film du Canada, Canada)

Mention du jury

Moms on Fire, de Joanna Rytel (Altofilm AB, Suède)

Prix « Jean-Luc Xiberras » de la première œuvre

‘n Gewone blou Maandagoggend, de Naomi Van Niekerk (Nita Cronje, Afrique du Sud)

Prix du public

Peripheria, de David Coquard-Dassault (Autour de minuit, Schmuby productions, France)

 

Films de fin d’études et « Off-Limits »

Prix du film « Off-Limits »

4min15 au révélateur, de Moïa Jobin-Paré (Canada)

Courts métrages Animation « Off-Limits » – Mention du jury

The Reflection of Power, de Mihai Grecu (Bathyspere productions, France, Roumanie)

 

Cristal du film de fin d’études

Depart at 22, de Wiep Teeuwisse (HKU University of the arts Utrecht, Pays-Bas)

Prix du jury

Le Balcon, de David Dell’Edera (Umbrella studio, Budapest metropolitan university, Hongrie)

Mention du jury

Frankfurter Str. 99a, d’Evgenia Gostrer (Hochschule Für Kunst und gestaltung, school of art and design Kassel, Allemagne)

 

Films de télévision et de commande

Cristal pour un film de commande

The New York Times, de Nicholas Van Der Kolk (Moth Collective, Royaume-Uni)

Prix du jury pour un film de commande

Awesome Beetle’s Colors, d’Indra Sproge (Infinity box, Lettonie)

 

Cristal pour une production TV

Stick Man, de Jeroen Jaspaert et Daniel Snaddon (Magic light pictures, Royaume-Uni)

Prix du jury pour une série TV

Lili Loves Food, de Siri Melchior (Dansk Tegnefilm 2 APS, Danemark, Royaume-Uni)

Prix du jury pour un spécial TV

La Rentrée des classes, de Stéphane Aubier et Vincent Patar (Panique, Autour de minuit, Beast animation, Belgique, France)

 

Longs métrages

Cristal du long métrage

Ma vie de Courgette, de Claude Barras (Blue spirit productions, Rita productions, Gebeka films, France, Suisse)

Mention du jury

La Jeune Fille sans mains, de Sébastien Laudenbach (Les Films sauvages, Pelleas films, France)

Prix du public

Ma vie de Courgette, de Claude Barras (Blue spirit productions, Rita productions, Gebeka films, France, Suisse

 

Prix spéciaux du festival :

Prix Festivals Connexion – Région Auvergne-Rhône-Alpes :

Decorado d’Alberto Vázquez (Uniko, Espagne/France)

Mention du jury Festivals Connexion – Région Auvergne-Rhône-Alpes :

Moms of fire, de Joanna Rytel (Altofilm AB, Suède)

Prix du jury junior pour un court métrage :

Vaysha, l’aveugle de Theodore Ushev (ONF – Office national du film du Canada, Canada)

Prix du jury junior pour un film de fin d’études :

The Alan Dimension de Jac Clinch (NFTS, Royaume-Uni)

Prix FIPRESCI :

How Long, Not Long de Michelle Kranot, Uri Kranot (Dansk tegnefilm 2 APS/The Animation Workshop, Danemark)

Prix André-Martin pour un long métrage français produit en 2015 :

Adama de Simon Rouby (Naia productions/Pipangaï production, France)

Prix André-Martin pour un court métrage français :

Peripheria de David Coquard-Dassault (Autour de minuit/Schmuby productions, France)

Prix Fondation Gan à la Diffusion

Croc-Blanc d’Alexandre Espigares (Superprod/Once upon/Big beach, France/ Luxembourg)

Prix de la meilleure musique originale, avec le soutien de la SACEM

Beast! de Pieter Coudyzer (S.O.I.L., Belgique)

Prix « CANAL+ aide à la création » pour un court métrage

3/4 oz de Pierre Grillère, Romain Peyronnet (EMCA – École des métiers du cinéma d’animation, France)


21 juin 2016