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Festivals

Festival d’Annecy 2016, jour 1 : périple asiatique

par Nicolas Thys

Le festival d’Annecy a enfin débuté et après les séances d’échauffement aux fromages et autres délicieuses choses grasses, c’est une semaine de diète alcoolisée qui commence – dans les festivals, il n’y a pas d’heure pour boire, les cocktails n’arrêtent pas et on rouille sous les pluies diluviennes – car, bien évidemment, on ne mange pas dans les salles de cinéma. On regarde, on écoute et on hurle à ses voisins qu’on a aperçu un lapin aux ailes de chauve-souris (succédané caribaresque violet des lapins-garous de Peter Lord, qui recevra bientôt un prix spécial).

Ce premier jour nous aura conduit à arpenter des chemins asiatiques assez particuliers. D’abord, un passage par la Corée du Sud avec Seoul Station de Sang-Ho Yeon. Après The King of pigs et The Fake, deux longs métrages radicaux dans leur propos, leur violence, leur thématique et leur traitement proposés à Annecy ces dernières années, on voyait le nom du cinéaste comme une perspective cinématographique alléchante. C’est, en tout cas, ce qu’on s’était dit à Cannes en apprenant qu’il serait présent pour un film intitulé Train to Busan, tourné en prises de vues directes et suite parallèle de ce Seoul station proposé à Annecy. Malheureusement, ce train pour Busan parasité par une horde de zombies s’est révélé si décevant qu’on avait peur pour celui-ci. Sang-Ho Yeon aurait-il retrouvé son âme ? La récente naissance de son enfant l’aurait-il pourvu d’une dose d’humanité qui ne sied pas à ses films ? Dur à dire mais ce n’était pas encore le cas pour Seoul Station et tant mieux. La dimension politique est prégnante, avec ses hordes de SDF et laissés pour compte qui se rebellent en allant dévorer tout ce qui hurle et tourne autour d’eux, les massacres irraisonnés orchestrés par la police et l’armée incapable de distinguer les zombis des individus sains – pour les Français confrontés aux manifestations de ces dernières semaines, le film à des airs de déjà-vus, à peine moins sanglants.

Les protagonistes sont violents, proxénètes, prostituées, personnages en général méconsidérés ou des individus considérés comme des parasites sociaux, souvent volontairement dessinés de manière grotesque. Nul ne rattrape l’autre et d’ailleurs aucun n’en réchappe vraiment : la mort met tout le monde sur un pied d’égalité. On les suit en train de pleurer (réaction normale d’individus confrontés à un tel problème et qu’on voit rarement dans les films de zombies), d’errer en quête d’un lieu un peu plus normal, d’échapper à des situations où s’entassent gratuitement des cadavres. L’animation est intéressante dans son imperfection et transforme les personnages qui courent en futurs zombies, pendant que les couleurs et les traits disgracieux des individus accentuent leur laideur interne.

Finalement le film pose une question : l’animation rend-elle plus libres ? Alors que Seoul Station offre ce qu’on attend : une œuvre politique, gore, stylisée, parfois drôle et absurde, avec des défauts mais sans concession, Train to Busan ressemble à un pauvre drama coréen gentil, nais et cucul avec des zombies. La mise en scène et la photographie sont juste dignes d’une telenovela. C’est comme si, pour le film présenté ce matin, sûrement moins cher, les studios/télévisions/gouvernement (les financeurs) étaient moins regardants – ce n’est qu’un dessin animé – alors qu’en prise de vues réelles, il fallait faire tellement de concessions que, pour les satisfaire, il n’était possible que de faire un produit formaté et frelaté. On savait déjà depuis longtemps que l’animation servait, dans certains pays plus ou moins totalitaires, à faire passer des messages quasiment incognitos. Ce qu’on ignorait c’est que cela pouvait être encore le cas dans une des soi-disant grandes puissances industrielles actuelles.

Ensuite, face à ce film, une œuvre venue du Japon, présentée avec un gros problème technique puisque le format d’image n’était pas le bon et que les sous-titres avaient disparu : La Grenadière de Kôji Fukada. Fukada, en passant, après cette expérience, à la prise de vues continues – son dernier film, Harmonium, a remporté un prix à Cannes – fait le chemin inverse de Sang-Ho Yeon. La Grenadière, réalisé à la Toei en 2006, est une œuvre très particulière. D’une part, elle figure parmi les adaptations inattendues de la littérature française par les japonais qui semblent en être friands puisqu’elle est issue d’un roman de Balzac qui n’est pas du tout son plus célèbre, tout comme La Belladone de la tristesse est inspirée d’un ouvrage de Jules Michelet qui n’est plus un auteur très à la mode. D’autre part, ce n’est pas exactement un film animé. Fukada, associé au peintre Ken Fukazawa, a fait son film à l’aide d’une technique que le studio a nommé le « Ganimé ». Il s’agissait de faire un film à partir de 70 tableaux sur lesquelles une voix-off raconte l’histoire pendant que la caméra se déplace dans et sur les peintures, explorant quelques détails, se mouvant à l’aide de lents fondus, parcourant l’espace comme un paysage fixe qui se meut. La caméra remplace le mouvement interne et donne l’impression d’une fiction dite sur un documentaire pictural. Nous sommes ici loin de l’image par image, plus proche des limites du cinéma d’animation. L’expérience est intéressante et sensible, l’objet final plutôt hybride et il n’est guère surprenant de voir ensuite Fukada s’éloigner des arts graphiques pendant que Fukazawa y est resté. Les deux hommes ont en fait chacun choisi l’un des deux chemins complémentaires qui ont permis à cette Grenadière d’advenir.

Autre film venu du Japon, le court métrage de Koji Yamamura, « Parade » de Satie, illustration en dessin animé de la pièce musicale composée en 1916 par Erik Satie. Yamamura aussi s’intéresse à la France dans ce nouveau court, parsemant l’ensemble de citations en français de Satie, faisant intervenir artistes de la belle époque, de Cocteau à Picasso, et organisant son film en chapitres, comme l’était la musique. Mais surtout, il n’oublie pas que Satie, en plus de faire partie d’un renouveau du paysage musical du début du siècle, fut proche de l’esprit des avant-gardes comme les surréalistes. Sa musique, à la limite de l’atonal parfois, imprévisible et excentrique, est parfaite pour le style du cinéaste. Alignant des personnages ou objets absurdes et quasi pataphysiques, qu’il anime en rythme par rapport aux différents instruments joués dans le morceau, Yamamura s’amuse à réinventer un mouvement fantaisiste et coloré, complexe et épuré dans un univers connu mais méconnaissable.

Au passage, il serait intéressant de faire un jour une étude des courts métrages d’animation ayant pour origine un compositeur ou une œuvre musicale classique. Entre le Tchaïkovski de Barry Purves, le Beethoven de Garri Bardine, le J.S. Bach de Jan Svankmajer, le Satie de Yamamura et certains autres, il y aurait matière à…

D’autres films ont marqué cette première journée. Il faudrait mentionner Erlkönig du vétéran suisse Georges Schwizgebel, adaptation macabre et intense du poème de Goethe rythmé par Schubert et Liszt, dont les peintures sur cellulos, les mouvements de caméra incessants, les split-screens et les métamorphoses, tiennent en haleine et offrent un déluge d’affects en quelques minutes à peine. Difficile également de ne pas s’attarder un moment sur le regard hautement féminin des marionnettes suédoises de Joanna Rytel dans Moms on Fire, peut-être les plus laides jamais créées. Peut-être parmi les plus expressives et drôles aussi. Elles nous entretiennent de la maternité, l’un des grands maux de notre monde comme le signalait déjà Nina Paley dans The Stork. D’autant plus qu’il empêche souvent les jeunes mamans d’aller s’éclater en Jamaïque. Sales gosses/pères !


14 juin 2016