Festival d’Annecy 2016, Jour 2 : Cosmogonie d’Alberto Vazquez
par Nicolas Thys
« Le monde est un merveilleux théâtre, mais le casting est déplorable. » Un hibou géant.
Il est des moments où, pour écrire sur certains films ou tout simplement pour les voir, être sous l’effet de certaines substances peu légales (sauf dans certaines contrées du monde) parait nécessaire. Ce n’est pas notre cas mais le peu d’heures de sommeil cumulées de ces derniers jours – festival oblige – nous fait pénétrer dans un monde à la logique autre. C’est le genre d’état idéal pour s’immerger dans les films d’Alberto Vazquez et les trouver normaux au possible. Car après tout, c’est le reste du monde qui est étrange et incongru.
L’animation espagnole n’est pas encore la plus célèbre, malgré la très belle rétrospective de l’année passée au festival d’Annecy, mais elle regorge de différentes beautés – donc, lecteur, non nous ne parlerons pas de cette chose en images de synthèse, visible hors compétition, et qui arrache les yeux dès les premières secondes ! Nous pensons plutôt aux petites merveilles nihilistes du réalisateur précédemment cité, à ses créatures aux allures de peluches aussi glauques que mignonnes, parfois sans yeux, probablement parce qu’ils auront été voir ce-film-ont-il-ne-faut-pas-écrire-le-titre du réalisateur ibérique qui avait déjà commis Tad…
Connu des amateurs de bandes dessinées, Vazquez, en compétition cette année avec un court métrage, Decorado, et un long, Psiconautas, avait été découvert en 2010 grâce à Birdboy, un prologue d’une douzaine de minutes à son long métrage. Mais réalisé sur ordinateur, celui-ci ne possédait pas encore la puissance graphique des futures œuvres du cinéaste. En à peine quelques films, et en utilisant un style bien plus dessiné et parfois proche de la gravure, le cinéaste semble être en train de construire tout un univers cruel et malsain peuplé d’individus inutiles, qui semblent se demander à chaque instant ce qu’ils font là et dont le créateur se moque un peu qu’ils vivent ou pas.
Sangre de unicornio, présenté à Annecy en 2014, montrait avec une tendre violence agrémentée de musique métal, de peintures christiques et de nounours gras tueurs de licornes, l’apparition de l’homme sur terre. Les deux films de cette année semblent poursuivre un peu dans la voie de la création d’un univers et de ses mythes. Sauf que, plus le temps passant, plus l’homme de Vazquez semble être un sous-humain né des larves et des déchets d’un monde précédent, que le nôtre ne fait que mimer de façon grotesque. D’où cette interrogation du personnage principal de Decorado qui a l’impression que tout autour de lui n’est qu’un décor pendant qu’une sirène inversée couche avec un monstre, qu’un Ronald Ruck gras et SDF fait de la pub pour un café ACME, que des voix chantent « decorado » pendant que des rires se font entendre et que toute sortie est impossible. Ils sont condamnés, nous aussi.
De plus, surtout, cette horreur ne pourra que continuer à pourrir ce qui l’entoure. Psiconautas, au titre évocateur, est une apologie de la mort, du néant et du monstrueux avec le héros le plus inutile de toute l’histoire puisque c’est un junkie, possédé par un démon, qui ne sert à rien sauf à détruire ce qui l’est déjà pendant que tout le monde se demande s’il n’est pas déjà mort. Et comme nous ne sommes pas à Hollywood… voilà quoi. En outre, alors que les habitants censés cherchent à quitter, sur un canard de plastique qui parle, une île autour de laquelle rien n’a l’air d’exister, l’histoire semble se répéter en boucle, la répétition étant une autre forme de léthargie et de destruction. Vazquez se révèle donc un cinéaste qui dit la vérité dans un graphisme simple d’un noir et blanc absolu, qu’il parsème de couleurs crues et violentes.
Vivement le prochain !
Heureusement les courts métrages de la compétition 2 sont, parfois, légèrement moins pessimistes. Quoique… En tout cas ils étaient tous de très haut niveau. Nous ne parlerons pas des deux merveilles québécoises qui y figuraient. Un peu de suspense ne fait pas de mal, nous les gardons pour demain. Citons le très beau How long, not long de Michelle et Uri Kranot en dessin/peinture sur pellicule à partir de véritables photographies ou vidéos. Le film fait vaguement écho à You look like me de Pierre Hébert pour son côté politique, ses visages qui parfois se succèdent les uns sur les autres et le discours en arrière-plan, ici tiré d’un enregistrement de Martin Luther King. Toutefois, les époux Kranot ne cherchent pas l’abstraction et ils travaillent davantage la puissance plastique d’images en prises de vues réelles venues du monde entier, liée à l’histoire, la pauvreté, le combat social par l’animation dans un intéressant dispositif rotoscopique. Celui-ci est parfaitement rythmé par la partition atonale composée par Uri Kranot. Autre petit film qui vaut le détour : le britannique Stem sur la naissance et la mort de marionnettes minuscules qui font de la musique.
Et puis, Peripheria de David Coquard-Dassault. Mais lui aussi, on y reviendra plus tard, Autour de minuit ayant déjà monopolisé la plupart de l’article grâce au génie d’Alberto Vazquez qu’ils ont coproduit !
15 juin 2016