Festival d’Annecy 2016, jour 3 : Je reviendrai à l’ONF…
par Nicolas Thys
… comme aurait pu le chanter Robert C.
Après un périple asiatique et espagnol, nous poursuivons notre route en passant un peu de temps au Québec avec ses milles merveilles animées. Comme chaque année, c’est la région qui nous offre le plus de cadeaux avec cette année (hors coproductions, nous les réservons pour un futur article), deux longs métrages, deux courts métrages et un film destiné à la réalité virtuelle, Minautor, de Monro Ferguson. Vu que pour accéder aux précieuses lunettes, sésame indispensable pour être projeté dans cette première œuvre de l’ONF présentée à Annecy à l’aide de cette technique, il fallait faire une queue presque aussi longue que le tour du lac, nous avons rebroussé chemin. Toutefois, les premiers échos sont excellents et nous ne désespérons pas de l’essayer demain !
Côté longs métrages, nous avons d’abord eu droit à un film avec en bande-son Céline Dion, Marie-Mai et… Simple plan (cherchez les erreurs), mais le film nous a tellement retourné (lire « détruit ») l’esprit avec ses jolies chansons et son graphisme sommaire que nous en avons oublié jusqu’à son titre. Dommage car cette histoire de bataille de bonnets de neige en stéréoscopie était… hum. Bon et bien, était – nous résoudrons-nous à écrire, de peur qu’en rajoutant quelque adjectif, on nous prenne en chasse.
Heureusement, Window Horses était très différent. Premier long métrage d’animation produit depuis La Plante humaine de Pierre Hébert par l’ONF, le film d’Ann Marie Fleming est une ode à la paix et à la découverte, en plus d’un film sur la diaspora. Invitée dans un festival de poésie en Iran, Rosie, Canadienne aux origines perses et chinoises, va découvrir sa propre histoire ainsi que l’histoire d’individus de nationalités différentes et rattachés par l’amour des mots et des sons. Ce n’est pas un hasard si la réalisatrice a choisi une protagoniste qui réunit trois nationalités et autant de systèmes d’écriture différents qu’elle ne maîtrise pas. Deux d’entre eux, le farsi et le mandarin, sont d’ailleurs réputés pour leur graphie. L’auteure nous embarque dans une quête initiatique toute en poésie et elle s’amuse avec des oppositions de couleurs expressives et des rencontres de styles graphiques parfois éloignés. Entre Rosie, « stickgirl » rose bonbon sous un tchador à la recherche d’elle-même, et les autres personnages très colorés, l’écart est grand. De même qu’en choisissant de demander à d’autres animateurs, comme Janet Perlman, d’illustrer les poèmes récités, les univers sont souvent différents. Mais la magie opère car rien n’est choquant et l’ensemble reste homogène. Finalement, le seul défaut du film réside peut-être dans son titre français, lu dans le dossier de presse, et qu’on préfèrera taire tant Window Horses est plus élégant tout en faisant référence à des moments clés.
L’ONF était également présent avec Vaysha l’aveugle de Theodore Ushev, qui revient année après année avec de nouveaux projets de courts métrages toujours plus incroyables. Ce dernier est un peu comme un résumé de son œuvre qui ouvrirait de nouvelles pistes. Adaptant un conte bulgare sur une jeune fille qui ne voit pas le présent mais uniquement le passé et le futur, Ushev mène une véritable réflexion sur le temps, l’espace et finalement sur le cinéma et ses possibilités en nous poussant à nous interroger de manière poétique et discrète sur notre rôle de spectateur. A la manière de Tzaritza, le début de Vaysha l’aveugle décrit le monde du point de vue d’une petite fille et les personnages sont en deux dimensions, collages jouant sur les effets de platitude et de fausses perspectives. En outre, comme sa trilogie autour de l’art et de la politique (Drux Flux, Tower Bawher, Gloria Victoria), son nouveau film possède des moments tirant vers l’abstraction avec des références nettes au constructivisme et aux avant-gardes du début du 20ème siècle. Il a aussi été pensé pour la 3D et, jouant sur la profondeur de champ et les différents plans, il insiste encore plus sur l’absence de relief du personnage qui, ne pouvant voir son présent, a parfois du mal à s’y déplacer comme un humain pourrait le faire. Certains jeux de couleurs et de montage peuvent faire penser à des films comme Rossignols en décembre ou Les Journaux de Lipsett. Ushev semble regarder son travail passé, le condenser autour d’un récit simple mais novateur aux perspectives immenses. Et ce qu’on découvre de nouveau ici c’est cet effet de mise en abîme, comme s’il utilisait Vaysha et ses différents styles plastiques, parfois explosifs, afin d’opérer un retour sur lui-même et peut-être prendre un autre chemin.
Reste Squame, une oeuvre indépendante de Nicolas Brault, qu’on a pu voir en 2D et en 3D. Et, après la seconde vision, on peut affirmer que ceux qui ne l’ont pas vu en stéréoscopie ne l’ont pas vraiment vu tant le film prend littéralement – désolé pour le mauvais jeu de mots – une autre dimension en 3D : on entre dans un autre monde. Un peu comme dans Corps étrangers, où le cinéaste développait à partir d’images issues d’IRM une expérimentation autour des fantômes, Squame décompose et fait disparaitre des morceaux de peaux mortes et translucides réalisées à l’aide de sculptures en sucre sur fond noir. Cette simili-peau ultrafine, d’une blancheur macabre, est dépourvue de chair et d’os : elle est déshumanisée. Pourtant, on a la sensation de reconnaitre les organes qu’elle a pu abriter, tous figurés en gros plans qu’on devine. C’est une peau sans corps, à la fois réelle et irréelle, une autre incursion du fantomatique à l’œuvre dans le cinéma d’animation jusqu’à la disparition progressive de la moindre parcelle de cette chose qui, à un moment, a pu être vivante. Le film semble réalisé sous microscope et accentue, tout comme le fait d’utiliser du sucre, matière qui se dilue facilement, l’idée de disparition et l’aspect spectral de l’ensemble en même temps que celle d’un cinéma instrumental qui jouerait sur les faux-semblants. La bande-son, créée par Olivier Calvert, renforce la perspective spatiale en étant largement composée de craquements, d’effets d’échos et de réverbérations et elle finisse de dire à quiconque verrait Squame en 2D, qu’il ne l’a pas vraiment vu.
On aimerait juste terminer par quelques mots sur dernier court métrage de l’artiste plasticien chinois Haiwang Wang, Wall Dust, visible dans la compétition 3. Ceux qui auraient vu Double Fikret à Annecy, voilà quelques années, ne seront pas trop dépaysés. Les autres découvriront une œuvre surprenante, totalement surréaliste et qui lorgne parfois du côté de Jan Svankmajer dans son imaginaire débridé. Le cinéaste joue sur la répétition de motifs, d’objets, de visages d’un écran à l’autre, d’un tableau à l’autre pour créer une sorte de symphonie absurde dans une composition picturale détonante où il a la place centrale !
16 juin 2016