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Festivals

Festival d’Annecy, Jour 4 : Svankmajer, le Off-Limits et du gâteau !

par Nicolas Thys

Cette édition 2018 était l’occasion d’assister au retour de Jan Svankmajer, une des figures mythiques du cinéma d’animation. On ne s’attendait plus à le revoir à l’œuvre tant son dernier film, Survivre à sa vie, pouvait faire office de testament. Mais à plus de 80 ans, il doit avoir l’âge qu’il faut pour continuer à faire du cinéma ; après tout il n’est guère plus jeune que Godard, Allen ou Jodorowsky qu’on ne cesse de voir ces derniers temps. Insect n’est que peu animé, comme plusieurs de ses derniers longs-métrages mais le cinéaste s’amuse à emboiter les mondes, à montrer les coulisses, à produire un effet de mise en abyme : lui-même et son équipe filment des acteurs qui répètent une pièce qui se poursuit dans sa réalité propre. La pièce est inspirée de La Vie des insectes de Karel Čapek, connu pour être le créateur du mot « Robot ».

L’ensemble, comme toute œuvre surréaliste, est parsemé d’hallucinations, de cauchemars et d’univers communicants. Car Svankmajer restera toujours Svankmajer et le surréalisme sera toujours un point central de son processus créatif. Il n’est guère surprenant de le trouver en séance spéciale à Annecy car outre le peu d’éléments animés – mais il a toujours dit que pour lui l’animation était un moyen d’expression comme un autre – le film pourra déconcerter de nombreux spectateurs qui ne connaitrait pas son travail. Insect n’est clairement pas une bonne porte d’entrée dans son œuvre mais il reste un point de sortie intéressant. D’une part, on retrouve de nombreux thèmes et manières qui hantent son travail : le rapport ambigu du réel à l’animation, du créateur à la créature, sa manière de filmer des parties du corps en très gros plan, l’utilisation d’insectes, les lumières blafardes dans lesquels évoluent acteurs et décors, des enfants qui grandissent, une temporalité impossible et un drôle de sentiment d’effroi comme si la mort rodait mais qu’elle était toujours accompagnée d’un certain cynisme fantaisiste qui prête à rire. D’autre part, les différentes strates de récit et la fin du film nous font presque sortir du film comme on sortirait, un peu forcé, d’un (et non d’une) œuvre cinématographique.

On ne conseillera que trop à qui connait peu le cinéaste de voir au moins ses courts-métrages importants (ici ou ) et Alice pour, peut-être, apprécier davantage Insect et voir l’auteur qui s’y dévoile, pour mieux s’enfuir.

 

Après nos retrouvailles avec un cinéaste tchèque absent du festival, on aurait voulu parler de la séance de courts-métrages 4 en compétition. Mais ce sera pour samedi. La salle 1 du cinéma Pathé semble être maudite car en plus des mauvaises conditions de projections (instabilité de l’image, problèmes de format ou de colorimétrie), voilà qu’elle capitule. Elle s’est lancée après 35 minutes de retard et nous, on avait autre chose à faire.

On a malgré tout pu voir le programme Off-Limits qui rattrape le coup et dont on comptait parler samedi. Pour rappel, et contrairement à ce qu’on entend souvent, « Off-Limits » n’est pas une autre formulation pour « expérimental ». Il s’agit d’une compétition dont les œuvres interrogent le cinéma d’animation et la frontière entre ce qui serait de l’animation et ce qui n’en serait plus. A l’image de l’Everything de David OReilly dont on avait déjà parlé ici et qui interroge le lien de l’animation au jeu vidéo.

Parmi les films les plus surprenants de la sélection : Cadavres exquis de Stéphanie Lansaque et François Leroy. Cela fait maintenant plusieurs années que le duo habite au Vietnam et réalise leurs films à l’aide d’une animation informatique singulière, à la fois réelle et irréelle. L’action se déroule toujours quelque part dans ce pays ; ici, c’est Hanoï et la limite qu’ils atteignent quant à leur rapport à l’animation et à la prise de vues continues se radicalise encore. On a l’impression de se déplacer dans une cité à moitié floue comme si l’on y avait posé un léger filtre, pendant que les personnages, et notamment un chien, sont pourvus d’un graphisme aussi réaliste que leur mouvement est grossier. Et ils semblent parfois se détacher du décor comme s’ils étaient perdus dans une 2,5D. L’esthétique est intéressante par rapport au récit : un chien trouve une carcasse de viande, l’emmène avec lui et s’aperçoit qu’il s’agit d’un autre chien cuit. De là son rapport à l’autre et au monde s’en trouve bouleversé tout comme l’est le nôtre face à ces deux animaux et aux paysages. Le film, d’une certaine manière, préfigure une forme de rêve funèbre à travers un décalage avec la réalité autant qu’avec l’animation.

Autre court-métrage particulièrement intéressant : Garoto transcodificado a partir de fosfeno du brésilien Rodrigo Faustini. Ou, en français, Garçon transcodé à partir de phosphène. Un phosphène est un phénomène optique qui donne l’impression, après avoir fixé une source lumineuse trop longtemps par exemple, de voir apparaitre des tâches ou une lumière. L’expérience filmique, qui ne dure que 2 minutes, entremêle photographie d’un garçon, ordinateur et effets spéciaux. Le résultat final est complètement abstrait et surprenant car on a l’impression de visualiser des ondes volumétriques dans lesquelles seraient prisonnière l’image d’un être humain qu’on peine à distinguer comme un phosphène absolument monstrueux qui perturberait complètement le champ de vision. L’image photographique révèle son intériorité digitale, les limites de son mouvement comme si on en atteignait l’aspect le plus brut qui soi. Ceux qui connaissent Au bord du lac de Patrick Bokanowki pourront avoir une impression similaire bien plus radicale car au lieu d’utiliser des lentilles et objectifs spéciaux, Faustini s’amuse avec l’imagerie informatique. L’auteur décrit son film ainsi : « A computer sees without eyes, an algorithm imagines ». On est là encore, à la frontière de plusieurs mondes et peut-êre au début d’une nouvelle ère technologique dans la création/recréation d’images. On se souvient de l’expérience tentée par un étudiant à propos de Blade runner (à lire en suivant ce lien). Ici, l’intelligence réelle d’un artiste s’empare d’un concept quasiment similaire.

On passera plus rapidement sur les autres. Maze of noumenon, du chinois Tianran Duan, interroge également la perception mais d’une façon beaucoup plus théorique et intellectuelle. Son film est un exercice un peu scolaire. Pas sûr qu’il atteigne l’objectif qu’il s’est fixé, malgré de beaux passages. Autre film chinois : Ulysses de Shu Cao, lecture d’un journal intime sur plusieurs années et vision d’un singe et d’une silhouette dans un environnement graphique un peu terne. Encore une voix-off pénible. Dans un style parfois proche, on lui préfèrera amplement Marzevan de Vergine Keaton qui interroge le rapport du corps à un lieu mental, le voyage et l’imagerie numérique mais Keaton ne nous ennuie pas en parlant tout au long du film, ce qui aide l’immersion et nous laisse plus libre. Même reproche pour le film du Fresnoy, A excavation of us de Shirley Bruno. Le film est très beau, l’idée de filmer des ombres dans une cave, et d’y entremêler différentes techniques offre un rendu unique. Mais elle est didactique et tout ce qu’elle montre est plombé par la lecture d’un livre d’histoire et un discours déjà entendu mille fois. Si quelques phrases de mise en contexte n’auraient pas été de trop, on comprenait métaphoriquement l’ensemble. Elle n’avait pas besoin de tuer son périple et notre voyage en discourant sans cesse.

Dernier film, plus intéressant même s’il n’avait pas vraiment sa place dans le Off-Limits : Edge of Alchemy de Stacey Steers. Film de collage, à l’image de ses précédents, il s’amuse, dans un récit dont la longueur peut surprendre et qui prête aux rêveries, de différentes formes et imageries. Elle découpe les silhouettes de Mary Pickford et Janet Gaynor issu de plusieurs de leurs films, pour les introduire au sein d’une autre fiction, animée à partir de papiers découpés, que la cinéaste va créer. Graphiquement, tout est en noir et blanc et Stacy Steers propose ne relecture écolo du mythe de Frankenstein avec ces deux femmes et des abeilles géantes en papier qui tendent à mourir. L’une d’elle sera la créature, l’autre le créateur. Finalement, ce que la cinéaste fait c’est mettre en scène une métaphore de la création animée plongée quelque part dans la reconstruction ou la résurrection d’objets inertes, et de silhouettes découpées qui n’appartiennent plus à leur monde d’origine.

 

Dernier long-métrage vu : Virus Tropical de Santiago Caicedo. Adapté d’un roman graphique de Power Paola, le film raconte la vie, de la naissance à l’adolescence, de l’auteur de la BD. Après les documentaires animés sur la guerre, c’est une autre tendance qui se dessine dans l’animation : l’adaptation de bandes dessinées biographiques : Persépolis de Marjane Satrapi, Couleur de peau : miel de Jung. Et maintenant celle-là. Sauf que dans les précédents titres on avait un véritable récit atypique : le rapport culturel Iran/Europe, l’adoption des coréens par des européens. Là c’est juste 16 ans d’une existence normale dans une famille presque normale, sauf que le père est prêtre et qu’elle vit dans un univers exclusivement féminin. Mais dans les faits, il ne lui arrive rien de particulier. Heureusement, l’animation en cut-out et l’univers graphique rendent le film plutôt amusant et apporte un rythme certain au récit. Cela donne finalement une œuvre sympathique, agréable à voir. Encore un film bien écrit et bien fait qi n’a aucune autre prétention et qui se regarde sans problème. Mais parmi une vaste sélection dans un festival, on l’oubliera vite.

 

On conclura par quelques mots sur Ce magnifique gâteau, vu à Cannes et qui vient de remporter le grand prix du long-métrage à Zagreb. Il s’agit du nouvel opus des deux réalisateurs d’Oh Willy ! sélectionné depuis 6 ans dans plusieurs centaines de festivals et qui a remporté plus ou moins 80 récompenses. Ils reviennent avec un film improbable, encore en marionnettes de laine, mais cette fois de 44 minutes. C’est typiquement la durée qu’aucun festival de courts ne veut et que nul distributeur n’osera sortir en salle mais s’ils peuvent se le permettre c’est que leur film est réussi et que tout le monde va chercher à l’avoir en dépit de son surprenant format. En plus, le sujet n’est pas évident puisqu’il s’agit d’une réflexion douce-amère, tragi-comique sur le Congo belge.

Il faut imaginer des personnages en laine, quasi obèse et moelleux, qui affichent leur tendresse à même le corps comme n’importe quelle poupée en peluche. Il faut également imaginer une forme de loufoquerie dans chacune de leur action. Tout est doux dans leur univers avec des murs en tissus et de l’eau en coton un peu à la manière dont Wes Anderson réalisait les bagarres dans son Île des chiens. Ce magnifique gâteau est découpé en 5 parties, avec souvent des individus qui se croisent et des lieux qui reviennent, comme une œuvre chorale. Mais pas trop non plus.

Le contexte : en 1885, après avoir fait pipi au lit et entre deux crises de hoquets, le roi des Belges a voulu avoir sa propre colonie. De là s’enchaînent des situations aussi réalistes qu’absurdes et oniriques avec des morts horribles, un racisme assumé, des voyages dans des cavernes, un urinoir en forme d’escargot et un clarinettiste jamais trop à sa place. La réalisation est à la mesure des personnages : elle prend son temps, expose des micro-événements qui se rejoignent à mesure que le film avance sans jamais se départir d’une touche de magie inhérente à l’Afrique et à sa culture d’avant la colonisation. Les deux cinéastes créent n univers unique qui se distingue par les décors minimalistes et précis autant que par des jeux de lumières exceptionnels et une animation posée et fluide qui rend l’ensemble léger et agréable mais aussi monstrueux et cynique. On ne sait pas trop où est la pâtisserie du titre, mais la poésie est bien présente.


7 juin 2018