Festival de films féministes de Montréal 2020
par Samy Benammar
Depuis 2017, Le Festival de films féministes de Montréal (FFFM) propose une programmation hétéroclite, aussi inspirée que radicale, avec un éventail de films allant du court métrage de fiction au documentaire expérimental en passant par les films de genre pour célébrer un cinéma dont la pluralité est à l’image de la pensée féministe mise de l’avant. En ligne cette année jusqu’au 12 décembre, le festival propose une nouvelle fois une grande diversité de points de vue, dans une programmation où films majeurs de l’année et productions plus marginales sont traités avec autant d’importance. Le choix a par ailleurs été fait de simplifier la navigation à travers les films en les classant en sections très claires: une partie longs métrages et quatre catégories de courts (fiction, expérimental, queer et genre). On s’étendra ici sur le programme expérimental pour souligner les qualités de certaines œuvres importantes que l’on peut y trouver et l’intérêt d’une telle programmation qui fait dialoguer les œuvres dans une logique à la fois pertinente et ouverte.
I’ve Been Afraid (2020), de Cecelia Condit, ouvre le bal avec une puissance politique redoublée par l’intelligence d’un décalage de ton délectable. Si le film arbore une esthétique vaporware aussi classique qu’efficace, accompagnée d’une chanson qui rapproche l’œuvre du vidéo-clip, le récit, lui, aborde la question de la peur de l’agression mais également de celle qui paralyse et impose au corps d’accepter la violence. Le film glisse lentement vers le refus de céder à cette peur, sa conclusion révoltée est perceptible dans chacun des visuels et dans la posture légère et insolente d’un discours qui exprime la nécessité d’une parole qui se libère, en répondant à la peur par une pensée dansante. Dynamique, drôle et percutant, I’ve Been Afraid (2020) parvient ainsi à trouver un bel équilibre dans son propos.
Cet équilibre se ressent pendant toute la traversée du programme qui oscille entre beauté tragique et humour acidulé empreint de colère. En noir et blanc, Larissa Mauro présente avec VIRUS (2020) et son dispositif dépouillé, entre cinéma et performance, une figure féminine regardant à travers les barreaux de sa cellule sur une rythmique tribale qui transforme la souffrance individuelle en un film mythopoïétique à la frontière du sublime et de l’intime. À l’inverse, In Paris I Tango For Maria (Take2) (2020) de Taylor Yocom, propose de revisiter une œuvre abandonnée de la cinéaste où elle dansait un Tango sur une motte de beurre en référence à Maria Schneider violée par Bernardo Bertolucci et Marlon Brando sur le tournage de Last Tango in Paris (1972). Si l’œuvre vidéo mentionnée avec ses couleurs contrastées et les gestes maladroits des talons piétinant la motte est pleine d’un humour amer, le commentaire qui vient la contextualiser permet de ramener la légèreté libératrice de l’acte à la gravité historique de cet évènement, jonglant entre art contemporain pop et divertissant et œuvre historique engagée.
Le reste du programme est aussi constant en termes de qualité que diversifié dans ses approches et mérite un visionnement attentif dans son intégralité. Mais le film qui le conclut, Clean With Me (After Dark) de Gabrielle Stemmer – qui a remporté entre autres le prix du meilleur court métrage international aux RIDM 2020 – retient particulièrement l’attention. Sans doute l’un des films les plus percutants de l’année, le documentaire de la jeune cinéaste tout juste diplômée de la Fémis, plonge dans la réalité du phénomène des vidéos “clean with me”, où des femmes au foyer américaines se filment en train de faire le ménage. Si l’image initiale interpelle, dérange par sa dimension patriarcale et le sentiment d’une autoflagellation de la part de ces corps qui acceptent de mettre en scène leur propre soumission, le film vient étudier, nuancer et déconstruire cette vision réductrice. En naviguant entre les images, et en plongeant dans les comptes Instagram et autres archives numériques produites par ces femmes, Clean With Me met en évidence la nécessité d’un regard critique sur ces contenus mais également leur complexité. En effet ces vidéos de tâches ménagères sont le point de départ d’espaces numériques de communication qui permettent à ces individus isolés de partager leurs émotions, leur anxiété et tous les doutes qui accompagnent leur situation. Juste et sans jugement, Gabrielle Stemmer offre une vision aussi tendre que sévère, pragmatique que sensible de cette situation. Elle fait par ailleurs appel à Kevin B. Lee dont la qualité du travail visuel n’est plus à prouver (on ne saurait que recommander TRANSFORMERS: THE PREMAKE, 2015, disponible sur viméo), pour mettre en forme les archives et nous mettre dans la peau d’un internaute devant son écran. Si le processus du desktop documentary tire plus du côté de la mise en scène que d’une véritable démarche expérimentale, c’est pour mieux servir une position féministe indécise, complexe, faite de nuances et de subtilités, à l’image de la cinéaste dont le commentaire très humble se limite au montage et du FFFM qui permet, à ceux qui l’auraient raté, de voir ce film et le reste d’une programmation tout aussi inspirée.
Le festival a lieu en ligne du 2 au 12 décembre 2020.
8 décembre 2020