Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand 2017 (2/4)
par Nicolas Thys
Après notre promenade autour du documentaire animé, le large panorama de films présentés au festival de Clermont-Ferrand nous permet d’aller explorer d’autres frontières. Alors que les champs de l’animation et du cinéma expérimental restent trop cloisonnés, comme si les uns et les autres gravitaient autour de deux galaxies dont les rencontres étaient impossibles ou indésirables malgré les puissants liens qui les unissent parfois, certaines œuvres proposées ici permettent d’établir des ponts, de réinventer un mouvement, de réinterroger les formes.
Comme souvent, le film le plus intéressant de la sélection vient d’Autriche, pays qui, depuis plus de 60 ans, de Kurt Kren et Peter Kubelka à Thomas Renolder et Virgil Widrich, entretient une tradition autour du cinéma expérimental et de l’image par image qui lui a permis de réunir certains des plus grands artistes dans ces domaines. Avec Desert Bloom (Lumières du désert), Florian Kindlinger et Peter Kutin, qui ont déjà travaillé ensemble à des projets entremêlant musique électronique, photographie et vidéo, proposent un court métrage autour de la réverbération et de la vibration des ondes lumineuses des néons de Las Vegas. L’œuvre est d’autant plus hypnotique qu’elle est accompagnée d’un son grave et incessant qui reprend d’un point de vue immatériel les réactions gazeuses des tubes fluorescents. Alors que le noir a envahi l’écran, évacuant le paysage, rien d’autre ne reste que ces couleurs exagérément fortes à l’origine de l’essentiel de ce qui compose les nuits de Vegas. Les réalisateurs jouent sur les sous-expositions et surexpositions ou les variations de vitesses pour créer un mouvement particulier, proposant un autre regard abstrait sur une ville la nuit dans un étrange périple nocturne qui résonne comme le pendant réaliste des récentes œuvres ondulatoires de Rainer Kohlberger.
Avec Immagine, le français Gérard Cairaschi propose une réflexion autour du mythe originel. Dans un noir et blanc contrasté, il fait défiler les parties du corps (tête, main, bras…) d’une femme en les associant dans un montage rapide et serré à des plans de nature sans aucune surimpression. Après un temps d’adaptation, on a l’impression que le flux des images, parfois plus lent, parfois plus rapide, superpose les deux dimensions et les entrecroisent, la nature se faisant corps alors que le corps se fait nature. Ces éléments – le corps toujours associé à un fond noir alors que la nature est liée à la blancheur – toujours disjoints et irréconciliables, ne sont pour autant pas séparés et trouvent leur point de convergence dans le mouvement que propose un travail de construction image par image. Seul le final coloré fait exploser cette association fantasmatique en laissant percevoir davantage le dispositif à l’œuvre.
Toujours dans une certaine abstraction, les Allemands Florian Fischer et Johannes Krell, avec Kaltes tal (La vallée froide), réalisent un documentaire à tendance écologique autour de l’absurdité du cycle d’extraction de la chaux et sur la diminution des ressources naturelles. Les deux auteurs se déplacent dans une usine, une carrière de calcaire ou une forêt dont le point commun est leur aspect laiteux malgré la nuit qui règne, déréalise l’ensemble et le fait passer pour un paradis infernal. Sans voix qui viendrait perturber ou commenter des images d’une grande beauté plastique, le court métrage joue d’abord sur la couleur blanche qui irradie le film et déréalise les lieux et paysages, brûlant tout sur son passage comme si tout étant en permanence surexposé. Entre des gros plans de pierres brisées ou d’insectes, le ronronnement d’une nature mourante et dont le mouvement se fait de plus en plus lent, et de longs plans sur une industrie froide, on a parfois l’impression de retrouver un peu des planètes de Momoko Seto : un univers étrangement familier mais mystérieusement inquiétant.
Enfin avec This far up (De ce côté) d’Ewan Jones Morris, on retrouve une certaine forme de narration jamais explicative, qui tourne autour du rêve, de la vie et de la mort avec quelques fragments animés, un peu comme l’était The Tide keeper d’Alyx Duncan, présenté en off-limits à Annecy en 2015. Mais ce qui caractérise ce film, c’est d’abord sa très forte picturalité. Il commence par une nature morte et vanité dans une étrange maison à l’atmtosphère macabre et lugubre dans laquelle nous suivrons deux hommes avant d’être plongés dans différents lieux autour de cette demeure effrayante et des landes désertes qui l’entourent. L’animation intervient notamment à deux moments, l’un qui fait penser à une toile d’Otto Dix et l’autre qui fait puisse chez Arcimboldo, comme pour nous faire pénétrer l’intérieur de deux corps et apporter une certaine énergie vitale, mécanique et organique à ce qui semble sans vie véritable. D’une certaine manière, le cinéaste réalise un film de fantômes ancré dans les limites entre animation et prises de vues réelles qui, sans être effrayant, nous fait nous interroger sur la limite entre la vie et la mort.
Demain, nous nous concentrerons davantage sur le cinéma d’animation francophone, mais il est impossible de conclure sans mentionner le remarque court métrage de Bill Morrison, spécialiste du found-footage, qui réanime des films anciens en les remontant et en travaillant sur les textures et les moisissures. Il nous emmène avec The Dockworker’s dream dans une certaine histoire du Portugal sur une musique de Lambchop. On est ici très loin de l’animation mais ce film peut définitivement être une source d’inspiration pour ceux qui touchent, de près ou de loin, le remontage et le travail direct sur pellicule.
9 février 2017