Festival international de la BD d’Angoulême 2017 – A propos des liens entre BD et animation
par Nicolas Thys
La 44e édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême s’est terminée. Cette ville du sud-ouest de la France est depuis quelques décennies la capitale française de la BD et du roman graphique. A longueur d’année, ses rues sont parsemées de dessins et d’illustrations, et à l’occasion du festival on était accueilli, à la sortie de la gare, par une réplique géante du Lucien de Frank Margerin. Pendant quatre jours, une vingtaine de lieux disposés au centre-ville et aux alentours ont accueilli les éditeurs et les auteurs, mais également des ateliers, expositions, concerts BD, rencontres, classes de maître, performances, conférences ou dédicaces. Et, un peu caché mais bien présent, un marché de la bande-dessinée. D’un point de vue public, la manifestation est un tel succès – et ce en dépit des scandales de ces dernières années – qu’on a l’impression qu’il faudra bientôt se marcher dessus pour d’avancer.
Mais Angoulême est également devenue ces dernières années l’un des lieux importants du cinéma d’animation, avec le développement depuis sa création en 1997 du pôle image Magélis. Ce dernier favorise l’émergence de projets dans les secteurs liés à l’image et regroupe 28 studios d’animation, plusieurs entreprises et écoles de cinéma d’animation, l’EMCA en tête qui d’ailleurs diffusaient les courts-métrages de ses étudiants à l’occasion du festival.
Il nous semblait donc intéressant d’aller arpenter le festival et d’en rendre compte par le biais du cinéma afin de savoir jusqu’à quel point bande dessinée et animation peuvent cohabiter, et ce au-delà du simple jumelage graphique, et des quelques passerelles par lesquelles s’engouffrent certains auteurs. Evidemment, l’objectif n’est pas de mener une vaste enquête économique ou esthétique mais de faire le point sur un festival ; synthèse forcément subjective puisqu’il est impossible d’aller interroger tout le monde ou d’assister à l’ensemble des manifestations.
Qu’en était-il donc en 2017 ?
En premier lieu, si le cinéma semble être au cœur de leurs réflexions et de leur processus de création, la manière dont ils l’évoquent est assez surprenante et le cinéma d’animation y semble quasiment absent. Parfois au détour d’une référence comme Ed Piskor (Hip, Hop family tree), habitué à transformer en BD la culture pop, racontant l’importance des Simpsons et de ce type de séries dans sa jeunesse. Plus révélateur, la discussion « intimiste » entre Blutch (La Beauté, Blotch, Lune l’envers) et Riad Sattouf (L’Arabe du futur, Les Carnets d’Esther) – comprendre qu’on les fait s’assoir sans modérateur devant une salle comble et qu’on les laisse dialoguer sans qu’ils n’aient, semble-il, préparé quoi que ce soit en avance – débute par une question de Blutch sur les deux films de Sattouf : l’adaptation en prise de vues continues de sa BD les Beaux gosses, succès surprise auquel nul ne croyait et qui l’a aidé à monter Jacky au royaume des filles, flop total qui a refermé de nombreuses portes.
Sattouf expliquait que le cinéma a toujours été comme une sorte de rêve même si la bande dessinée est son premier média et son préféré. De la même manière, Blutch a par la suite évoqué son rapport au cinéma comme une suite d’échecs en mentionnant un scénario écrit qui n’a jamais trouvé de financements et un autre jamais terminé, l’adaptation d’un ouvrage de Jack London. Lorsqu’on l’a interrogé, après ce dialogue, sur son seul projet mené à terme, sa participation au long métrage animé Peur(s) du noir sa réaction fût brève et sèche ; quelque chose comme : « Ah oui c’est vrai… une belle aventure. (pause) Jamais je ne recommencerai », ajoutant enfin que la prise de vues réelles était bien plus amusante.
Ses propos rejoignent quelque peu ceux de Lou Hui Phang, scénariste qui a travaillé pour la bande dessinée, le cinéma, le théâtre et des performances. Si l’animation intéresse – elle citait Svankmajer ou les frères Quay –, elle nécessite un haut niveau de patience. La temporalité liée à l’acte de création n’est évidemment pas le même. Hypothèse : « l’immédiateté » du dessin d’une case ou de leur agencement aurait plus à avoir avec l’enregistrement continu du live qu’avec les 8/12/24 images par seconde de l’animation dont les intervalles sont nécessaires. C’est peut-être un problème de durée.
Loo Hui Phang, qui a travaillé notamment avec Frederik Peeters sur L’Odeur des garçons affamés, Philippe Dupuy sur Les Enfants pâles ou Cédric Manche pour J’ai tué Géronimo a donné une classe de maître passionnante à Angoulême, montrant un haut degré de réflexion sur son travail. Plus encore qu’avec Sattouf et Blutch, le cinéma était le maître mot, et le fait qu’elle vienne des études cinématographiques n’y est certainement pas pour rien. Elle a aussi réalisé un clip, deux courts métrages et un documentaire. Mais son activité principale reste liée à la BD et aux livres illustrés avec 16 titres écrits depuis 1999. Elle expliquait notamment qu’elle pensait les scénarios de manière cinématographique, dans une continuité générale, en inscrivant chaque détail, jusqu’aux échelles de plans et qu’ensuite elle laissait le choix du découpage et de la construction au dessinateur choisi tout en discutant longuement avec lui et aux propositions qu’il peut faire. La pensée du mouvement est donc première avant de s’inscrire dans les cases.
Néanmoins, pour Lou Hui Phang, la BD peut et doit se nourrir des arts qui l’entourent et c’est ce qui l’amène à changer de discipline, à les mélanger dans des organisations plastiques originales, dirigeant – sans y participer elle-même – des performances en direct où s’entremêlent différentes écritures et formes : musique, vidéo, images d’archives, dessin voire animation. Cela a abouti notamment au spectacle Billy the Kid I love you, présenté au festival PULP en 2016, pensé comme une épopée mentale à travers le western, ou à une installation immersive proposée dans le même festival en 2015, La Chute de la maison Usher, avec sculpture, dessin, vidéo et musique. On est là dans une autre pensée du mouvement qu’on peut aisément situer aux limites du cinéma d’animation.
Cette idée d’une écriture cinématographique liée à la bande dessinée a également été développée par Daniel Clowes assez brièvement. Au cours d’une classe de maître, suite à une remarque du public sur l’influence du cinéma dans son processus d’écriture, il a répondu que c’était une des questions majeures qu’il se posait autour de son travail sans en dire beaucoup plus – la faute aussi à deux interviewers superficiels et incapables de rebondir. Le cinéma fût cependant un des éléments importants de la rencontre et Clowes est revenu sur quelques influences, notamment autour de la nouvelle vague qui lui est familière et sur les deux adaptations de ses ouvrages par Terry Zwigoff (Ghost world et Art School Confidential). Alors même que son style est extrêmement graphique, l’animation est passée à la trappe et il n’a jamais collaboré au cinéma qu’au niveau de l’écriture, intervenant uniquement dans les scénarios de ces deux derniers films et comparant la solitude du scénariste devant sa machine à celle du dessinateur seul chez lui devant sa planche. D’autant plus que, comme il le faisait remarquer, nul n’a besoin d’un scénariste sur le plateau pendant un tournage !
On passera rapidement sur l’instant publicitaire du festival, pourtant révélateur de ces liens BD-ciné : Christin et Mézières étaient là pour faire la promotion du Valérian de Luc Besson dont la bande-annonce nous a horrifié tant il était impossible de reconnaitre l’univers des deux auteurs. Une fois encore l’animation n’est pas au rendez-vous et pourtant vu ses moyens et le succès commercial de ses Minimoys, il aurait aisément pu se le permettre. La question de l’adaptation est donc centrale mais si la BD est – douce lapalissade – dessinée, la plupart de ses métamorphoses cinématographiques se font loin du dessin, vers la prise de vues réelles ; même si l’abondance d’effets spéciaux réalisés sur ordinateur nous fait nous demander si on ne devrait pas les qualifier de films d’animation. Pourquoi ? Les raisons sont certainement nombreuses mais cela mériterait un autre article beaucoup plus approfondi.
Qu’on pense donc à Valérian, aux super-héros issus des comics, voire aux deux Spirou à venir ou aux multiples adaptations de ces dernières années, comme la Vie d’Adèle écrit à partir du Bleu est une couleur chaude de Julie Maroh, on a l’impression que le film tend à se détourner du dessin quitte parfois à devoir se tourner vers les images (pseudo-)réalistes et souvent couteuses des images de synthèse.
C’est d’ailleurs aussi le cas le Guy Delisle, présent pour son nouveau roman graphique, S’enfuir, sur l’enlèvement d’un homme officiant dans l’humanitaire dans le Caucase. Apparemment, plusieurs producteurs seraient intéressés pour acquérir les droits de son ouvrage mais aucun dans le domaine de l’animation. Quand on l’a interrogé sur son rapport au cinéma, Delisle répondait simplement qu’il permet d’amplifier certains éléments beaucoup plus difficile à mettre en images en BD, notamment au niveau du son puisque son protagoniste était très attaché à la musique et que cette dimension a dû être amoindrie dans le livre. Deuxième hypothèse : les « manques » – ceci n’a aucune connotation négative – liés au médium BD et pouvant être compensés par le cinéma comme le son direct, pourraient parfois avoir un rendu plus efficace par la prise de vues réelles.
Quant à l’animation, Guy Delisle a officié en tant que conseillé sur certains films d’animation et il a réalisé un très court-métrage : Trois petits chats. Il est également en train de réaliser – sans avoir l’air particulièrement enchanté –, pour la télévision, l’adaptation du Guide du mauvais père publié chez Shampooing. Elément amusant, cette petite collection de livres, à laquelle Bastien Vivès a aussi plusieurs fois collaboré, est connu pour ses répétitions d’images. Souvent seules les bulles de dialogues varient comme si le mouvement limité de ce type de BD nécessitait le mouvement limité de l’animation TV. Le mouvement des cases peut-il déterminer le choix du médium pour une adaptation ?
Par ailleurs, plus on s’aventurait autour des divers stands ou vers le marché de la bande-dessinée, plus on avait l’impression que le maitre-mot, en voulant associer BD et animation, semblait encore être « télévision » et plus particulièrement la série télévisée. En plus de l’annonce de Guy Delisle, on l’a constaté à maintes reprises : les achats et ventes des droits audiovisuels liés à la bande-dessinée vers l’animation semblent être d’abord le fait de la télévision. Et, même si elle avait lieu dans la salle rattachée à la Cité de la BD, la soirée Lastman BD en témoignait bien puisque cette série dessinée a d’abord été conçue pour France 4 et qu’elle était l’une des projections événements du festival. De même, Didier Brunner était présent pour présenter l’adaptation TV par Folivari du Petit Renard de Benjamin Renner.
Evidemment, cette impression est à relativiser. Elle est aussi liée au fait que, malgré l’arrivée de plus en plus forte de l’Asie dans le festival d’Angoulême, ce qu’on a pu constater au palmarès avec trois récompenses pour la Corée et le Japon, ce dernier reste très occidentalisé et centré autour de l’Europe et des Amériques – le fait d’avoir un hall consacré à l’Asie séparé des autres pays indique encore que ce continent n’est pas complètement intégré au festival. Et il n’est pas besoin de rappeler que le rapport du Japon notamment, et de la Chine bientôt, à l’animation de long métrage est à l’opposé de celui de la France par exemple, osant bien plus un cinéma d’animation pour adultes – ce que commence à faire l’Europe – et alternant sans difficulté adaptations de mangas live ou animés.
Finalement, en l’absence au festival de personnalités comme Alberto Vazquez, dont le film Psiconautas, à l’origine une bande dessinée espagnole traduite en français chez Rackham voici quelques mois, fut un grand succès lors du dernier festival d’Annecy, le seul auteur que nous ayons croisé et qui officie à la fois dans la BD et l’animation est Robert Valley. Ce dernier est en lice dans la catégorie « meilleur court métrage d’animation » aux Oscars pour Pear Cider and Cigarettes, tiré de sa BD du même nom. Valley est d’abord animateur. Il a travaillé pour plusieurs studios américains et signé des clips pour Gorillaz et c’est ce qui le différencie des autres personnes rencontrées à Angoulême. La première chose qu’on remarque dans Pear Cider and Cigarettes, c’est le dessin créé à l’ordinateur. Il utilisera également Photoshop pour faire son film seul avec une animation volontairement très limitée, qui donne l’impression de voir quelque chose qui se situe entre le roman graphique et le cinéma. D’ailleurs, pour Valley, sa BD était pratiquement un story-board en vue de la réalisation de son court métrage, qui lui a pris 5 ans, d’où une grande majorité de cases au même format panoramique avec des effets cinématographiques appuyés, notamment dans son utilisation du grand angle. Même s’il est aussi un auteur de comics reconnu, son approche est en quelque sorte opposée aux autres : son ouvrage est un des éléments fondamentaux de la genèse de son film.
Au final, si cette édition festival a été riche en rencontres et expositions – et heureusement, pauvre en scandales par rapport à 2016 –, on en revient avec l’impression toujours plus forte que la BD et le cinéma sont en perpétuel dialogue, comme si les deux communiquaient allègrement et ne pouvaient plus se passer l’un de l’autre. Mais dans ce dialogue entre les deux formes, alors qu’on imaginait des passerelles créatives importantes, l’animation n’occuperait qu’un espace marginal en dehors de la télévision chez les auteurs de bandes-dessinées, même si elle n’est pas absente. Dernière hypothèse : peut-être est-ce aussi une question de génération… Certes, cette conclusion reste à modérer car l’année prochaine elle pourrait être différente en rencontrant des auteurs qui souhaitent passer à l’animation ou voir leur oeuvre adaptée via ce medium. De plus, il n’était pas rare de découvrir des ouvrages qu’on imaginerait parfaitement en courts métrages à l’image de ce que propose l’éditeur 2024 avec le minimalisme naïf et mélancolique du Moon cop de Tom Gauld par exemple.
14 mars 2017