Je m'abonne
Festivals

FID 2021 – Blogue no. 1

par Carlos Solano

Après une année marquée par la fermeture des salles de cinéma, la ville de Marseille reprend un grand souffle cinéphile grâce à la 32ème édition du FID. Cette édition, ensoleillée par la présence d’Apichatpong Weerasethakul (invité d’honneur), est marquée par une très grande diversité de pratiques artistiques.

Sa première journée a été marquée par des films très attendus. L’américain Ben Russell, installé désormais dans la ville de Marseille, présente en Compétition Internationale son nouveau chantier d’exploration, La montagne invisible, ici sous forme de long métrage mais ayant d’abord connu un format d’installation muséale. Librement inspiré du roman Lamontagne analogue de René Daumal, vaisseau amiral du psychédélisme artistique (avant Russell, Patti Smith ou Alejandro Jodorowsky ont puisé dans cette œuvre majeure qui raconte la recherche d’une montagne utopique par un groupe d’explorateurs), le film de Russell, fidèle aux autres joyaux qui le précèdent, se présente comme un voyage sensoriel où se mêlent de façon très organique des régimes d’images radicalement opposés. Captations envoûtantes et extatiques de concerts, rafales plastiques, errances documentaires, le film se laisse allègrement imprégner par tout ce qui le traverse. Le nouage insolite entre pratique ethnographique et recherche psychédélique qui caractérise l’œuvre entière de Russell, se concrétise ici par la tendresse avec laquelle il filme tantôt la tournée d’un groupe de musique tantôt le voyage solitaire d’un homme parti à la recherche des traces d’une montagne imaginaire. On pense évidemment à Gus Van Sant, dont Russell se réclame, mais aussi à des pratiques expérimentales plus marginales (Ben Rivers, Peter Hutton). Touché et traversé par de véritables moments de grâce, dynamité par des explosions visuelles et sonores, La montagne invisible conçoit le cinéma comme un terrain de recherche et d’exploration, comme un voyage où il importe moins de connaître la destination finale que de se laisser porter par le parcours lui-même.

Aux errances psychiques et physiques de Russell à travers l’Europe, on pourrait opposer, en un sens, l’immobilité forcée (confinement oblige) dans laquelle baignent les personnages du nouveau film de Maureen Fazendeiro et Miguel Gomes, Journal de Tûoa. Présenté dans la section « Autres joyaux », le film dresse le portrait d’une communauté confinée dans une grande maison dont les liens ne seront pas dévoilés ici. Sur la base d’un dispositif narratif avançant à reculons, le film se construit en se déconstruisant : la fiction se défait, le documentaire se construit. On retrouve ici les préoccupations esthétiques qui étaient déjà celles de Ce cher mois d’Aout ou de Les milles et une nuits : volonté de délinéariser le récit, recherche d’une forme narrative alternative, flamboyance d’images tournées en pellicule. Solaire, tendre et simple, mais d’une simplicité éminemment travaillée, difficile à atteindre, Journal de Tûoa remplit l’écran de lumière et d’espoir : il possède en plus cette qualité assez rare, celle de donner envie de faire des films.

Dans Lacerate, court métrage de Janis Rafa, une meute de chiens peuple le cadre et s’agite d’un plan à l’autre. Un drame semble avoir eu lieu. Les chiens guident le regard, dévoilent progressivement l’espace d’une maison, découpent la mise en scène (on pense immédiatement au chien guidant l’œil de Robert Bresson au moment de la fin sanglante de L’argent). Un homme est étendu par terre, le regard-caméra d’une femme vient briser le dispositif. Lacerate est un film troublant et obscur, reprenant par moments la fixité clinique et perturbée de Michael Haneke. Porté par des intentions de taille, Rafa dénonce les violences conjugales par la voie d’une initiative visuelle certes très rigoureuse mais rattrapée – si ce n’est engloutie – par une dimension conceptuelle envahissante qui dessert en partie le projet du film.

La sangre es blanca, premier court métrage d’Oscar Vincentelli, Vénézuélien installé à Madrid, frappe d’abord par la force de son programme esthétique : tourné avec une caméra thermique, dans un noir et blanc très contrasté, Vincentelli utilise le motif de la corrida pour dresser une réflexion – plus théorique qu’efficace – sur la représentation de la mort au cinéma. Film troublant, La sangre es blanca semble naître d’une question grave et importante : de la mort, qu’est-ce qui est représentable ? Qu’est-ce qui se joue dans l’intervalle qui sépare la vie de la mort ? La caméra thermique, dont les qualités plastiques rappellent celles d’une radiographie, permet évidemment de révéler ce qui échappe à l’œil nu. Sur la base assumée des gravures que Goya a pu réaliser autour de la tauromachie, Vincentelli poursuit les recherches esthétiques du peintre espagnol et invente une façon très épurée de représenter la violence où le son occupe une place très évocatrice.

Taxidermisez-moi, le nouveau court métrage de Marie Losier (consacrée grâce à son extraordinaire La ballade de Genesis and Lady Jaye), propose un parcours inverse. Ici, il n’est pas question du passage de la vie à la mort, mais de la mort à la vie. Dans une pièce peuplée d’animaux empaillés, la caméra de Losier filme, découpe, célèbre et donne vie à la pluralité d’un bestiaire prodigieusement animé par la force du montage. Drôle et décomplexé, Taxidermisez-moi fait suite aux recherches formelles très libres de Losier où le corps, quel qu’il soit, humain, animal, flamboyant ou monstrueux, devient sujet d’interrogation, joie, puissance d’incarnation et de réincarnation.

 


22 juillet 2021