Je m'abonne
Festivals

FID 2021 – Blogue no. 3

par Carlos Solano

À Martigues, pas très loin de la ville de Marseille, quatre jeunes adolescents décident de passer quelques jours en vacances. La chaleur règne, l’été n’a rien de photogénique. La Colline, premier film de Julien Chauzit, échappe intelligemment à tous les clichés qui forment le film typique d’été entre amis. Là où n’importe quel autre film aurait, par exemple, emprunté la voie de la déchirure amicale, Chauzit soude et resserre les liens amicaux entre les personnages autour d’un éveil politique. Question solide, question de cinéma : comment filmer la prise de conscience politique ? Première hypothèse avancée par le film : il faut dévier les attentes, pulvériser les clichés, préciser le regard, détailler : dans La Colline, au cœur d’une séquence vertébrale, un coucher de soleil se métabolise en film d’épouvante ; privé de somptuosité, l’horizon de la jeunesse épouse au contraire les formes de la catastrophe écologique. La Colline imagine un monde où Monica Vitti, dans Le Désert Rouge d’Antonioni, ne serait plus seule devant l’angoisse du désastre écologique. C’est là qu’intervient la deuxième hypothèse du film ; filmez la communauté, vous aurez filmé l’éveil politique. Pour Chauzit, on ne badine pas avec le cinéma : ni simple captation du réel, ni réceptacle d’un récit, la caméra est un outil de rencontre, un moyen de se lier aux autres, une éponge politique, une médiation entre le symbolique et le concret. Par erreur (par nécessité ?), par la force des choses, le film performe son propre sujet, devient action politique spontanée, preuve par l’image des ravages de l’industrialisation grandissante à Martigues. La Colline possède aussi la générosité et la sincérité des bons premiers films, tourné vers le monde et non vers soi (façon nombriliste) tout en proposant un regard éminemment personnel. Chauzit célèbre les puissances de la communauté et du cinéma, du cinéma comme communauté.

D’une bouleversante beauté plastique, Have You Seen That Man ? de Yotam Ben-David commence par le regard d’un enfant posé sur le cadavre d’un homme. On se croirait dans L’esprit de la ruche de Victor Erice, sauf qu’ici les paysages et les clairs-obscurs de l’Espagne rurale et profonde sont remplacés par ceux de la Roumanie contemporaine. Sorte de rêverie éveillée, de fable émergeant de la nuit des temps, le film va suivre le parcours nocturne, éclairé par la lueur intermittente d’une flamme, du petit enfant essayant de retrouver l’identité et le passé de cet homme. Il sonnera à la porte des habitants d’un village, se laissera bercer par des histoires dont on ignore si elles sont vraies ou inventées. Ben-David place sa caméra sur le seuil des maisons, provoquant un jeu très puissant autour de l’ailleurs, de l’intimité (on entre à peine dans les foyers, parfois sous forme d’hallucination). Captivant, rythmé par des zones d’ombre qui invitent à la rêverie, Have You Seen That Man ? confirme la présence d’un cinéaste qui n’a pas besoin d’élever la voix pour sonner juste.

Existe-il un lien entre, par exemple, Saturne, la communication à distance et l’Alzheimer ? Declan Clarke tente de répondre à cette question en élaborant, dans Saturn and Beyond, une passionnante dissertation visuelle aux multiples facettes, prise entre plusieurs registres : on navigue entre le film ouvertement pédagogique, façon Harun Farocki, où Clarke retrace avec sobriété et efficacité l’histoire de la communication électrique et le film autobiographique, tourné vers l’histoire personnelle de son père, atteint de la maladie d’Alzheimer. Rationnel jusqu’à l’os, Saturn and Beyond organise une économie de pensée très austère, obsédée par la nécessité des rapports, quels qu’ils soient, du moment qu’ils garantissent la communication : rapports entre les continents, entre les êtres, entre les images, génie du câble, éloge du lien, du courant (électrique, magnétique, neuronal). Pourquoi ? Parce que la démence, nous dit Clarke, c’est précisément la perte de liens, l’absence de rapports logiques. L’absence presque totale de son participe à créer une pureté de l’image et du montage, si ce n’est aussi un rapport à la maladie dénué de misérabilisme.

Lumbre, présenté en Compétition Internationale et réalisé par le mexicain Santiago Mohar Volkow semble travaillé par une question d’ampleur similaire à celle de l’œuvre récente de Carlos Reygadas : d’où vient la violence ? Le film s’ouvre sur une séquence prometteuse : figés dans le paysage, un groupe d’enfants joue à « un, deux, trois soleil » ; un coup de feu entendu au loin provoquera la mort de l’un d’entre eux. Si la provenance et les raisons de la violence arbitraire se posent d’abord en termes spatiaux (concrètement, de quel endroit vient la violence ?) le film migre ensuite vers des métaphores grossières (le deuil et le sexe, deux faces d’une même pièce, c’est facile), ou vers des hypothèses métaphysiques nettement moins intéressantes. Lumbre possède une évidente facture visuelle, mais les problèmes surgissent lorsque le film mutile son programme de départ, envahi par trop d’ambition où le style (fort) l’emporte sur tout le reste.


26 juillet 2021