Je m'abonne
Festivals

FIFA 2020 – Blogue n°2

par Gilles Marsolais

Après l’annonce de l’annulation de la tenue de l’événement, la direction du FIFA a réussi l’impossible en négociant les droits pour offrir aussitôt l’essentiel de sa programmation film sur l’Internet. Et à un tarif défiant toute concurrence. C’est ce qu’on appelle avoir le sens du timing ! La fenêtre est encore ouverte sur Vimeo pour une petite semaine. À vous d’en profiter. Voici quelques titres glanés pas tout à fait au hasard.

Je me permets de relancer Que l’amour, abordé par Samy Benammar. Ce film au titre inspiré d’une chanson de Jacques Brel est admirable, non par sa façon d’aborder ce monstre sacré mais par le portrait émouvant qu’il brosse d’un jeune maghrébin issu de l’immigration, dont le destin a basculé dans la prime enfance et qui a été sauvé par la découverte de cet artiste authentique et généreux, de son univers nourri par un amour inconditionnel des mots, de la poésie, de la langue française. Ce film de Laetitia Mikles retrace donc, au temps présent, ce parcours typique avec ses exaltations et ses déceptions. D’entrée de jeu, il faut voir comment Abdel (c’est son nom), affable, ouvert, mord dans la vie, après avoir échappé à la délinquence grâce à l’art dramatique. Comment, littéralement habité par l’univers de Brel, il s’investit dans le désir de le faire connaître, de le prolonger en devenant lui-même chanteur. Ce qui compte ici, ce n’est pas tant le résultat du projet, la naissance possible d’un chanteur autodidacte, que le chemin parcouru avant tout par un être humain doué d’un indiscutable potentiel et d’une énergie folle.

Bref, le dernier segment du film est tout simplement bouleversant, lors du séjour d’Abdel en Algérie, son pays d’origine. Il y découvre l’amour secret de sa mère pour la musique et la chanson française, le culte farouche des mots et de la langue française cultivé par son père, un poète voyou repenti qu’il rencontre pour la première fois. Des traits dont il a hérité, à l’évidence. Mais Abdel constate aussi ce qu’il pressentait : quoique fier de ses racines, il n’est plus tout à fait Algérien même s’il en a le passeport (probablement Kabyle, il ne parle pas arabe) et il doit mettre fin à son rêve « d’être un artiste ». D’autant plus que, en rencontrant par hasard un vieil imitateur, il vient d’être cruellement confronté à l’incarnation vivante de ce qu’il pourrait devenir s’il persistait dans sa lubie. Mine de rien, voilà un véritable « portrait » qui est loin de déparer le film sur l’art. Et rien n’indique qu’Abdel ne trouvera pas en lui les ressources pour rebondir une fois de plus, sur un autre front !

J’aime ces films qui ne livrent pas leurs secrets dès le début. À cet égard, L’affaire Caravage de Frédéric Biamonti est un incontournable. La découverte et l’attribution d’un tableau connu ou pas à un artiste célèbre, parfois dans la polémique, font régulièrement la manchette des journaux depuis quelque temps. Cette fois, l’attention se porte sur une toile trouvée dans un grenier à Toulouse après 400 ans d’oubli, que l’on pourrait attribuer au peintre italien Le Caravage. Celle-ci illustre un sujet connu : Judith égorgeant Holopherne. S’agit-il de l’original ou d’une copie, etc. ? Ce film malicieux est construit comme un thriller absolument passionnant. Il dévoile progressivement les éléments du mystère et d’un « scandale » possible, tout en semant judicieusement les indices qui pourraient permettre au spectateur de porter son propre jugement sur cette « Affaire Caravage ».

Bien sûr, les experts de tout acabit défilent pour évaluer l’authenticité de cette (re)découverte, sous l’angle du style et de la manière du peintre qui peut être diversifiée. En focalisant sur le visage de Judith, puis sur celui de la servante Abra. Aussi, et surtout, en mesurant la part d’interprétation de la scène dans l’optique de la démarche réaliste du peintre, etc. Mais, on se doute bien que ces avis ne sont peut-être pas tous désintéressés, puisque le montant de l’estimation de l’œuvre est colossal, de quoi grever le budget des plus grands musées ! Pour y voir plus clair (le tableau n’a pas encore été nettoyé), on fera aussi appel à un « explorateur des couches profondes » afin de procéder, comme il se doit, à une analyse technique par radiographie, infrarouges et fluorescence, afin d’y déceler de possibles reprises, les repentirs du peintre qui prouveraient qu’il ne s’agit pas que d’une simple copie, etc.

Or, on se doute bien que pendant tout ce temps le cabinet chargé de promouvoir la vente de ce trésor artistique n’est pas resté inactif. Justement, mine de rien, le film de Frédéric Biamonti s’emploie tout autant à cerner la personnalité fascinante de son directeur, Érik Turquin. Le spectateur peut suivre sur son visage l’évolution de ce dossier complexe, en accompagnant chacune de ses avancées et chacun de ses revers, et mieux comprendre la nature particulière de ce milieu du marché de l’art, avec son goût du risque. Et, bien sûr, comme il se doit, la clé de ce thriller captivant ne vous est donné qu’à la toute fin…

Dans un tout autre registre, on pourra regarder le film (de 52 minutes) de Mathilde Damoisel, Le procès de Lady Chatterley, présenté au FIFA en première nord-américaine sous le titre ou avec le sous-titre Orgasme et lutte des classes dans un jardin anglais. Le film revient sur ce procès intenté en 1960 par la Couronne britannique à l’éditeur Penguin pour interdire la publication du livre L’amant de Lady Chatterley (1928) de D.H. Lawrence. On y discute de la notion de pornographie, du puritanisme, de la libération de la femme. Et aussi du féminisme radical des années 1970 qui a alors fait interdire la publication du livre… Débats dans les chaumières !

Pour alléger l’atmosphère, pourquoi ne pas se frotter tout bonnement à la magie créatrice de Raôul Duguay par-delà la bittt à Tibi, un long métrage réalisé par Yves Langlois ? Duguay, cet artiste multidisciplinaire incontournable dans le paysage québécois, vient lui aussi des années 1970. C’est ce que je m’apprête à faire.

23 mars 2020

 

 


24 mars 2020