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Festivals

FIFA 2020 – Blogue n°3

par Samy Benammar

Cette édition 2020 du Festival du Film sur l’art propose, en parallèle de ses sections habituelles, un programme intitulé Lumière sur les films iraniens composé de onze films dont les thématiques communiquent et témoignent d’un consciencieux travail de commissariat.

D’abord deux courts d’animation viennent se positionner comme des contrepoints radicaux l’un par rapport à l’autre. Maned & Macho (Shiva Sadegh Asadi, 2017) est une démonstration de style impressionnante. Entièrement peint à la main image par image, le film est d’une précision telle dans ses mouvements que l’on se demande à plusieurs reprises s’il ne s’agit pas là de rotoscopie. Si la technique tend parfois vers le réalisme, la mobilité des textures permet quant à elle l’apparition progressive de visions et de fantasmes issus de l’esprit des personnages qui se matérialisent en bêtes sauvages venant faire basculer le film vers des scènes qui déforment l’espace jusqu’à offrir quelques séquences abstraites bien senties. Si le film réalisé seul est une prouesse technique, délicieuse de bout en bout, il ne parvient pas à suffisamment se démarquer du reste de ce qui s’est fait en termes de courts métrages d’animation ces dernières années et l’on a parfois le sentiment de voir apparaître des stéréotypes fatigants, comme les violons de la piste sonore qui appuient l’anxiété générale de l’œuvre. Mais ces quelques défauts restent secondaires et les qualités esthétiques permettent de passer outre. A l’inverse, Sink (2017) de Mahboube Kalaei est un film d’une simplicité radicale. Constitué d’un seul plan fixe, cette animation de trois minutes utilise une vidéo, celle d’un évier qui se vide, comme support d’une animation minimaliste, venant donner du sens à ce plan qui en lui-même est très évocateur. Il y a dans l’eau qui s’écoule une mélancolie triviale, poésie de cuisine où les figures animées sont entrainées par le quotidien. Ainsi, ces deux films d’animation travaillent leurs métaphores dans des perspectives qui poussent au dialogue.

Cette vision métaphorique du monde et de ses tourments est récurrente dans l’ensemble du programme. On retrouve la même structure dans Whole to part (2017, image d’en-tête) avec une conceptualisation visuelle autour d’un motif. Vahid Hosseini Nami y suit dans des images tantôt documentaires, tantôt fictionnelles, la trajectoire d’une statue arrachée puis réduite à l’état de cube et fondue. Évitant de situer historiquement l’action du film, la lecture en reste assez ouverte et développe un discours sur la tyrannie et l’acte de rébellion. Si les métaphores sont un peu éculées – carcasses animales dans des abattoirs, lumières ardentes d’une fonderie – la variation des plans, rapprochés puis larges, symétriques ou décadrés, donnent un rythme agréable à un film qui parvient à mettre en place une atmosphère de violence douce, aussi percutante qu’esthétiquement réussie. On pourrait être gêné par cette beauté de l’atroce mais l’aspect mécanique et le montage rendent l’ensemble assez immersif pour que l’on se laisse prendre dans le cauchemar du film.

A l’inverse, Lubion (2019), l’autre documentaire expérimental de la sélection, est extrêmement cru, s’ouvrant sur l’image de la boite du médicament qui donne son nom au film. On y suit la réalisatrice et son conjoint dans leur quotidien rythmé par un plan unique de leur chambre où ils procèdent chaque jour à l’injection de ce produit de fertilisation utilisé dans les procédures de grossesses In Vitro. Cette thématique peu abordée est ici montrée de l’intérieur, et les images de basse qualité de la chambre sont entrecoupées de modélisations médicales 3D. Toujours aussi conceptuel que le reste de la programmation, Lubion est un film difficile à regarder entre la violence sensorielle des images numériques et l’empathie physique ressentie face au visage de la cinéaste crispé par la douleur de l’injection. Si l’expérience souffre d’une certaine lourdeur dans des tentatives poétiques parfois ratée, il transmet de manière prégnante la douleur de la situation.

On pourrait poursuivre ce parcours au sein de la programmation Lumière sur les films iraniens avec la série de courts métrages de danse ayant chacun une approche spécifique du mouvement. On y trouve par exemple le long plan aérien de Flatland (2017) qui réduit les corps à des formes géométriques, le très beau plan séquence de The Dérive (2017) dans lequel une danseuse traverse les rues de Téhéran où la danse est interdite dans l’espace public, faisant de ce parcours un moment de grâce transgressive ou encore le flottement de Friday (2018) où les hommes et les femmes deviennent des figures échappant à la gravité dans un vidéoclip qui prend l’allure d’un trip psychédélique. Et si chacun de ces films apporte souvent une idée unique développée sur une dizaine de minutes, c’est leur présence au sein du programme qui permet d’en tirer toute la beauté. Au-delà de leurs propres qualités, les films sont sublimés par le travail de programmation et le bouillonnement qui se dégage de leur visionnement consécutif. C’est ainsi dans les dialogues et les échanges qui se font entre les courts métrages sélectionnés que le programme se dévoile progressivement multipliant les échos et offrant une vision aussi éclectique que fascinante de la production iranienne actuelle.


26 mars 2020