FIFA 2022 – 3 suggestions
par Gilles Marsolais
À l’occasion de son 40e anniversaire, le Festival international du film sur l’art s’impose comme un incontournable, s’affichant même, dans un geste rassembleur, comme « le plus gros » en son domaine. En formule mixte, en salle et en ligne, il offre une programmation abondante et diversifiée où le septième art n’est pas en reste. Libre au spectateur de concocter son menu à la carte, en fonction de ses propres intérêts.
Justement, Film, mémoire vivante de notre temps d’Inés Toharia aborde le champ du cinéma, dans l’optique du travail de la préservation des films. Sujet épineux s’il en est, en bout de ligne, quant à la formule idéale à adopter pour assurer la pérennité des œuvres qui, lorsqu’elles subsistent, sont souvent mal en point. Historiquement, les cinémathèques ont été créées dans les années 1930 pour entreposer et conserver les films qui disparaissaient après seulement quelques années de vie, victimes de leur support hautement inflammable ou du désintérêt des compagnies qui les avaient produits. Mais, cette initiative ne réglait pas la question de la préservation qui ne tarda pas à se poser de façon lancinante. Pour suppléer à ce manque, divers organismes ont vu le jour en Europe et aux États-Unis (comme le CNC en France, le Musée George Eastman à Rochester). Le film est par sa nature une matière vivante. D’où le titre de ce documentaire qui rappelle fort à propos la pensée d’Orson Welles sur le sujet : le film a une personnalité autodestructrice et le travail de l’archiviste consiste à anticiper cette érosion du film et à la prévenir. On ne saurait mieux dire, et tout le film est centré sur cette idée.
C’est là qu’intervient la fonction muséale des organismes précités, auxquels d’autres se sont ajoutés, tel The Film Foundation en 1990. Celui-ci a essaimé partout dans le monde et, de ce fait, mis en lumière les disparités de moyens entre les pays et les continents pour effectuer ce travail de préservation. Aux effets de la dégradation physique du film (abondamment illustrée ici) se greffe surtout la perte de la mémoire, aussi bien individuelle que collective, d’un peuple, d’une culture, d’une civilisation et de sa diversité. Cela concerne autant le film de famille (home movie) que le film plus spectaculaire. Le travail à effectuer pour sauver cette mémoire menacée de disparaître reste donc imposant. D’autant plus qu’une nouvelle donne, l’arrivée du tout numérique, offre de nouvelles possibilités tout en réservant ses propres surprises (notamment, le fameux problème du support qui mue sans arrêt) et elle impose aussi une redéfinition des compétences, etc. Quoi qu’il en soit, il importe surtout à terme de préserver le matériel original, l’œuvre d’origine. Retour à la case départ ! Bref, Film, mémoire vivante de notre temps offre un instantané instructif de la situation actuelle, tout en la situant historiquement, au moyen de nombreuses illustrations éloquentes.
On ne peut que saisir la balle au bond pour établir un lien avec L’œil, le pinceau, le cinématographe, naissance d’un art de Stefan Cornic. On y avance l’idée que l’œil proprement cinématographique existait déjà, avant même l’arrivée du cinéma en 1895. En ce sens que tout avait déjà été expérimenté ou rêvé par des artistes et par les futurs publics. On estime que le regard de l’être humain avait commencé de changer sous l’effet de l’industrialisation rapide, d’abord en intégrant la présence du train jusque dans la peinture où il apparaît comme un élément en harmonie avec la nature. Puis, en s’adaptant à la multiplicité des points de vue offerts par la reconstruction de Paris, entre autres, qui par ses nouveaux boulevards ouvrait alors de larges perspectives. Bref, ce contexte aurait favorisé la « spectacularisation » du regard au XIXe siècle, en plus de rendre le citoyen familier avec le travelling, le plan en plongée, etc. Le réalisateur aborde ensuite la décennie du « cinématographe » et l’action des frères Lumière, question de remettre en perspective le sujet même du film. Comme il le rappelle, à compter de 1907-1908, on ne parlait déjà plus du cinématographe, on allait désormais au « cinéma » ; mais, identifié avant tout à un spectacle, celui-ci mettra du temps à être reconnu comme un art, à devenir le septième art. La thèse de l’œil cinématographique préexistant développée par Stefan Cornic est plus ou moins convaincante, mais le film vaut le détour pour son aspect visuel : il offre un florilège de films d’archives de la vie parisienne à l’époque et des extraits pertinents des œuvres de cette période pré-cinématographique.
Incidemment, les films qui parlent du septième art sont nombreux cette année et ils l’abordent sous divers angles, dont celui du portrait. À coup sûr, Hannibal Hopkins & Sir Anthony de Julie et Clara Kuperberg s’impose comme un incontournable. D’entrée de jeu, dans ce film dynamique qui lui est consacré, Anthony Hopkins confesse son « égoïsme mégalomaniaque » et il affiche sa volonté farouche d’indépendance. Voire, en tant qu’acteur, il déteste être dirigé par un metteur en scène, au point d’avoir avec eux des rapports conflictuels, sauf avec James Ivory. Le film amorce son sujet en évoquant justement deux films qui ont marqué un tournant dans la vie de l’homme et de l’acteur : Silence of the Lambs (Jonathan Demme, 1991), qui lui a valu un Oscar et qui l’a propulsé au faîte d’Hollywood, ainsi que Howards End (James Ivory, 1992), qui lui a révélé une autre dimension du cinéma. Originaire du pays de Galles, le fils unique et l’enfant solitaire qu’il était, parce que différent, est devenu en réalité, selon son propre aveu, un être rebelle, combattif et ambitieux. Ce qu’il révèle de lui-même ne s’apparente pas une posture, au sens figuré du terme, mais constitue plutôt une preuve de sa lucidité. Il précise même que « pour réussir dans ce métier, il faut être perturbé ». Au total, le cinéma lui aura permis de prendre sa revanche sur son enfance (avec sa scolarité difficile), mais la reconnaissance (venue sur le tard) ne l’aura pas aveuglé quant à son statut : il insiste sur le fait qu’il n’est pas une star, mais un acteur. Il affirme même n’avoir que quatre ou cinq bons films à son actif. Ce documentaire, captivant par sa façon d’utiliser les extraits des films, prouve le contraire.
Pour tous les détails sur le festival, c’est ici.
17 mars 2022