FIFA 2023 – McCURRY : THE PURSUIT OF COLOR
par Gilles Marsolais
Le Festival international du film sur l’art poursuit sur sa lancée, en formule mixte, en salle et en ligne, en se voulant un peu plus éclectique dans ses choix cette année. La pertinence de cette politique restera à évaluer une fois la poussière retombée. Quoi qu’il en soit, le public reste libre de ses propres choix devant un menu à la carte qui, incidemment, offre un filon intéressant à suivre, celui du rapport consubstantiel du cinéma à la photographie.
En effet, le métier de photographe attire irrésistiblement les gens de cinéma et il peut en résulter des films documentaires qui retiennent l’attention. McCurry: The Pursuit of Color de Denis Delestrac est de ceux-là. C’est sans détour que le cinéaste nous fait rencontrer le photographe dont le travail est mondialement connu. Notamment pour quelques-unes de ses photos reconnaissables entre toutes, dont celle de l’adolescente afghane aux yeux verts, une photo publiée en 1985 dans le National Geographic. Celui-ci, Steve McCurry, est à la fois notre guide et le sujet du fim, et il s’adresse directement à nous en quelque sorte. Il parle de son travail au fil des années dans diverses régions du monde, notamment en Asie du Sud-Est, et ses propos sont aussitôt corroborés par des photos ou des extraits de films, anciens ou actuels, le montrant à l’œuvre sur le terrain. Un montage diabolique rend cette approche très efficace. Avec le résultat que le photographe est omniprésent, autant que ses œuvres. À la mesure du personnage toujours en mouvement, le film n’est donc pas statique. Et, incidemment, il évite ainsi le piège des têtes parlantes : tout au plus, sa sœur et un ami évoquent son enfance pour mieux le situer. Aussi, le réalisateur illustre bien les rapports de promiscuité et d’authenticité que recherche McCurry, tout en travaillant dans l’instant présent. Il peut capter aussi bien l’image de jeunes ados dans leurs jeux de la vie quotidienne que le désespoir sans nom qui se donne à lire dans le regard d’autres enfants. On comprend que sa quête se concentre à déceler la part d’humanité qui subsiste chez les gens, même dans les pires conditions.
Concrètement, au moyen d’extraits divers, le cinéaste rend compte de la richesse des couleurs tant recherchée par le photographe, en référence au titre même du film. Inévitablement, même à l’écran, les zones grises ou sombres, marquant la désolation d’un lieu, intensifient l’éclat des couleurs de la partie de l’image où doit se porter le regard. Ajoutons que même le relief est aussi mis en valeur à l’occasion, inévitablement, au moyen des photos toujours présentées plein cadre : hommes en armes en Afghanistan, baïonnette au canon pointant à l’avant-plan, pratiquement hors champ, vers le public … qui peut se sentir menacé ! Ce qui nous amène au cœur d’une polémique, qui a fait la manchette il y a quelques années, dont Steve McCurry se serait bien passé. Rappelons que celui-ci, né en février 1950, s’est imposé comme photojournaliste lorsque le New York Times a publié, le 29 décembre 1979, des photos de son incursion sur un champ de bataille quelque part dans les montagnes, à la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan. Il avait pu y accéder au terme d’une longue marche de plusieurs jours, avec l’aide de combattants auxquels il s’était joint, juste avant l’invasion soviétique. Ces photos qui ont alors fait le tour du monde apportaient la preuve de l’existence d’un conflit bien réel dans la région. Par elles, Steve McCurry était désormais identifié comme photojournaliste.
Or, il y a quelques années, en 2016, la publication d’une de ses photos sur Cuba, manifestement arrangée (impliquant le déplacement d’un poteau de circulation), a provoqué un malaise au sein de la profession et dans certains milieux. On s’est alors mis à débattre des notions de Vérité et d’Objectivité, ainsi que de l’éthique journalistique. Dans la foulée, on a découvert que d’autres photos de Steve McCurry prises ailleurs avaient aussi fait l’objet de « retouches » (comme le retrait d’un personnage ou d’objets), afin d’obtenir la photo parfaite, qui est la marque de commerce du photographe. Celui-ci a eu du mal à se dépêtrer de cette situation, en clamant d’abord : « Je suis un artiste – Je raconte des histoires avec mes photos », avant de déclarer enfin : « Je ne suis pas un photojournaliste ». De cette façon, il se dégageait du principe de la NPPA (National Press Photographers Association) auquel adhèrent les photographes de presse américains : « Toute altération de la vérité constitue un manquement à l’éthique ». Mais l’Agence Magnum (dont il est membre depuis 1986) et le National Geographic ne se sont pas contentés de la déclaration de Steve McCurry. Ils ont même retiré de leur site certaines de ses photos suspectées de manipulation, étant donné que ses pairs et le public le tiennent toujours pour un photojournaliste !
Le malaise vient de ce que même les spécialistes chargés de faire connaître son œuvre semblaient n’avoir pas remarqué ni intégré cette mutation survenue chez lui, alors que lui-même était muet sur la question. Du coup, tout devient affaire de contextualisation et de nuances. Certes, il convient de présenter autrement sa production relevant du photojournalisme, qui en définitive se doit de respecter l’esprit d’une image, de celle qui pourrait s’en écarter. Mais, cette dernière n’est pas forcément fautive ni déviante, sous le prétexte qu’elle se veut plus personnelle, voire ouvertement artistique, en misant toujours notamment sur les contrastes et les couleurs. Denis Delestrac se contente d’effleurer cet épisode malheureux. On peut le regretter. Mais on comprend aussi que le sujet appelle mille et une nuances et discussions relatives aux modalités du respect de l’image à l’ère du numérique et du travail en post-production qu’il implique, ainsi qu’à la distinction à établir entre le montage et la manipulation (qui, elle, vise à fausser la signification de l’image), et qu’il aurait pu faire déraper le film qui se veut avant tout un portrait dynamique du célèbre photographe.
Incidemment, le film sur l’art, on le sait, manifeste un penchant pour le portrait. Deux films différents, axés sur le cinéma, attirent le regard cette année : Belmondo, l’incorrigible de François Lévy-Kuentz et Jane Campion, the Cinema Woman de Julie Bertuccelli.
Pour tous les détails sur le festival et les horaires, veuillez consulter le site web du FIFA.
Pour voir McCurry: The Pursuit of Color, dirigez-vous vers la page du film.
17 mars 2023