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Festivals

FIFA 2025 – Retour sur 2 films

par Gilles Marsolais

Michel Gondry, Do It Yourself

La 43e édition du FIFA affiche d’emblée ses couleurs en présentant en ouverture le film de François Nemeta, Michel Gondry, Do It Yourself (2023). Comme le suggère ce titre, on nous propose une plongée dans l’univers insolite de Michel Gondry en compagnie de celui qui est peut-être le mieux placé pour ce faire, son ami et son directeur photo depuis plus de 20 ans, qui officie ici en tant que réalisateur. Mais, par ailleurs, on dit de Michel Gondry, qui occupe une place singulière dans le paysage audiovisuel (clip musical, vidéoclip, film, etc.), que lui-même et son œuvre sont à ranger dans la mouvance de linsaisissable, et que de film en film celui-ci est toujours là où on ne l’attend pas. Que ce soit aussi bien par le sujet qu’il aborde que par son approche. À quoi s’attendre alors?

Gratifié en 2005 de l’Oscar du meilleur scénario pour sa collaboration avec le scénariste Charlie Kaufman sur Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), ce Français établi aux États-Unis est pourtant le plus souvent critiqué justement pour la faiblesse même de ses scénarios! Ainsi en fut-il de son adaptation à l’écran de L’écume des jours de Boris Vian, alors tièdement accueilli en France (2013). Paradoxalement, on reprocha aussi à ce même film son accumulation gratuite d’effets visuels. Or, en résumant grossièrement, on peut affirmer que c’est pourtant par le visuel que Michel Gondry, aujourd’hui dans la soixantaine, parvient encore à étonner. Mais aussi, semble-t-il, à lasser parfois certains spectateurs (des esprits chagrins qui refuseraient d’aller vers l’inconnu).

Alors qu’en est-il de ce « portrait de cinéaste » que nous offre le FIFA, réalisé par François Nemeta, un fan qui ne devrait pas s’en laisser imposer? En réalité, pour faire court, ce film passionnant parvient à livrer un portrait intime de Michel Gondry et de son univers créatif, éclectique « jusqu’à la déraison ». Mais il faut reconnaître que, à la base, la structure même de ce documentaire est plutôt convenue. Elle est strictement constituée d’une suite de segments semblables, qui se succèdent tout simplement au gré de la trajectoire du personnage dont on trace le portrait. Forcément, on y fait souvent recours à des vidéoclips diffusés à la télévision ou sur d’autres plateformes, plutôt qu’à des extraits de films plus substantiels, sûrement pour des raisons budgétaires. Aussi, des extraits d’entrevues avec des compagnons de route, actuels ou du passé (dont certains sont forcément aussi dans la soixantaine) sont souvent trop brefs, parce que axés uniquement sur la bonne répartie à monter en épingle afin de produire l’effet-choc recherché. Cette approche, qui évite le piège des « têtes parlantes » qui seraient figées dans des décors fixes, réussit certes à créer un produit survolté, en concordance avec Michel Gondry et son univers. Cependant, au total, l’ensemble de ce dispositif dynamique mais répétitif, qui mise surtout sur le punch, n’évite pas tout à fait de susciter une impression de trop-plein. Aussi, mine de rien, François Nemeta se laisse prendre au piège de l’hagiographie, alors que tous les personnages, icônes musicales ou du vidéoclip, ou du cinéma, sont convoqués pour se remémorer et se raconter, preuves à l’appui, leurs bons coups! C’est dire la richesse des archives qui s’y trouve néanmoins.

Mais, malgré cela, le film est passionnant par sa façon de cerner et de transmettre la philosophie de Michel Gondry, qui se résume à ceci : fais ce que tu veux, comme tu veux, sans te préoccuper de ceux qui voudraient t’en empêcher, même avec les meilleures intentions du monde! Cette façon de vivre était déjà la sienne dès sa première rencontre avec François Nemeta, alors qu’il était aussi batteur du groupe musical  éphémère OUI-OUI qu’il avait créé. Attiré par son approche du dessin, celui-ci allait aussitôt découvrir les multiples facettes de cet oiseau rare qui en arrivera à signer les vidéoclips de plusieurs groupes et artistes, avant de se lancer aussi dans le cinéma. À l’évidence, Michel Gondry a su s’aménager un espace de liberté et de créativité qui lui ont permis de se réaliser et de changer le monde à sa façon. Simplement au départ avec un pot de colle, des bouts de carton et du papier, et du bricolage à la main image par image! En cela, le choix d’ouvrir cette édition du FIFA avec ce film de François Nemeta (Michel Gondry, Do It Yourself, 2023) est tout à fait justifié. Il cadre parfaitement avec le désir exprimé cette année de préserver l’art comme l’un des derniers espaces de liberté pour assurer notre avenir collectif en ces temps troubles!

Soundtrack to a Coup d’Etat

À cet égard, un autre film incontournable vient nous le rappeler : Soundtrack to a Coup d’Etat de Johan Grimonprez. Primé à Sundance et mis en nomination aux Oscars comme meilleur documentaire lors de la 97e cérémonie, ce film qui retrace le processus de l’indépendance du Congo belge, jusqu’au moment de l’assassinat de Patrice Lumumba, est précédé d’une réputation enviable.

Certes, on pourrait d’abord s’interroger sur les rapports entre la politique et le film sur l’art, qui ne vont pas de soi. Mais cet a priori est vite évacué. D’autant plus que ce documentaire de Johan Grimonprez, qui insinue que lart peut être utilisé comme une « arme diplomatique » au plan international, s’emploie justement à dévoiler le rôle joué par le jazz dans la décolonisation du Congo belge. Ce qui correspond à une réalité. Partant, celui-ci en rajoute même une couche en faisant de cette réalité un principe de réalisation pour son propre film, en y établissant même des liens audacieux.

Rigoureux dans son approche des faits relatés et dans son traitement des archives, le film est donc aussi ouvert à l’imagination, et le réalisateur ne craint pas d’accorder à l’émotion la place qui lui revient. Celle-ci s’exprime à l’écran notamment à l’occasion des concerts convertis en autant de lieux de résistance. Ceux-ci contrastent avec ces moments où on nous dévoile frroidement l’ampleur de l’ingérence des institutions occidentales et des injustices raciales, jusque dans ce processus de libération, afin de préserver les structures de pouvoir en place.

Mais revenons au début. Le film (d’une durée de 2h30) prend d’abord le temps de nous présenter un lieu et surtout des personnages que l’on apprendra à connaître, notamment grâce à des cartons de commentaire qui les identifient, en prenant soin de citer les sources de cette information. Le tout dans un parfait désordre qui témoigne du fait que le tournant des années 1950-1960 fut chaotique au plan politique, alors que de nombreux pays (16, uniquement en Afrique) accédaient à l’indépendance et se dégageaient de « l’esclavage colonial », notamment en Afrique et en Indonésie. De plus, la narration s’autorise de nombreux flash-backs sur une période concernée relativement courte. Mais le film se concentre assez vite, malgré tout, sur la décolonisation du Congo belge et sur le parcours de Patrice Lumumba qui fut (du 24 juin au 14 septembre 1960 !) le premier Premier ministre de la république démocratique du Congo (alors république du Congo, 1960-1964), avant qu’il ne soit assassiné, le 17 janvier 1961. Parmi les personnages qui défilent, on y voit les puissants de ce monde en dérapage contrôlé à l’occasion de leur présence à l’ONU ou ailleurs. Nikita Khrouchtchev, Premier secrétaire soviétique, avec ses contradictions apparentes, se dégage nettement en train de faire son cirque avec ses coups de poing légendaires sur son pupitre. Dans la foulée, Lumumba devient prisonnier des questions insidieuses des journalistes : Êtes-vous communiste ? – Non, …Africain ! Du coup, les Africains, manipulés ou non par les nombreux représentants de la CIA, avaient déjà décidé que cette « guerre » serait The Cool War, en y introduisant le jazz.

La musique est littéralement dans tous les plans du film. Soit qu’elle est partie prenante du sujet même qui y est traité, ou qu’elle s’impose comme une accompagnatrice naturelle, soit par le rôle d’observateur critique et ironique qu’on lui fait jouer, ou autrement. Et ça fonctionne d’autant plus que ce sont les vedettes mêmes du jazz qui sont mises à contribution : Louis Armstrong, Duke Ellington, Miles Davis, Charles Mingus, Thelonious Monk et d’autres que Dizzy Gillespie nommera avec humour au sein de son propre cabinet politique ! Aussi, le recours fréquent au noir et blanc des archives ou d’autres sources établit, par les vertus du montage, une continuité visuelle et sonore remarquable entre les divers niveaux de la narration et de la réalité du film. Preuve de l’intégration de cette musique : l’hymme à la liberté qui se répand partout en Afrique lors de la proclamation de l’indépendance du Congo, le 30 juin 1960. En fin de parcours, le film rappelle la pertinence du titre choisi : Bande sonore pour un Coup d’État !

Patrice Lumumba voulait que la libération de son pays se réalise rapidement et qu’elle serve d’exemple pour la libération de tout le continent africain. En fait, c’est un bloc afro-asiatique qui s’est alors constitué pour faire front commun contre les puissances coloniales, au point de désorganiser le fonctionnement même de l’ONU. C’est pour cela, entre autres, que la CIA n’aimait pas trop Lumumba ! D’autant plus que le Congo, via le Katanga, était déjà identifié comme le lieu par excellence où se trouvent les produits de la bombe atomique (uranium, cobalt, titane, etc.) et les minerais stratégiques pour une guerre dans l’espace. Ceci expliquant cela. Le coup d’État était déjà annoncé.

Mais, c’était sans compter le coup d’éclat de l’arrivée de la femme africaine en politique, à cette occasion.

 


19 mars 2025