FNC 2014 – Des choix à faire pour les 15 et 16 octobre
par Gilles Marsolais
Place au cinéma québécois!
1 – Des films québécois
Au cours des deux prochains jours, le FNC met l’accent sur le cinéma québécois. On voudra voir les deux films aspirant à la Louve d’or dans la Compétition internationale : L’amour au temps de la guerre civile de Rodrigue Jean et Félix et Meira de Maxime Giroux, tous deux précédés d’un buzz critique très favorable ici même ou à Toronto. Le film de Maxime Giroux a même remporté le Prix du meilleur film canadien, à Toronto. Et on a l’embarras du choix pour les autres films québécois projetés au cours de ces deux journées dans le cadre du festival. Dans la section Focus : Antoine et Marie de Jimmy Larouche, sur la descente aux enfers d’une femme victime de la drogue du viol; Fucké de Simon Gaudreau, un documentaire sur les locataires défavorisés d’un immeuble pour assistés sociaux; Gaétan de Jules Falardeau (le fils du regretté Pierre) et Naïm Kasmi, qui propose sur le ton de l’humour noir le portrait d’un être hors norme qui pourra décontenancer certains spectateurs; Un repli de Guillaume Roussel-Garneau, sur une génération à la dérive. Sans oublier, dans la section Événement, la projection commentée du film de Stéphane Lafleur, Tu dors Nicole. Que demander de plus?
2 – L’amour au temps de la guerre civile de Rodrigue Jean
L’amour au temps de la guerre civile de Rodrigue Jean ouvre la marche de tous ces films qui – signe des temps – s’intéressent aux marginaux de la société, aux rejetés d’un système de plus en plus impitoyable envers ceux qui n’arrivent plus à suivre le rythme ou qui refusent de s’y conformer. Sur le mode de la fiction, le cinéaste plonge à nouveau dans le quartier Centre-Sud de Montréal pour en prendre le pouls et la température. On y rencontre Alex, prostitué toxicomane (Alexandre Landry, révélé dans Gabrielle, méconnaissable ici et convaincant), et ses amis du même clan qui tous s’enfoncent dans la même solitude, en s’accrochant du mieux qu’ils peuvent au moment présent. Ce moment présent, ils le consomment furieusement, et de façon compulsive, dans les drogues dures et le sexe. Sans porter de jugement (les silences sont éloquents et les images parlent d’elles-mêmes), le film montre l’horizon limité de leur va-et-vient répétitif et de leur désir inassouvi, exacerbé, à l’intérieur d’un univers clos, perdu dans l’indifférence du monde qui les entoure. Pire, sous les apparences d’une entraide (argent, drogue, appartement), les membres de cette tribu reproduisent entre eux les rapports d’exploitation d’un système économique qu’ils ont quitté. Ainsi, Alex semble corvéable à souhait, jusqu’à ce qu’il en arrive (possiblement) à flasher, à se réveiller. Sur ce point, la fin du film reste ouverte aux interprétations. Aussi, le film montre les scènes de sexe, mais sans être voyeur, puisque la chair y est triste, douloureuse même, comme si elle était privée de toute signification, alors que les partenaires s’empressent de replonger dans la dope avant même d’avoir joui, d’avoir assimilé ce moment présent privilégié. Et, pendant tout le film, qui maintient la ligne dure, la caméra épouse le rythme de vie de ces personnages perdus dans la nuit.
3 – Ouïghours, prisonniers de l’absurde de Patricio Henriquez
Vous devez voir, toutes affaires cessantes, un film tel que Ouïghours, prisonniers de l’absurde de Patricio Henriquez, documentariste de premier plan. Ce film passionnant et fort bien documenté, dont les témoignages et les images percutantes ne peuvent laisser indifférent, s’intéresse au cas d’une vingtaine de membres de cette minorité chinoise, musulmans d’origine turque, qui ont été vendus comme « terroristes » aux Américains et emprisonnés pendant une dizaine d’années à Guantanamo, victimes innocentes de « la froide logique des intérêts géopolitiques dans le contexte de l’après 11 septembre 2001 ». Un film incontournable, à voir sans faute, parce que le réalisateur (comment, diable, a-t-il pu se procurer toutes ces images?) va directement au cœur du problème qui gangrène la politique extérieure américaine et parce qu’il permet à tous, d’une façon alerte et captivante, de comprendre sur quelles bases s’effectue ce retour à la barbarie de notre monde dit civilisé. Incidemment, l’ouverture de Guantanamo avec son programme de kidnapping en série orchestré par l’Oncle Sam n’est sûrement pas étrangère à la multiplication et à la radicalisation des prises d’otages initiées par le camp adverse.
4 – Je suis à toi de David Lambert
Mais le cinéphile n’est pas en reste pour autant au plan du cinéma international. Si vous l’avez raté, je relaie ma collègue Céline Gobert pour vous enjoindre de rattraper, le mercredi 15, Je suis à toi de David Lambert, une coproduction du Québec avec la Belgique. Un boulanger belge corpulent et barbu accueille chez lui un jeune apprenti argentin qui, bredouillant quelques mots de français, a grand besoin d’être pris en main pour se refaire et s’accrocher à la vie. Dans ce film, le cinéaste capte avec doigté les hauts et les bas de cette relation trouble initiée sur l’internet et scellée par un pacte sexuel. Du coup, sur le ton de la tragi-comédie ancrée dans la réalité belge, il aborde frontalement un certain nombre de clichés et de préjugés, sans se faire moralisateur. À l’image de la séquence finale qui surgit comme un rêve éveillé, comme un désir réalisé, cette relation improbable est truffée de quelques moments de fantaisie pure qui renvoient à l’idée de l’amour et du bonheur, au cours desquels le boulanger s’abandonne totalement. Un film jouissif qui a valu au jeune Nahuel Perez Biscayar un Prix d’interprétation à Karlovy Vary.
5 – She’s Lost Control d’Anja Marquardt
On ne peut en dire autant de She’s Lost Control d’Anja Marquardt, présenté en Compétition officielle. Une jeune femme, qui se révèle être sexologue ou une quelconque aidante en rééducation psychologique, s’amourache de l’un de ses patients qu’elle tente de décoincer. Réaction violente de celui-ci : il cogne et s’en veut à mort de s’être finalement retrouvé au lit avec elle, de s’être laissé entraîner dans cette dérive. Parallèlement, la brave jeune femme, dont l’horizon de vie spartiate est terriblement limité, doit affronter des problèmes de plomberie qui menacent sérieusement sa propre santé mentale, avec des poursuites judiciaires à la clef. Vous pigez la subtilité de ce rapprochement? Bref, le filmage de ce premier film est à l’avenant : la solitude du personnage est surlignée par la froideur de l’éclairage et la nudité systématique des décors.
Pour faire contrepoids, vous pouvez rattraper Bande de filles de Céline Sciamma, un film de lutte, résolument politique, qui a bénéficié d’une critique unanimement favorable à Cannes. Ou des films tels que In the Basement d’Ulrich Seidl et Xi You (Journey To The West), moyen métrage sans paroles de Tsai Ming Liang…
14 octobre 2014