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Festivals

FNC 2014 – Quatre films à voir absolument

par André Roy

CE QUI NOUS RESTE

Dernières suggestions avant la fin du Festival du Nouveau Cinéma.

1. CAVALO DINHEIRO de Pedro Costa
Pedro Costa tourne dans le quartier lisbonnais Fonthainas depuis 1996. Depuis Ossos (1996), il y a filmé ses habitants, ses marginaux, la vie quotidienne avec une petite caméra, une équipe plus que réduite, avec des amis. Il y a croisé Ventura à plusieurs reprises durant ses tournages, ce solitaire, cette sorte de hors-la-loi qui, travaillant dans le bâtiment, s’est blessé et n’a plus travaillé. Le cinéaste l’a intégré dans Dans la chambre de Vanda (2000) et dans En avant, jeunesse (2006). Quand le réalisateur le place de nouveau devant sa caméra pour Cavalo Dinheiros, c’est pour lui faire raconter sa vie. En particulier, sa peur durant la révolution des Œillets. Mais c’est aussi le passé colonial portugais qui remonte à la surface. On dirait que le corps, le visage, la voix de Ventura ont obligé encore une fois Pedro Costa à tourner différemment un film. Entre lyrisme et abstraction, c’est presque théâtral avec cette immobilité de la caméra, ces fonds uniformes sur lesquels se détachent les personnages comme des rayons de couleur, cette manière de dire l’histoire souterraine de l’univers de Ventura — qui est pour Costa un abîme. Les cauchemars, les fantômes, les traumas du passé sont capturés à force d’attention, de patience, entre silences, paroles et chansons. Le devoir du cinéma, semble nous dire le réalisateur, est de donner vie aux morts. Que ce soit eux qui habitent inexorablement le cinéma. Et que le cinéma soit ce peu qui nous reste encore pour notre mémoire terrestre.
Le film est projeté samedi 18 octobre, au Quartier latin, salle B, à 17 h.

2. STILL THE WATER de Naomi Kawase
Deux enfants découvrent au fil des jours la vie, la mort, l’amour. Ce pourrait être cliché, une idée de fiction usée. Mais non, c’est un récit d’initiation fragile, sensible, émouvant. Une histoire où la nature est aussi un personnage, reflétant tristesse, angoisse, joie ou déchaînement des sentiments. La forêt et la mer scandent le passage de la vie à la mort, de l’enfance à la puberté. Sur l’île d’Amami, non loin d’Okinawa, reconnue pour le caractère divin attribué à la nature par ses habitants, vivent Kyoko, une jeune fille qui voit sa mère agoniser, puis mourir, et Kaito qui découvre un corps noyé dans la mer et se met en tête d’enquêter sur cette mort mystérieuse. Petit à petit, nous découvrirons avec les enfants que la dichotomie entre adolescence et maturité est mince. Que la barrière entre vie et mort est indécise. Que le seuil entre les humains et les dieux n’existe pas. Tel est la morale philosophique qui se révèle progressivement aux deux enfants. La cinéaste les accompagne avec une telle douceur, un tel enchantement que nous ne pouvons qu’être touchés profondément par eux. Malgré les tourments et les inquiétudes qui traversent les personnages, tout est ici grâce et beauté. La sensualité et l’harmonie se dévoilent entre ellipses narratives, images tremblantes de la caméra tenue à l’épaule et vues amples à vol d’oiseau. Still the Water est un poème délicat, contemplatif, élégiaque.
Le film est projeté dimanche 19 octobre, au Cinéma du Parc 1, à 16 h 30.

3. ADIEU AU LANGAGE de Jean-Luc Godard
Comme toujours chez Godard, rien n’est innocent ni naïf, comme ce titre qui dit ce qu’il dit : voici un adieu, un vrai, à tout ce qui a fait le cinéma, à tout ce qui a été machiné en son nom, à tout ce qui l’a défiguré. Adieu au langage, c’est du  vrai cinéma et plus que du cinéma. C’est un exercice de méditation, une prière, une cérémonie fastueuse, ténébreuse, alchimique. Oui, Godard dit ici adieu au cinéma, au monde, dans ce film crépusculaire aux couleurs neuves et inoubliables. Ce n’est pas triste; c’est même joyeux comme dans certains enterrements où on chante et on boit (comme au Mexique). C’est une fête de sens, de milliers de sens. C’est la célébration de la couleur comme nous l’avait déjà donnée Nicolas de Staël; les couleurs éclatent, s’étalent, éclaboussent, dégoulinent; c’est un feu d’artifice qui nous brûle. Le plan est plus qu’un plan, c’est une perspective, un brouillard, une fuite en avant, un décalage; il est plus que tout une saturation de sons, de bruits, de musiques, de conversations, de voix off. Tourné en 3D avec des téléphones intelligents, des caméras Go-Pro, des appareils photo, Adieu au langage est un essai d’investigation cinématographique, comme il est aussi un essai d’investigation littéraire — pour reprendre le sous-titre de L’archipel du goulag de Soljenitsyne cité dès les premières images — avec toutes ces citations et ces personnages historiques (Mary Shelley et Byron). Le film est un poème pétillant, diffractant, furieux, agité, psychédélique (si on osait ce mot). C’est une fenêtre sur le monde qui s’en va; c’est un musée imaginaire; c’est un poème d’amour à ce qui nous reste, comme à ce chien Roxy, qui, marchant, pissant, chiant, nous regardant, semble nous dire, aussi mélancolique que celui qui a transformé le cinéma de fond en comble, qu’il est bon de rêver.
Le film est projeté samedi 18 octobre, au Cinéma du Parc 1, à 17 h.

4. PASOLINI d’Abel Ferrara
Comme quoi après un film raté, un cinéaste peut nous donner un grand film. Je veux dire : après son malheureux Welcome to New York, Abel Ferrara nous offre une grande œuvre, Pasolini, ajouté en film surprise à la programmation du FNC. Ce cinéaste américain qui a toujours été prêt à prendre tous les risques, défiant autant le bon goût que la pensée correcte, s’attache à la figure de cet intellectuel, lui-même inclassable, poète, romancier, essayiste, polémiste et cinéaste qu’est Pier Paolo Pasolini. Il le suit pendant les quelques heures qu’il lui reste, jusqu’à son massacre sur une plage d’Ostia près de Rome. PPP revient de Suède où il a rencontré Bergman, a finalisé le montage de Salo et est en train d’écrire ce qu’il considère comme son livre le plus important, son roman Pétrole — dont l’édition après sa mort créera un scandale. Ce roman en fragments servira d’articulation à l’évocation des derniers jours de Pasolini. Entre le petit déjeuner avec sa mère, une interview avec un journaliste et une drague autour de la station romaine Termini, le cinéaste élit quelques notes (ainsi sont nommés les fragments) de Pétrole, dont la fameuse fellation à un groupe de garçons. Toute la mise en scène, comme cette évocation sexuelle, crée constamment un climat de danger autour de Pasolini, une aura infernale. Quelque chose d’angoissant, d’inquiétant s’infiltre, comme si le poète et cinéaste attendait que le Mal l’attaque pour une dernière fois. Sa vie, son œuvre, ses passions semblent bien soumises à un destin tragique, que le cinéaste suggère, en procédant par ellipses, en choisissant les événements minuscules du quotidien. Il compose littéralement une mosaïque de la nature intellectuelle de Pasolini : celui qui remet en question le sacré, pourfend le consumériste de la société, renie la joie dans toute sexualité. Ferrara évite tous les pièges du biopic en s’attardant à quelques traits et faits : les projets de PPP, son amour pour sa mère, ses amitiés (avec Ninetto Davoli qui apparaît ici sous les traits de Toto, inversant son rôle dans Des oiseaux petits et gros), sa fréquentation des ragazzi, son engagement professionnel, etc. Le filmage du cinéaste américain est cette fois noble, son instinct se fait ici rigueur. Le film est un hommage subtil et attachant dans lequel Willem Dafoe incarne avec génie et une ressemblance étonnante un Pasolini intense et sombre. On ne peut qu’admirer le travail d’Abel Ferrara.
Le film est présenté dimanche 19 octobre, à l’Université Concordia, à 20 h.

 

 


17 octobre 2014