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Festivals

FNC 2015: 16 au 18 octobre

par Gilles Marsolais

Un peloton de tête imposant se pointe dans le dernier droit du Festival, du 16 au 18 octobre. À tel point que le cinéphile ne saura où donner du regard parmi les films à l’affiche. D’autant plus que plusieurs grosses pointures font l’objet d’une projection unique! C’est le cas notamment de Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul, et du film de clôture The Forbidden Room de Guy Maddin.

# 1. Cemetery of Splendour d’Apichatpong Weerasethakul

Apichatpong Weerasethakul (Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures, Palme d’or à Cannes en 2010), donne à nouveau de ses nouvelles après Mekong Hotel (2012). Relégué, à Cannes cette année, dans la section Un certain regard, Cemetery of Splendour renoue en quelque sorte avec l’atmosphère, voire avec « les esprits » qui hantaient le petit monde de l’Oncle Boonmee, en mettant en scène des personnages survivant à la lisière de la jungle et s’accommodant fort bien d’un monde de rêves et d’hallucinations. Entre autres, une femme solitaire étrangement dévouée et un groupe de soldats atteints d’une mystérieuse maladie du sommeil, plongés dans une sorte de « coma intermittent » qui les retire du monde des vivants pour de longues périodes. L’action se déroule dans un hôpital provisoire installé dans une école abandonnée qui sera bientôt démolie, apprend-t-on, parce qu’elle se trouve sur un site mythique, probablement un cimetière de rois vindicatifs. Et il existerait un lien entre ces deux niveaux de cohabitation. Dès lors, les allusions à la situation actuelle de la Thaïlande ne peuvent échapper au spectateur éveillé. Dans le film, pour tenter d’y voir clair, on fait appel aussi bien aux rêves qu’aux croyances médiumniques. Encore qu’une jeune fille qui prétend pouvoir communiquer avec « les esprits » des morts finisse par semer le doute sur ses compétences réelles!

Apichatpong Weerasethakul reste fidèle à lui-même, mais ce film se veut moins grave, moins cérémonieux que Oncle Boonmee (…). Le réalisateur illustre, mais tout en ayant l’air de prendre ses distances sur un ton amusé, ce monde de croyances et de superstitions, qui peut se manifester en tout temps dans la vie quotidienne. Pour l’essentiel, l’action se déroule d’ailleurs à la lumière du jour plutôt qu’à la faveur de la nuit, forcément plus sensuelle. Aussi, la narration y est plus linéaire et le style du film est en général plus réaliste, entre deux séquences inspirées ou le chef-opérateur joue avec les couleurs (bleu/rouge) et l’éclairage (à partir de néons qui peut-être auraient le pouvoir de raviver certains souvenirs chez les soldats endormis). La magie n’opère plus de la même façon ici, et de ce fait Cemetery of Splendour ne suscite pas un envoûtement comparable à celui de la découverte d’Oncle Boonmee (…), même s’il demeure une belle « invitation au voyage », tout en proposant une réflexion sur l’importance de la mémoire et du passé pour la compréhension du monde actuel. On y reviendra forcément.

# 2. The Forbidden Room de Guy Maddin et Evan Johnson

Jeune cinéaste à l’aube de la soixantaine (il est né à Winnipeg le 28 février 1956), Guy Maddin a réalisé son premier film, The Dead Father, en 1985, en solitaire, en assumant la réalisation, la scénarisation, la photo et le montage. Dans la foulée, l’inclassable Tales from the Gimli Hospital (1988) est venu confirmer la singularité de sa démarche. The Forbidden Room, qui clôture le FNC couronne donc trente années d’un travail obstiné avec le matériau cinématographique, même si Maddin se concentre désormais sur  la réalisation et la photo. Fasciné par le cinéma muet, il le recycle à l’intérieur d’une vision qui lui est propre, cultivant la fantasmagorie et louvoyant dans les arcanes du subconscient. Ses personnages, atypiques, obsédés, s’y trouvent à leur place comme par magie, à la recherche de leurs souvenirs, réels ou fantasmés, et de sensations. Maniériste, du moins en apparence et par le recours au noir et blanc le plus souvent, ce rapport constant au passé du cinéma imprègne l’image même, contemporaine, qu’il donne de la confusion des sentiments et de notre époque, avec ses peurs irraisonnées et ses pulsions inavouables. En fait, avec Guy Maddin, « le plus célèbre des cinéastes inconnus », on ne sait trop à quoi s’attendre à la sortie de chacun de ses films.

Ainsi, le résumé de Forbidden Room fourni par le service de presse ne peut que laisser perplexe le futur spectateur, tout en attisant sa curiosité : « Ce film (…) retrace l’apparition inexplicable d’un mystérieux coureur des bois à bord d’un sous-marin coincé sous l’eau depuis des mois avec sa cargaison explosive. L’équipage terrifié, forcé d’arpenter les couloirs du vaisseau condamné se lancera alors dans un voyage jusqu’à la source de leurs plus funestes craintes ». Alors, peut-on se demander, The Forbidden Room, coréalisé avec Evan Johnson (l’exception qui confirme la règle), génère-t-il la même fascination, sinon la même inquiétude que certains de ses autres films ? Avant d’obtenir réponse à cette question, il faut noter que le film mise sur une distribution impressionnante (Roy Dupuis, Mathieu Amalric, Géraldine Chaplin, Charlotte Rampling, Karine Vanasse, Sophie Desmarais, etc.) : il ne s’agit plus ici d’un tournage intimiste avec des non-professionnels, comme il y a trente ans. On note aussi que le film combinerait la prise de vues en direct et l’expérience interactive, avec des séquences tournées en présence du public dans des lieux de diffusion de la culture, à Montréal et à Paris ! Incompatibilité apparente entre le scénario et ce dispositif : il y a donc promesse d’une expérimentation sous le signe de l’hétérogénéité. Incidemment, Guy Maddin ne limite pas sa démarche artistique au seul cinéma. Il s’active aussi dans le réseau muséal, par des installations et des collages qui prolongent son exploration de l’histoire du regard (dont le passage du muet au parlant), et par des expérimentations interactives sur Internet, où la narration une fois de plus cède le pas au langage plastique et rythmique. Mais encore, peut-on se demander, ce nouveau film épouse-t-il une démarche introspective comme dans My Winnipeg, lieu de naissance et de vie de l’auteur revisité à l’ombre de la psychanalyse ? On est en droit de se poser ce genre de questions, puisque l’on a affaire à un cinéaste qui, en misant sur l’horizon d’attente du spectateur, s’amuse par l’absurde à le déstabiliser.

En fait, issu, comme on le sait, d’un projet interactif impliquant le tournage de nombreux courts-métrages en présence du public (en salles le 23 octobre) et s’inspirant de films réputés perdus ou rares de l’histoire du cinéma qui ensemble fournissent la matière aux vignettes qui le composent, ce long métrage, The Forbidden Room, est à la fois semblable et différent des autres films de Maddin. D’une part, celui-ci s’échine et réussit toujours à produire une image « pauvre », inspirée du cinéma des premiers temps. Celle-ci demeure fortement décalée par rapport au rendu ciselé au scalpel de l’imagerie associée aujourd’hui aux nouvelles technologies, dont le support numérique HD, auxquelles il recourt pourtant ici. Mais, on ne trouve dans ce film aucune trace d’interactivité ni du public convié au tournage. Et, sauf pour Roy Dupuis dont la présence à l’écran est récurrente (dans le sous-marin ou dans les bois), les actrices et les acteurs connus n’ont été convoqués que pour réaliser des « caméos » qui relancent ponctuellement le récit. Par ailleurs, c’est de biais que Maddin aborde le territoire du paranormal et du spiritisme au moyen d’intertitres explicatifs, souvent naïfs et maladroits comme il se doit, en montrant des personnages qui s’agitent au milieu de nulle part dans leur quête existentielle, ou dans leur interrogation sur l’amour et la vie. Peu importe leur statut : matelots, bandits, ou médecins. À la base, donc, un scénario abracadabrant, jouissif par moments, qui n’est pas sans évoquer le principe de l’écriture automatique, et un mode de narration qui exploite à fond la pratique de la mise en abyme du flash back. Nombreux, ces flash back étagés structurent le film même, favorisant l’aménagement de longues plages narratives hors du sous-marin, lequel ne devient plus alors qu’un prétexte. Le pari est audacieux, et gagné en partie, mais le récit finit par s’égarer en cours de route, étouffé par sa propre ambition, à la recherche de sa propre finalité. Et même l’humour se fait lourd par moments. Bizarrement, cette fatigue s’observe dans le dernier tiers du film qui repart dans d’autres directions, montées en alternance, et qui apparaît dès lors quelque peu superflu, alors que Maddin multiplie pourtant les références autobiographiques (au père, à la mère) qui, on n’en doute pas, sont importantes à ses yeux. Les inconditionnels du cinéaste ne devraient pas bouder leur plaisir pour autant.

*  La revue 24 images a consacré un dossier à Guy Maddin (# 138) et elle a produit en partenariat avec Dazibao un DVD regroupant 14 de ses courts-métrages.

# 3. Et tant d’autres films…

En plus de rattraper quelques titres marquants, comme Les êtres chers d’Anne Émond, on aura aussi envie de découvrir des films dont les projections sont concentrées exclusivement sur ces trois derniers jours, tels que Green Room de Jeremy Saulnier, L’ombre des femmes de Philippe Garrel, Sparrows de Rúnar Rúnarsson (Islande) primé à San Sebastián, ou encore de se frotter à l’univers de Robert Frank ou à des films à projection unique tels que Everything Will Be Fine de Wim Wenders, Francophonia, le Louvre sous l’occupation d’Alexandre Sokourov, Right Now, Wrong Then de Hong Sang-soo primé à Locarno, ou Youth de Paolo Sorrentino, etc.

 


15 octobre 2015