FNC 2016 – Blogue 3
par Alexandre Fontaine Rousseau
Pour ma collègue Charlotte Selb, le début du FNC aurait été « marqué par le rapport entre réel et imaginaire. » Le début du mien aura, pour sa part, été traversé par cette idée d’une lutte constante contre la qualité classique. « Ce qui est intéressant », affirme le cinéaste Sion Sono dans le documentaire que lui consacre Arata Oshima (fils de Nagisa), « émerge des ruines des conventions. » The Sion Sono dresse le portrait d’un artiste en lutte perpétuelle contre la norme : « la qualité rend prudent », déclare Sono alors qu’un magazine japonais lui remet le prix de personnalité de l’année. Il faut constamment prendre des risques, y compris celui de se casser la gueule, si l’on désire créer quelque chose de vrai. La vie, de toute façon, n’est pas divisée en bon et en mauvais – et le cinéma ne devrait pas l’être non plus. Voilà qui explique le rythme effréné auquel travaille Sono, qui a déjà 39 longs métrages à son actif dont quatre réalisés en 2015. Il faut tourner sans arrêt, arrêter de croire que l’œuvre « pure » existe. Sur le plateau de The Whispering Star, Sono est subitement assailli par le doute. Mais qu’importe : nous ne sommes pas en vie pour payer notre facture d’électricité.
Sauvage fresque criminelle se déroulant dans un futur identique au présent, Alipato : The Very Brief Life of an Ember est possédé par une furieuse énergie que l’on se sent à la limite coupable d’espérer plus « maîtrisé », mieux « canalisée »; comme si cette rigueur un peu bourgeoise n’était au fond que l’affirmation autoritaire d’un désir de contrôler sa colère. Car si Alipato est traversé de tels éclairs de génie, c’est en grande partie parce qu’il est déréglé, mal élevé – qu’il se laisse entièrement guider par cette fureur qui l’anime. Khavn de la Cruz gagnerait certes, comme le disait Ariel Esteban Cayer dans son entrée de blogue du 7 octobre, à comprendre que « trop, c’est comme pas assez »; son cinéma va effectivement toujours trop loin, parce qu’il ne sait s’exprimer que par débordements, par jaillissements. De la Cruz ne cherche pas à « provoquer »; il désire uniquement vomir le monde, l’expulser violemment. Il réagit sauvagement à la sauvagerie du ghetto qu’arpente sa caméra. Qui sommes-nous donc pour tenter de le dompter, pour exiger de cette représentation de la boucherie qu’elle soit tempérée au nom de notre sensibilité? C’est justement cette valeur que nous accordons à la vie qui est quotidiennement niée, dans cet univers qu’il dépeint tel un Glauber Rocha inspiré par Dr. Dre.
Dans Destruction Babies, un jeune homme se bat avec tous ceux qu’il rencontre. Née de l’ennui, de l’oisiveté, la violence du film possède dans un premier temps une qualité presque cathartique – celui-ci enchaînant les coups donnés et les coups reçus avec la régularité d’un métronome, forgeant son sentiment d’exister à même la douleur physique qui découle de cette véritable litanie d’ecchymoses. Dans un premier temps, Tetsuya Mariko trouve l’équilibre juste entre la distance assumée d’une caméra qui pince sans rire et la brutalité intransigeante de ces actions inlassablement répétées ; mais le film se laisse progressivement happer par le nihilisme qui consume ses protagonistes et, paradoxalement, les tactiques de choc plus convenues qui sont exploitées dans la seconde moitié de Destruction Babies diluent son énergie alors même que l’ensemble gagne en intensité. La déception est d’autant plus marquée que Mariko, initialement, paraissait animé par une volonté de renouveler ce créneau un peu éculé de la colère adolescente qui obsède la culture japonaise. Rendons cependant à César ce qui lui appartient : le titre vaut à lui seul son pesant d’or, admettant d’emblée l’immaturité inhérente à ce désir de chaos pur qui se replie sur lui-même et mène inévitablement à l’autodestruction.
Plus encore que l’ambitieux Heaven’s Gate, c’est Year of the Dragon qui a enfoncé le clou final dans la carrière de l’auteur de The Deer Hunter Michael Cimino. Une très belle copie 35mm du film maudit de 1985 était présentée à la Cinémathèque québécoise en hommage au regretté cinéaste, disparu le 2 juillet dernier : occasion idéale de découvrir ou de redécouvrir ce film injustement boudé, accusé au moment de sa sortie d’un racisme qu’il dénonce par ailleurs ouvertement, dans lequel un policier entre en guerre contre les Triades installées à New York. Il faut dire que le scénario d’Oliver Stone ne fait (bien évidemment) pas dans la dentelle, rappelant à cet égard celui du Scarface qu’il avait écrit pour Brian de Palma l’année précédente. Toutes les obsessions traversant l’œuvre de Stone sont déjà bien en place : la courte mémoire de l’Amérique face à sa propre histoire, la profonde cicatrice laissée sur la conscience collective par le Vietnam, la perversion du rêve américain par le pouvoir et la corruption… Cimino, quant à lui, insuffle à cette prémisse de pulp novel un authentique souffle épique – sa mise en scène, fréquemment grandiose, alternant avec une énergie schizophrène entre l’ampleur de la fresque et la volatilité du film d’action.
Film d’ouverture de la section « Les nouveaux alchimistes », Déserts est à son plus inspiré lorsqu’il se laisse porter par ses images, délaissant sa narration rudimentaire pour s’enfoncer totalement dans ces abîmes de sensations qui constituent le réel objet de sa quête. Il se dégage de l’ensemble une réelle vitalité, une volonté sincère et cohérente d’expérimenter avec les codes formels ainsi que la matière filmique et sonore. Mais cette liberté qui guide les cinéastes se révèle malheureusement à double tranchant, le film s’égarant entre les deux pôles d’une démarche que l’on sent parfois en quête d’un sujet. Car le paysage à la fois fascinant et familier qui sert de matière première à cette toile impressionniste demeure, malgré les aspirations du scénario, une simple surface dont la profondeur métaphysique est incertaine, alambiquée. De toute façon, c’est l’image elle-même qui semble intéresser Charles-André Coderre et Yann-Manuel Hernandez – l’image en tant que surface sur laquelle s’imprime et s’exprime ce désir impossible de faire corps avec l’Autre. Évoquant le cinéma de Philippe Grandrieux, La cicatrice intérieure de Philippe Garrel et Zabriskie Point d’Antonioni, Déserts est parsemé d’éclats fulgurants, d’instants de grâce où la musique et la pellicule s’emportent pour former de sublimes tempêtes qui nous font oublier les limites du néant ambiant.
The Sion Sono, au Cinéma du parc vendredi le 14 octobre (19h)
Alipato : The Very Brief Life of an Ember, au Pavillon Judith-Jasmin mardi le 11 octobre (21h)
10 octobre 2016