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Festivals

FNC 2016 – Blogue 4

par Ralph Elawani

Premier long métrage en anglais de Kim Nguyen, Two Lovers and a Bear participe de cette tendance qu’ont les créateurs québécois contemporains d’inscrire leurs œuvres dans un imaginaire nordique hostile, et qui semble de plus en plus empiéter sur une  réflexion sur la banlieue qui se dessinait, au cours de la dernière décennie, notamment autour du cinéma de Stéphane Lafleur et Maxime Giroux. Ainsi, dans ce sixième long métrage du réalisateur de Rebelle, deux écorchés se rejoignent pour tenter de fermer à quatre mains quelques plaies vaguement partagées : familles dysfonctionnelles, besoin de rompre avec le passé, etc. Une histoire banale dans le monde du cinéma indépendant, mais dont la localisation géographique et les contraintes imposées par celle-ci changent tout. Des réalités très concrètes entrent ainsi en dialogue avec l’immensité et l’impardonnable cruauté du territoire, immortalisée par l’inoubliable scène d’un troupeau de caribous noyés prisonnier des glaces. Nguyen empêche par ailleurs son film de déraper dans un réalisme magique suspect, par le biais de l’humour inattendu de son ours bavard, dont l’éthos semble s’incarner à travers une improbable rencontre entre Alf et Mufasa.

Stealing Alice, baptême du feu de l’artiste visuel et romancier Marc Séguin, s’avère quant à lui l’un des plus beaux exemples de tentative de désamorçage de la critique. On a récemment insisté sur le fait que l’auteur avait lui-même produit le film et écrit, au fur et à mesure, ce scénario mal digéré par la distribution. Joué de manière inégale par des acteurs dont les rôles peu crédibles se buttent à des accents douteux (expliquez-moi comment le personnage de Fanny Mallette pourrait avoir un meilleur accent italien qu’anglais dans le contexte d’une telle histoire), la performance  de Gaston Lepage, dans le rôle d’un prêtre à qui l’on désire faire payer 400 ans de colonialisme, permet à elle seule de résumer les défauts du film. La surabondance de scènes tournées en hélicoptères vient renforcer l’image du créateur décrivant des cercles concentriques autour d’une intrigue incongrue qui mène sa protagoniste du Grand Nord jusqu’à Venise, et de Manhattan jusqu’au Vatican.

À l’inverse des dialogues de Séguin, trop littéraires pour la qualité de l’interprétation, le duo Charles-André Coderre et Yann-Manuel Hernandez a quant à lui réussi avec Déserts, l’un des plus beaux travaux de formalisme des dernières années, tout en péchant néanmoins par sa volonté de faire économie de profondeur dialogique. Présenté à peine quelques jours après que les Red Desert, The Passenger et  Zabriskie Point, d’Antonioni, furent projetés dans le cadre de la rétrospective du maître italien à la Cinémathèque québécoise, il était frappant de voir à quel point la fulgurance des images de Coderre et Hernandez s’inscrivait en ligne directe avec les plans de ce dernier. Ceci dit, comme le mentionnait Alexandre Fontaine Rousseau, le film s’égare effectivement « entre les deux pôles d’une démarche que l’on sent parfois en quête d’un sujet ». On ajoutera à tout cela le manque d’éloquence d’Hubert Proulx et la peu convaincante histoire l’amenant à se dépoitrailler dans la Vallée de la mort, quelques jours après une cuite au bar Le Ritz PDB, où l’on ne comprend pas trop s’il assiste à une performance privée de Jerusalem in my Heart, ou si les deux cinéastes ont tout simplement préféré éviter les sempiternelles « scènes de party au ralenti » qui embourbent le jeune cinéma québécois depuis un moment.

Autre film à noter, parmi les réalisations de jeunes cinéastes, le Werewolf de la Néo-Écossaise Ashley Mckenzie. Présenté en première mondiale à TIFF, cette première offrande de Mckenzie raconte le sevrage d’un couple de toxicomanes. Dans la lignée d’Heaven Knows What (2014), des frères Safdie, on peut y voir à quel point la recherche d’une forme de dignité peut s’avérer sans pitié. Les personnages joués par Andrew Gillis et Bhreagh MacNeil sont pâles comme la mort et ne tiennent qu’à un fil, prisonniers d’un temps découpé par les heures d’ouverture d’une clinique de méthadone.  Les plans sont étudiés de manière à laisser voir le pire (« le vécu inscrit dans le corps », pour voler le mot de Rodrigue Jean) : les boutons, les  plaies, les feux sauvages, les cheveux sales, etc. Une histoire d’une simplicité désarmante à travers laquelle McKenzie réussit un film exempt de pathos.

Autres personnages au vécu inscrit dans le corps, les Stooges n’avaient jamais réellement eu l’occasion d’être immortalisés par un artiste à la hauteur de leur talent. Étalon de la « cool school » (pour paraphraser le titre de l’incontournable livre colligé par Glenn O’Brien, en 2013), Jim Jarmusch est de ces auteurs dont la griffe est décelable à des miles à la ronde. Pourquoi alors Gimme Danger parait-il si réservé? Mettant en vedette Iggy Pop, Ron Asheton, Scott Asheton, James Williamson, Steve Mackay, Mike Watt, Kathy Asheton et l’imprésario Danny Fields, Gimme Danger s’inscrit dans la lignée des documentaires rock où les images donnent la réplique à quelques têtes parlantes et à des montages d’affiches et de dessins animés (exactement comme on le voyait dans Blokes You Can Trust, au sujet des Australiens de Cosmic Psychos). Si certains avaient reproché à Jarmusch de « faire du Jarmusch » avec Only Lovers Left Alive, personne ne lui reprochera de se mettre de l’avant dans ce documentaire près du De Palma de Noah Baumbach, Jake Paltrow. On aurait toutefois aimé voir – ou se faire expliquer –, pour une fois, la montée en popularité d’un groupe, après sa courte carrière. Jarmusch aurait ainsi pu s’empêcher de suivre le sillon historiciste qui fait toujours le pont entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1990. La plus remarquable scène demeure néanmoins cet extrait d’une discussion au cours de laquelle Scott Ashton explique, sous les yeux d’un Iggy visiblement touché, la manière dont il a vécu de boulots minables depuis la démise du quatuor originaire d’Ann Arbor.

 

Werewolf  sera repris le jeudi 13 octobre à 13h Cinéma du Parc


11 octobre 2016