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Festivals

FNC 2016 – Blogue 7

par Alexandre Fontaine Rousseau

Au fur et à mesure que s’écoulent les jours, le festivalier s’épuise : les habitants du « vrai monde » le croisant par hasard lui disent qu’il a le teint pâle, sa diète à base de « n’importe quoi qui se mange vite entre deux films » affectant probablement son état de santé au même titre que son horaire de plus en plus improbable. Bientôt, sa perception du réel est affectée. Un bon matin, il se trompe de salle et abouti à son insu dans une projection de courts métrages étudiants… Peut-être est-il encore sous l’influence du Lav Diaz de huit heures qu’il a écouté quelques jours plus tôt. Peut-être est-ce l’accumulation d’expériences variées d’une « temporalité altérée » qui a finalement eu raison de son propre rapport au temps. Peut-être manque-t-il tout simplement de sommeil. Qu’importe. Le festivalier entêté poursuit son périple au péril de sa vie (ou, du moins, de son équilibre mental déjà précaire). Son opinion des films visionnés est probablement influencée par cette dégradation progressive de sa propre condition. Il rêve, secrètement, d’une journée sans cinéma. Mais lorsqu’une estimée collègue lui dit qu’il faut absolument qu’il aille voir un roman porno programmé à 21h30 la veille de la remise de son entrée de blogue, le festivalier prend son courage à deux mains (et fait une croix sur une autre nuit de sommeil).

Le conseil valait amplement la peine d’être suivi. Wet Woman in the Wind d’Akihiko Shiota est une merveilleuse petite comédie érotique, aussi joyeusement décomplexée qu’inventive, qui carbure dès les premiers plans aux fantasmes et à l’énergie pure. Cette vitalité sexuelle dégénère allègrement au cours des scènes suivantes, qui enchaînent les situations rocambolesques avec une candeur contagieuse. La belle Shiori (Yuki Mamiya) poursuit sans relâche l’ermite Kosuke (Tasuku Nagaoka), se promettant de faire fléchir le jeune homme qui s’est quant à lui juré de vivre son existence le plus loin possible des tourments de l’amour. Bientôt, la notion de désir sert à réfléchir celle de jeu; les acteurs « jouent » la séduction et jouent pour se séduire – tout cela n’étant qu’un jeu, après tout. Une leçon de théâtre devient le préambule à un échange amoureux. De nouveaux acteurs se joignent à la troupe. La cadence augmente, les couples se font et se défont au rythme des rencontres; puis les pièces du casse-tête amoureux tombent progressivement en place. Chacun trouve son ou sa partenaire et le désir d’abord confus se transforme en explosion de passion – à un point tel, d’ailleurs, que la cambuse de Kosuke s’effondre littéralement, incapable de supporter les ébats des amants. Tant qu’il y aura du cul, il y aura de l’espoir.

Dans un tout autre registre, l’immense Gérard Depardieu livre lui aussi une performance extrêmement physique dans l’inégal The End de Guillaume Nicloux. Le réalisateur de L’enlèvement de Michel Houellebecq, employant une fois de plus à bon escient une figure publique pour le moins antipathique, livre une fable improvisée d’abord inspirée sur la déchéance de l’homme moderne. Depardieu, osant s’exposer totalement comme il l’avait déjà fait dans l’excellent Welcome to New York d’Abel Ferrara, utilise sa corpulence monumentale, sa difficulté à se mouvoir pour exprimer à l’écran la vulnérabilité à la fois comique et pathétique d’un personnage grotesque – renvoyé à sa propre impuissance par la situation désespérée dans laquelle il se trouve. Mais si la prémisse vaguement absurde du film colle dans un premier temps à l’intensité de cette formidable prestation, The End se termine malheureusement en queue de poisson, jouant assez bêtement la carte de la finale existentialiste « mystérieusement énigmatique » en guise de conclusion à la fois convenue et incongrue.

L’horreur et la beauté se côtoient élégamment dans le sibyllin Évolution de Lucille Hadzihalilovic, qui débute en apesanteur avec une série d’images aquatiques réellement majestueuses. Le film transpose sur le corps masculin (et, qui plus est, sur le corps de jeunes enfants) les craintes et les sensations liées à l’accouchement. « J’ai souvent dit que l’inspiration d’Évolution était en lien avec mon opération pour l’appendicite », affirme la cinéaste au cours d’une entrevue qu’elle accorde à Bruno Dequen dans le plus récent numéro de 24 Images, « mais c’était plus complexe que ça. Une peur du corps qui se transforme. Cette crainte est probablement très féminine, liée à l’arrivée des règles et la possibilité d’enfanter. Cette légère angoisse naturelle et mon expérience de l’hôpital se sont mélangées dans mon esprit entre-temps, formant une sorte de fantasme sombre. » Le film, plongé dans une obscurité semi permanente, cultive en effet une atmosphère lugubre, filant d’un plan à l’autre au gré de rimes visuelles habilement enchaînées. Le long métrage d’Hadzihalilovic procure une expérience hypnotique, proche de la transe – comme une léthargie anxiogène qui noie les sens jusqu’à cette image finale qui semble évoquer, pour le meilleur et pour le pire, la découverte d’un nouveau monde.

Peu de plaisirs cinéphiles peuvent égaler celui de redécouvrir un film aimé puis à demi oublié. L’effet est décuplé dans le cas particulier du Phantasm de Don Coscarelli, dont chaque visionnement s’avère inévitablement aussi déroutant que le précédent. Suivant fiévreusement la sinueuse logique du rêve, le scénario semble prendre forme une scène à la fois dans l’esprit de son jeune protagoniste – témoin d’événements étranges se déroulant dans les environs d’une maison funéraire. Le film, par l’entremise d’une prémisse assumant entièrement sa naïveté, aborde avec une excentrique sensibilité ce sentiment d’incompréhension entourant notre confrontation initiale à l’idée même de la mort : comme si cette histoire abracadabrante de croquemort immortel transformant les défunts en esclaves nains (que l’on envoie, de surcroît, vers une autre dimension) ne servait qu’à nier, dans l’imaginaire du jeune garçon, l’inévitabilité et la terrifiante simplicité du trépas. Improbable croisement entre Spielberg et Argento ingénieusement rabouté avec les moyens du bord, Phantasm demeure une expérience unique – dont les maladresses, somme toute attachantes, contribuent au charme impérissable.


14 octobre 2016