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Festivals

FNC 2016 – Blogue 8

par Ralph Elawani

Remarquablement maîtrisé dans sa forme, One Week and a Day, premier long métrage du réalisateur israélien Asaph Polonsky, désamorce la lourdeur de la perte d’un fils unique par l’humour grinçant. Au lendemain de la Sh’iva, période de 7 jours de deuil qui suit l’enterrement d’un défunt dans la tradition juive, le couple formé par Vicky et Eyal tente de retrouver un semblant de normalité, mais ne réussit tout simplement pas. Transformer le tragique en comique (et vice et versa) apparait le leitmotiv de ce film sans pathos pour lequel on aurait espéré une salle plus remplie au Quartier latin, après le succès remporté à Cannes en mai dernier. Le réalisateur, qui avait fait le déplacement jusqu’à Montréal, a répondu aux questions sur les rituels liés au deuil en Israël, mais aussi sur les ressorts tragiques et comiques qui placent cet objet cinématographique à la frontière des genres.

Jeudi soir, la fin de la présentation du premier long métrage de fiction de Karl Lemieux, Maudite Poutine, coïncidait avec la projection de Wet Woman in the Wind, du japonais Akihiko Shiota. L’abondante faune badaudant en plein cœur du Cinéma du Parc donnait à penser, l’espace d’un moment, que la deuxième présentation d’un reboot du genre « Roman Porno » ferait salle comble, ce qui fut finalement presque le cas. Le collègue Fontaine-Rousseau résumait hier sa critique de ce « pinku eiga » contemporain, produit par les studios Nikkatsu, en disant : « Tant qu’il y aura du cul, il y aura de l’espoir ». Dévoilé en première mondiale à Locarno, cette mise en scène de l’exil d’un jeune dramaturge tokyoïte [par souci d’abstinence sexuelle, nous fait-on comprendre] nous interpelle par son sujet – le cul, encore et toujours –  présenté sur un ton boulevardier, mais avec un humour et un décalage traditionnel qui, transposé littéralement en contexte québécois, aurait déjà fourni assez d’arsenal à certain-e-s pour que les sections « opinion » des journaux soient nolisées durant des mois.

Tandis que Philippe Schnobb, président de la STM, faisait le tour des stations de radio, pour célébrer le 50e anniversaire du métro de Montréal, un autre anniversaire était souligné hier à la Cinémathèque québécoise : les 50 ans du long métrage Il ne faut pas mourir pour ça, premier volet de la trilogie d’Abel du réalisateur Jean Pierre Lefebvre. Pionnier du cinéma d’exploration, le tenant du titre de cinéaste québécois le plus souvent projeté à Cannes (11 films) est également le premier à avoir tourné en Cinémascope au Québec, avec sa Chambre blanche, en 1969. Faute d’intérêt ou d’exposition à ses œuvres, on passe souvent sous silence l’admiration que lui vouait l’équipe des Cahiers du cinéma, laquelle avait été si conquise par Il ne faut pas mourir pour ça. Godard et son entourage souhaitaient d’ailleurs comprendre, à l’époque, comment l’auteur de 25 ans était arrivé à une telle pureté de l’image. Au dire de Lefebvre, les [plus si] jeunes Turcs de Cahiers avaient été invités à poser la question à Jacques Leduc, lequel avait tenu la caméra, pour l’une des trop rares fois dans sa carrière. Témoin d’une époque où l’accent des acteurs québécois se tordait lentement, ce film dans lequel l’absence de son direct joue en la faveur de l’intériorité n’aura cependant pas attiré la jeune cinéphilie, comme c’est généralement le cas lorsque des perles un brin « champ gauche » du cinéma québécois, qui seraient tout aussi gramables que les sempiternels clichés de Jean Seberg, sont présentées.  Le bruit d’une canne échappée par un cinéphile venu voir cette pièce d’anthologie restaurée par Éléphant et projeté en présence de Lefebvre, de l’acteur Marcel Sabourin et du directeur photo Jacques Leduc, résuma le tout avec brio.

Évidemment, affirmer que la jeune cinéphilie emmerde le cinéma québécois serait un persifflage que l’on ne pourrait que trop facilement désamorcer en prenant pour témoins les centaines de personnes qui faisaient la file à l’extérieure de l’Impérial pour la projection du Prank de Vincent Biron, hier soir. Conquise à l’avance, la salle qui une heure plus tôt accueillait le nouveau chef du PQ, venu assister à la projection du Peuple interdit, d’Alexandre Chartrand, a réservé un accueil de héros au cinéaste (et à sa banderole de 20 pieds sur laquelle se déployait un shaft « bien shafté ») dont la facilité d’élocution et le charisme derrière le micro laissaient comprendre que cette comédie de millennials faisant écho aux premiers Richard Linklater et Kevin Smith (et à Michael Dowse, si l’on repense à FUBAR) était loin d’être l’œuvre d’un des protagonistes du film. Réflexion volontairement « ti-clin » sur le passage à l’âge adulte, on pourra établir un dialogue entre Prank et À l’ouest de Pluton. Le tout, ne serait-ce que pour cette scène de malaise en voiture où le personnage du commis de chez Rossy (rappelant l’homme incarné par Denis Marchand, dans le film d’ Henry Bernadet et Myriam Verreault) tente de faire la conversation à un jeune auquel il a éclaté le nez d’un coup de poing, par réflexe défensif, lors d’un prank qui a mal tourné. Présenté au TIFF et à la Mostra de Venise, le film qui sortira en salle le 28 octobre prochain a certainement le potentiel de devenir un brillant classique québécois du cinéma « cerveau à off ».

 

La Trilogie d’Abel se poursuit avec Le vieux pays où Rimbaud est mort (1977), samedi 15 octobre à 17h, à la Cinémathèque québécoise, et dimanche 16 octobre à 19h, au Pavillon Judith-Jasmin annexe, avec Aujourd’hui ou jamais (1998).


15 octobre 2016