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Festivals

FNC 2017 – Blogue 1

par Ariel Esteban Cayer

Il aurait fallu s’en douter à l’annonce de Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve en guise de film d’ouverture: cette 46e édition du Festival du nouveau cinéma débute sous le signe du cinéma de genre, et de ses références sans cesse renouvelées, tantôt réussies, tantôt limitées, aux formes et styles du passé.

Qu’un film comme 2049 puisse autant « prendre son temps », évoluer si posément, est un miracle mineur, une minuscule victoire, mais encore faut-il avoir quelque chose de neuf à dire. Villeneuve, bien qu’il veuille être cool comme un Deckard (Ford), ou envoûtant comme une Rachael (Young), est finalement – logiquement – plus près d’être un K (Gosling) ou, pire, un Niander Wallace (Leto). Au mieux, il enfile les beaux plans (et ils sont beaux, même très beaux; il faut lui donner ça) avec le même détachement dont fait preuve son protagoniste. Au pire il survole sa création comme un démiurge ennuyé, qui ne fait que répliquer l’univers d’un autre sans en développer les enjeux ou en comprendre l’humanité (et on ne parlera même pas du sexisme aberrant qui demeure  – comble du calque irréfléchi – une partie intégrante de cette vision de la science-fiction figée 30 ans dans le passé). Comme Star Wars : The Force Awakens et autres Stranger Things, le film de Villeneuve n’est pas un film; il s’agit plutôt d’un magnifique musée, érigé pour une génération de geeks-devenus-grands. Suite à première heure prometteuse, 2049 déçoit lorsqu’il refuse de suivre sa propre voie –de s’accorder au présent– pour finalement se contenter de rebattre les même sentiers, au fil d’une enquête où on retrouvera évidemment Luke Skywalker – pardon, Deckard – et à travers laquelle on nous expliquera, dans les moindres détails, tous les rouages d’un univers qui laissait précédemment place à l’imagination et à la spéculation.

À l’image du Nexus-8, le Replicant nouveau genre qui tient ici la vedette, le film de Villeneuve est un triomphe plastique indéniable. Il est aussi, sous ses apparences, une machine docile, aux formes ciselées et aux souvenirs implantés, qui tentera maladroitement de trouver son âme dans l’exercice de ses fonctions, sans tout à fait y parvenir. On pourrait argumenter qu’il s’agit là d’une démarche fort cohérente, compte tenu des thématiques dont il est ici question, mais ce serait équivalent à invoquer la Force pour justifier le manque d’imagination qui afflige la galaxie far far away...

Car si 2049 est le nec plus ultra du blockbuster contemporain, aussi référentiel que révérenciel, il s’avère, à la longue, aussi froid qu’un androïde; aussi stimulant que Joi (de Armas), ce gênant hologramme dédié au plaisir masculin, qui accompagne notre héros partout. Et si le film de Scott, adapté du roman de Philip K. Dick, posait des questions essentielles sur cette même froideur, sur l’avenir de l’humanité (et l’humanité des intelligences artificielles), 2049 ne fait que les répéter. Pire, il encloisonne le spectateur dans ses réponses simples, voire rétrogrades, à des questions qui auraient dû rester ouvertes. Toute l’ambiguïté que portait l’œuvre originale est finalement évacuée en faveur d’un constat catégorique, ironique : un cœur battant, ça ne se réplique pas.

En parlant de révérence aux films du passé : Hélène Cattet et Bruno Forzani récidivent cette année avec Laissez bronzer les cadavres, une adaptation du roman de Jean-Pierre Bastid et Jean-Patrick Manchette (Série noire, 1971), tout aussi référentielle que les précédents Amer et L’étrange couleur des larmes de ton corps. Il plaît cependant de constater qu’ici la mise-en-scène ouvertement fétichiste que cultivent les deux cinéastes dépasse la pure citation. L’attention obsessionnelle qu’ils portent aux corps féminins, aux textures du cuir qui crisse, à la forme des divers instruments de morts de leurs protagonistes, de même qu’aux fluides qu’ils font jaillir des uns et des autres est transposée à un nouveau contexte et devient, par le fait même, autrement exaltante et expressive.

Au-delà du pur exercice d’hommage postmoderne qu’on leur connaît, cette histoire de cambriolage violent sur les côtes de la Méditerranée permet au duo d’intégrer tous les codes du western, du giallo, de la Nouvelle Vague, du polar, et ainsi de suite, à un même vocabulaire; d’étendre leur registre visuel et, ainsi, de concrétiser leur transformation de tous ces motifs et obsessions en pure matière. Le logique organisatrice du carnage demeure, non pas l’intrigue ou la motivation des personnages, mais plutôt les pulsions et souvenirs qui le propulsent. À la tombée de la nuit, la violence explosive des armes à feu, l’avarice et le désir, se chevauchant et se décuplent sous la pluie de balles, jusqu’à devenir indissociable l’une de l’autre. Il s’agirait là d’une démarche redondante si Cattet et Forzani n’étaient pas, somme toute, aussi rigoureux : leur surenchère jouissive et assumée est sans cesse justifiée par la justesse de leurs compositions, de même que par la précision, vertigineuse et inoubliable, de chaque coupe et raccord. Lorsque la poussière retombe, Laissez bronzer les cadavres confirme que leur démarche relève de l’alchimie : voici un film où deux cinéastes trouvent leur voix, la vraie, et transforment à plusieurs reprise de la pisse et du sang en or!

Blade Runner 2049 –> sortie en salles le vendredi 6 octobre.

Laissez bronzer les cadavres –> séances au FNC (en présence des cinéastes) le vendredi 6 octobre à 21h à l’Impérial et le dimanche 8 octobre à 13h15 au Cineplex Odeon Quartier latin. Le festival présente par ailleurs une rétrospective des précédentes oeuvres des cinéastes + une carte blanche. Ils donneront notamment une classe de maître accompagnée de leurs courts métrages samedi 7 octobre à 13h à la Cinémathèque québécoise.


6 octobre 2017