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Festivals

FNC 2017 – Blogue 2

par Apolline Caron-Ottavi

On entame la première fin de semaine du festival, et l’énergie d’un « nouveau cinéma » est bien au rendez-vous. Comme Ariel Esteban Cayer l’écrivait hier, l’alchimie qui se dégage du Laissez bronzer les cadavres de Hélène Cattet et Bruno Forzani fait plaisir à voir : audace, intelligence, jubilation, nous sommes loin d’une démarche référentielle vide et figée mais bien face à une œuvre vivante, extatique, qui s’approprie la cinéphilie pour mieux inventer un cinéma d’aujourd’hui, en perpétuel mouvement. On a hâte de voir la classe de maître des deux cinéastes ce samedi même.

Autre très belle surprise : Ava de la Française Léa Mysius, présenté en compétition internationale. Il s’agit du premier film d’une toute jeune cinéaste, qui est par ailleurs la co-scénariste du nouveau film d’Arnaud Desplechin (Les fantômes d’Ismaël, également programmé au festival). Ava est un petit tour de force : a priori, cette histoire d’une jeune adolescente de 13 ans à qui l’on annonce qu’elle va devenir aveugle et qui fugue avec un marginal peut faire craindre un drame misérabiliste au réalisme plombant comme on en voit trop… Mais il n’en est rien. Ava est un film lumineux, enchanté, séduisant. Portée par la merveilleuse Noée Abita (que l’on aura l’occasion de voir dans le prochain Philippe Lesage, Genèse), le film prend la forme d’une échappée belle sauvage et poétique, osant l’onirisme et le romantisme. Ava est tout simplement l’histoire d’un premier amour plus fort que tout. Et à travers cette histoire simple, la cinéaste parvient à évoquer bien des choses en évitant tout discours plaqué. Le ton est enjoué, les images sont vibrantes. Nous sommes pourtant dans un monde qui s’assombrit : la vue d’Ava baisse, se faisant habilement l’écho d’une société troublée, gangrenée par maintes formes de noirceurs et d’obscurantismes, dont l’horizon semble occulté pour la jeunesse. Léa Mysius met en scène une urgence de vivre à travers cette jeune fille qui veut s’emparer de la beauté de ce qui l’entoure avant de ne plus le voir. Elle filme avec une grande justesse cette sensualité et capte tendrement l’érotisme des premiers émois amoureux. L’actrice a 17 ans, mais son visage joufflu rend crédible son personnage d’adolescente de 13 ans qui se découvre un corps de femme, et seule une réalisatrice peut capter sa beauté, sa nudité, ses désirs et son effronterie avec une telle candeur, loin de tout malaise. Ava a les fragilités d’un premier film peut-être, mais sa force repose sur les émotions sincères qu’il suscite. Et en cela Léa Mysius fait preuve d’un talent prometteur.

Du côté du Québec, on a également été surpris et bousculé par une autre jeune femme derrière la caméra. Après un premier long métrage qui s’affichait plutôt comme un essai documentaire (J’ai comme reculé on dirait, 2016), Sophie Bédard Marcotte est de retour cette année avec Claire l’hiver (présenté dans la compétition Focus). Sur le papier on est ici du côté de la fiction : la cinéaste Sophie y interprète Claire. Mais peu importe au fond. Bédard Marcotte poursuit son cinéma au « je », un cinéma bricolé et rafraîchissant qui, de scénette en scénette, explore l’univers d’une jeune trentenaire. Sa démarche est ici plus aboutie, sa mise en scène aussi. L’humour est constamment présent, se tenant sur une fine ligne : on n’est jamais dans la comédie démonstrative, toujours dans l’observation amusée et le second degré espiègle. La poésie surgit là où ne l’attend pas, et devient même l’occasion de quelques morceaux de bravoure (un magnifique ballet classique par les déneigeuses montréalaises, pari risqué et jubilatoire !). Avec malice, la cinéaste assume que son sujet pourrait être qualifié d’insignifiant : petits drames, micro-crises existentielles, défis inédits d’une jeunesse contemporaine… et pourtant Claire l’hiver est loin d’être un film insignifiant, témoignant d’une génération et d’un état, trouvant sa place dans le monde, malgré tout. Avec sa modestie et ses tâtonnements, le film se démarque par son absence de complexes et son point de vue unique, embrassant un type de cinéma rare parmi les nouvelles générations de cinéastes (du « Chantal Akerman sur acide » nous dit le synopsis du FNC… c’est joliment vu). Claire l’hiver confirme l’originalité d’une cinéaste à garder à l’œil.

Enfin, à ne pas manquer du côté des rétrospectives : Faccia a Faccia, un incontournable trop méconnu du western italien (présenté dans le cadre de la carte blanche à Hélène Cattet et Bruno Forzani). Sergio Sollima signe là un captivant film politique (et philosophique) avec Gian Maria Volonté et Tomas Milian : l’intellectuel et le brigand, deux personnages aux antipodes l’un de l’autre qui vont développer une relation complexe, à la fois fascinée et violente, et se transformer ainsi chacun de façon imprévisible… Le tout servi par la mise en scène cinglante de Sollima et par la toujours sublime musique d’Ennio Morricone…

Ava : les deux séances dans le cadre du festival ont eu lieu, mais le film est déjà en salles depuis le vendredi 6 octobre (distribué par FunFilm).

Claire l’hiver : la seconde séance du film aura lieu le vendredi 13 octobre à 15h30 au Cinéma du Parc.

Faccia a Faccia : séances le samedi 7 octobre à 19h à la Cinémathèque québécoise et le mercredi 11 octobre à 19h à la Cinémathèque québécoise.

Laissez bronzer les cadavres repasse le dimanche 8 octobre à 13h15 au Cineplex Odeon Quartier latin. Les cinéastes donnent une classe de maître (accompagnée de la projection de leurs courts métrages) ce samedi 7 octobre à 13h à la Cinémathèque québécoise.


6 octobre 2017