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Festivals

FNC 2017 – Blogue 5

par Elijah Baron

Le cinéma russe, toujours bien représenté au FNC (The Student y remportait l’an dernier le prix de l’innovation Daniel Langlois), accroît cette année sa présence au sein du festival, avec 4 films dans 3 catégories. On retrouve d’ailleurs, parmi ces films d’approches et de genres diversifiés, un objet surprenant, peu vu et peu étudié en dehors de son pays d’origine : le blockbuster russe. Le mot peut sembler un peu fort, car Salyut-7 de Klim Shipenko ne passerait aux États-Unis que pour un film à petit budget : il semblerait qu’il n’ait coûté que 7 millions de dollars US. Il s’agit cependant d’une question d’esthétique, et si Salyut-7 est une oeuvre décidément plus modeste qu’un Gravity ou un Apollo 13, elle suit assez efficacement le modèle américain du drame spectaculaire « basé sur des faits réels ». Comme obéissant à un contrat muet avec le spectateur, le film de Shipenko compense son manque de personnalité au niveau de la mise en scène et du scénario par un esprit maximaliste qui amplifie et intensifie des retournements pourtant prévisibles. Les amateurs d’exploration spatiale y trouveront sans doute leur compte : l’histoire vraie de cette mission risquée, effectuée en 1985 pour réparer la station Saliout (ou Salyut) 7, intrigue et tient en haleine par ses effets convaincants et ses scènes d’action rigoureuses.  Un film à formule, donc, qui plaît précisément pour son peu de subtilité, pour son innocente et contagieuse admiration de ses personnages, pour son pressant besoin d’héroïsme.

Le spectateur avisé y verra également une dimension calculée, le patriotisme étant au coeur du sujet. On sent un besoin de nourrir l’imaginaire national d’images de puissance et de réussite, voire de supériorité. Le cinéma populaire russe peut se montrer réticent à aborder le présent, préférant chercher refuge dans des moments de gloire passés. Des moments qui peuvent être répétés, comme l’assurent les slogans nationalistes qui se multiplient depuis quelques années dans le pays. Or, maintenant qu’approche à grands pas le centenaire de la révolution d’Octobre, le manque d’intérêt de la Russie pour cette date significative apparaît comme un symptome de ses difficultés identitaires, entre le fanatisme religieux et la glorification de l’époque soviétique. Voilà une curieuse et indésirable contradiction, qu’on préfère ignorer au profit d’apparences d’unité nationale avancées par des films tels que Salyut-7.

Il revient alors à de rares oeuvres comme Closeness de Kantemir Balagov de remettre en question les thèses propagandistes, de révéler une crise morale et de sortir les squelettes du placard, au déplaisir de certains. Dans le cas de ce premier film de Balagov, récompensé à Cannes, les squelettes sont bien réels : une vraie vidéo d’exécution d’un soldat russe par des tchétchènes n’est pas épargnée au spectateur. Comme dans Loveless, déjà cité par Gilles Marsolais, les liens avec le réel se manifestent à travers la télévision, cette fenêtre sur un autre monde, en l’occurence le monde réel vu d’un monde fictif. À l’opposé d’un cinéma populaire qui garde peu de traces d’individualité, il y a un cinéma d’auteur si personnel que tout doit y être authentique, tout doit refléter les véritables expériences de l’auteur, quitte à faire un film qui ne vise pas à plaire, mais à brusquer, à secouer. C’est le cas de Closeness, dans lequel Balagov recrée, avec une attention particulière aux costumes et aux visages, la vie d’une petite ville du Caucase à la fin des années 1990, un univers qu’il connaît intimement pour y avoir grandi.

Le titre, traduit en France comme Une vie à l’étroit, s’exprime sous forme de métaphore visuelle : le tout est filmé au format 4/3, le champs est souvent réduit et encombré, les personnages collés les uns aux autres. Certaines scènes témoignent d’un isolement si complet qu’elles en prennent des aspects fantastiques, accentués par le jeu des lumières et des couleurs. Que, dans le pays le plus vaste du monde, des gens puissent vivre autant à l’étroit, c’est un paradoxe cuisant. Bien sûr, il est surtout question d’une étroitesse d’esprit, d’une atmosphère étouffante qui se manifeste autant dans la société que dans le cadre de la famille. Coincés ensemble, ne pouvant coexister sans sacrifier une part de leur liberté, les individus, les familles, les communautés finissent par se rendre à l’évidence : l’enfer, c’est les autres.

Qu’en est-il alors du paradis? Andrei Konchalovsky, connu autant pour ses collaborations avec Andrei Tarkovsky que pour ses films américains (Runaway Train), se pose la question dans Paradise, un film récompensé du Lion d’Argent à Venise en 2016. Dans ce drame historique tourné en un noir et blanc parfois envoûtant, le cinéaste semble poursuivre une réflexion sur la Seconde Guerre mondiale et le destin individuel de ses acteurs amorcée par Alexandre Sokourov dans Francofonia, notamment dans sa façon d’interroger ses personnages, directement, en dehors du cadre du récit. S’il s’agit, sauf erreur, du premier film russe majeur sur l’Holocauste, le cinéaste y peine à construire une narration homogène et à porter un regard nouveau sur un sujet déjà étudié, semblerait-il, de fond en comble, surtout par contraste à l’approche audacieuse de Son of Saul. En tout cas, une chose apparaît clairement : il n’y a qu’un endroit où les êtres soient égaux.

 

Salyut-7 repasse le vendredi 13 octobre à 17h00 à la Cinémathèque.

Paradise sera projeté le dimanche 15 octobre à 17h00 au Cinéma Impérial.


12 octobre 2017