FNC 2017 – Blogue 8
par André Roy
C’est depuis 1986 que les films du Finlandais Aki Kaurismäki sont présentés à la manifestation fondée par Claude Chamberlan, soit depuis Shadows in Paradis, premier volet de la Trilogie du prolétariat avec Ariel (1988) et La fille aux allumettes (1990). Le cinéaste est rapidement reconnu, et on n’oubliera pas ses œuvres, si fortes, si personnelles. Son autre trilogie, intitulée « Finlande », avec Au loin s’en vont les nuages (1996), L’homme sans passé (2002) et Les lumières du faubourg (2006), pourrait comprendre, avec ses perdants magnifiques, L’autre côté de l’espoir présenté au FNC. On y retrouve tout ce qui fait partie du style si attachant de Kaurismäki : un comique décalé qui met à plat le tragique des histoires racontées en les vidant de tout pathétisme et de toute complaisance. Un burlesque minoré par l’absence de pirouettes esthétiques ou de surlignement d’une signature, et qu’une indolence poétique rend empathique, je dirais même : utile, tant cet univers aurait pu facilement glisser dans le je-m’en-foutisme. La mise en scène, à l’élégance un peu bourrue, dans une tendresse faussement arride, fusionne minimalisme et mélodrame en une poignante description du malheur des hommes et des femmes, de la cruauté sociale et – comme souvent dans ces films peuplés de chômeurs et de laissés-pour-compte – bureaucratique, de l’altérité inaliénable de personnages en quête de bonheur et d’espoir.
On peut défier quiconque de ne pas être sensible, ému – voire jusqu’aux larmes -, par le destin des personnages de L’autre côté de l’espoir. Fâcheux destin certes, mais qui débouche sur un optimisme aussi extraordinaire qu’inattendu, car basé sur une générosité fondamentale, qui n’a pas encore été écorchée par la violence et les coups bas auxquels cèdent certains personnages. En fait, il y a deux destins qui se rejoignent dans une série de saynètes et de plans minutieux, ceux de deux personnages pour ainsi dire en marge de la société. Un, volontairement, Wikström, qui décide de tout abandonner, son emploi de représentant de commerce de chemises et sa femme alcoolique; il vendra tout, jouera son argent et qui gagnera le gros lot qu’il investira dans l’achat d’un restaurant miteux. Et l’autre, un migrant, Khaled, qui a fui la guerre en Syrie et qui verra sa demande de réfugié refusée.
Entre la gentillesse et la méchanceté des gens, entre la sombre réalité et l’éclairante volonté de survivre aux malheurs, Kaurismäki fait entrer le monde contemporain dans une Finlande très vintage (vêtements, décors, voitures, etc.) sans tenir de discours pontifiant, ne distribuant ni les bons ni les mauvais points. Il se permet de pointer le cynisme des puissants l`égard des plus démunis, de montrer la mondialisation galopante, mais sans ostentation. Le cinéaste va à l’essentiel. Le monde est ainsi fait, et il faut le prendre tel quel, hors de toute condamnation. Il faut sauver les gens. Kaurismäki est un démocrate : il valorise ses personnages, même s’ils ne sont pas toujours honnêtes (les employés du restaurant, par exemple), et il les soustrait du mépris et de la condescendance. Il ne fait d’aucun d’eux un archétype, car il décadre et recadre constamment leurs actions et leurs sentiments, retournant sans cesse leurs affects. Il sait faire contre mauvaise fortune bon cœur. La positivité de son film a tout à voir avec la bonté, la bienveillance, la solidarité, qui sont la richesse des pauvres et des démunis, comme de tous ces exilés des guerres qui essayent de trouve une terre d’accueil. La dureté du monde est atténuée par l’humour, la musique, les chansons (et il y en a de nombreuses dans le film), que le réalisateur a, par ailleurs, toujours su utiliser dans ses œuvres, qui deviennent ainsi un théâtre brechtien inestimable.
L’autre côté de l’espoir est un des plus forts et des plus beaux films présentés au FNC.
Très différent est Frost de Sharunas Bartas, qui vient d’un pays proche de la Finlande, la Lituanie. Moins percutant certes que le Kaurismäki, hermétique même dans le déroulement de son récit, le film n’en pas moins d’une précieuse et haute qualité.
Dès son premier film, Trois jours (1991), déjà présenté à Montréal, Bartas se fait remarquer par son esthétique de la lenteur, du non-dit, du mystère, comme de la désolation et du désespoir. Un cinéma pur ou, si on veut, purifié de toutes les scories du cinéma narratif courant. Ce cinéaste de l’image qui aime s’attarder sur les paysages et les visages, comme on le constatera encore dans ce récent opus, nous offre un cinéma mélancolique composé d’hivers boueux et de personnages quasi mutiques – tant les dialogues y ont rares et banals – et au destin vain. Un cinéma qui tient autant de l’hyperréalisme que de l’hypersurréalisme. Un cinéma anti-utopique. Le temps y est agonique, dans une atmosphère à la fois douce et cérémonieuse. Bartas est un auteur formaliste, mais qui ne laissera personne indifférent tant la fièvre et la poésie font chez lui un travail souterrain dont on ressent les effets qu’à la fin de la projection. Y assister relève de l’expérience physique. Il faut être patient avec lui, et on ne sera pas déçu par la dernière image du Frost : extraordinaire. Sharunas Bartas est à la fois Robert Bresson, Andréi Tarkovski et Béla Tarr.
Frost raconte le voyage d’un couple de jeunes Lituaniens, Rokas et Inga, partis de Vilnius pour apporter vivres et médicaments aux partisans ukrainiens en guerre contre les Russes et leurs alliés. Si le jeune homme accepte d’aller avec sa compagne au Donbass, une région en conflit (entre Ukrainiens fidèles à Kiev et les séparatistes prorusses), c’est pour essayer de consolider leur couple fragilisé. Dans leur fourgonnette, ils traverseront la Lituanie, la Pologne et la Russie, avec arrêts aux frontières et à des check-points. Les deux volontaires se retrouvent à Moscou dans un hôtel réunissant des journalistes étrangers – parmi lesquels se trouve une journaliste interprétée par Vanessa Paradis – qui se montrent sympathiques à leur mission humanitaire. Tout au long du voyage, dans un paysage dévasté et glacial, dans une saison automnale qui tire à sa fin, le couple ne se parle guère. Nous sommes avec lui dans des pays de nulle part, dans des lieux indistincts d’où sourd une menace qui ne dit pas son nom et qui se concrétisera lorsque le couple arrivera à destination. Ce duo est-il courageux ou inconscient d’avoir fait ce périple ? Jamais n’est explicitée leur attitude, en particulier en Ukraine, une contrée qui est une poudrière. Ni surtout celle de Rokas, au beau visage fermé, qui prendra le risque avec un soldat ukrainien d’aller dans le territoire ennemi tenu par des soldats séparatistes. On comprendra à la fin que ce voyage était déjà marqué par la fatalité.
Comme avec ses autres films, en particulier avec Few of Us (1996) et Freedom (2000), nous sommes avec Sharunas Bartas dans un monde défait qui s’efface, disparaît, expire. Là où les humains ont autant de chair que les fantômes. Le tout dans une incomparable beauté formelle, sur fond d’abîme angoissant et d’altérabilité funeste. Frost est une œuvre remarquable.
L’autre côté de l’espoir : seconde séance au festival dimanche 15 octobre à 19h10 au Cinéma du Parc.
Frost : seconde séance au festival dimanche 15 octobre à 20h au Cinéplex Odéon Quartier latin.
14 octobre 2017