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Festivals

FNC 2018 – blogue n°1

par André Roy

Les premiers jours du festival ont été riches en œuvres capitales qu’il ne fallait pas rater. Plusieurs seront présentées en salle dans les semaines ou les mois à venir. On pense ici au complexe Livre d’image de Jean-Luc Godard, au nerveux Ash Is Purest White de Jia Zhang-ke, au mélancolique The Season of the Devil de Lav Diaz, au très accompli Une affaire de famille de Hirokazu Kore-eda et au chef-d’œuvre qu’est Burning de Lee Chang-dong, qu’on peut encore rattraper dans les prochains jours. D’autres, indispensables, seront projetées durant la semaine; on enjoint les lecteurs et les lectrices de ce blogue d’aller voir le monumental Poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan, l’attachant 3 Faces de Jafar Panahi ou la série télévisée française iconoclaste Coincoin et les z’inhumains de Bruno Dumont. Il ne fallait laisser passer d’autres films, il est vrai d’auteurs connus et reconnus, comme Rithy Panh et Hong Sang-soo, avec Graves Without A Name et Grass.

Rity Panh continue d’interroger dans Graves Without a Name (« Les tombeaux sans nom », en français) le génocide cambodgien où il a perdu toute sa famille à l’âge de 13 ans. Son documentaire se focalise moins sur les atrocités commises par les Khmers rouges, de 1975 à 1979, que sur l’état psychique et spirituel des personnes touchées par le génocide. Pour ce travail de et sur la mémoire, Panh utilise, entre autres, les moyens qu’il avait employés dans L’image manquante (2013), soit des figurines, ici en plâtre, pour illustrer les témoignages des survivants, témoignages qui s’écoutent comme des contes. À ces propos, le réalisateur ajoute en voix off des textes de Paul Éluard et de Jean Cayrol, qui donnent à la fois une charge poétique, mélancolique et obsédante aux images de l’évocation du martyr subit par les Cambodgiens.

La réappropriation de ce passé funèbre, sa reconstruction plus que sa reconstitution, devient ici un rituel, une cérémonie, une sépulture, entre paganisme et religion. Elle est aussi une réflexion philosophique (universalisation du génocide), sociale (répercussions historiques sur la société) et éthique (réflexion sur la forme narrative). De ce cauchemar dont on ne revient pas intact, Rithy Panh se demande comment rendre la douleur moins atroce, comment triompher de l’horreur, comment rendre justice aux victimes; en un mot: comment retrouver la paix –  ce qui s’avère impossible. Sur le régime totalitaire des Khmers rouges fait de persécutions, de tortures, de meurtres, de viols, sur cette élimination de l’homme par l’homme que le cinéaste a investigué depuis Duch, le maître des forges de l’enfer (2012) et S21, la machine de mort khmère rouge (2004), Les tombeaux sans nom est son film le plus pessimiste.

Hong Sang-soo continue de son côté à nourrir son petit théâtre, à la fois intime et universel, sur l’amour, où tout paraît détendu, doux, feutré, mais traversé par des émotions fortes et des chagrins durables. Ici, les personnages prennent vie grâce à une serveuse d’un petit café qui écrit ses impressions sur ses clients. Invente-t-elle ou reconstitue-t-elle leurs conversations, qui sont le moteur du film?

Grassest la suite évidente de The Day After (2017) et de Hotel By The River, où on retrouve non seulement les mêmes comédiens, mais également les mêmes personnages. Et comme toujours, le passé évoqué prend le pas sur le présent et ce qui a pu se passer est moins important que ce qui aurait pu se passer. On est dans une interrogation pérenne sur l’état de ses sentiments, qui, comme dans une ronde, va d’une personne à l’autre, rebondissant comme une balle de ping-pong, ne glissant jamais à la surface des choses, mais la creusant. Les gens sont leurs propres psychanalystes, mais aussi leurs propres bourreaux. Dans ce qui nous apparaît banal dans les échanges, dans les faits et gestes évoqués, nous devons percevoir ce qui tient de la vérité et du mensonge, ce qui est un cadeau pour le spectateur.

Comme dans les deux films précédents de Hong, la question est de savoir comment les mots peuvent capturer la réalité et nous tenir en vie. Le cinéaste va comme à son habitude de l’un à l’autre de ses personnages par des recadrages inattendus en forme de zoom dans le plan comme s’il cherchait à épingler leur conscience. En plus, il nappe chaque séquence d’extraits de musique classique (Wagner, le Pachelbel, etc.) qui viennent donner une gravité tragique à ce qui ne semblait que des fragments de vies ordinaires; ils en deviennent un contrepoint violent et pessimiste. Entre les rires et les larmes, entre les esquives et les affrontements, entre les apparences et l’épreuve de la réalité, entre la quête de la vie et l’affirmation de la mort, Hong Sang-soo promène sa caméra avec agilité et fièvre. En orfèvre, il donne un portrait véhément et pourtant tout en finesse de nos contemporains.

Séances à venir des films mentionnés :

Graves Without a Name        Dimanche 7 octobre @17h20 au Cineplex Quartier Latin

Dimanche 14 octobre @ 19h00 au Cinéma du musée

Grass                                       Vendredi 12 octobre @21h30 au Cinéma du Parc


7 octobre 2018