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Festivals

FNC 2018 – blogue n°3

par Céline Gobert

Les œuvres qui seront parvenues à se détacher de la multitude de films (plus ou moins confidentiels) présentés au FNC cette année seront assurément celles qui auront su proposer quelque chose de nouveau. C’est ce qu’ont fait par exemple Rafiki de la réalisatrice kényane Wanuri Kahiu ainsi que l’Américain Thunder Road de Jim Cummings, qui était d’ailleurs présent à Montréal pour commenter son film.

Le premier (vu dans la section Panorama International après avoir été dévoilé en mai dernier dans celle d’Un Certain Regard à Cannes) s’attarde sur une jeunesse kényane (et homosexuelle) que l’on ne voit pour ainsi dire jamais à l’écran. Quant au second (section Compétition Internationale du FNC, Grand Prix du jury à South by Southwest et à Deauville), il propose un personnage de flic inédit et ultra-émotionnel, qui dynamite complètement les notions de masculinité et de virilité.

Deux trouvailles de la section Temps Ø, le Polonais Fugue d’Agnieszka Smoczynska et le Danois Cutterhead de Rasmus Kloster Bro, se réapproprient avec succès les codes des films d’«amnésie traumatique» ou encore de «survival claustro». Petit résumé.

Rafiki de Wanuri Kahiu 

Le film raconte l’histoire d’amour entre deux adolescentes au Kenya, Kena (Samantha Mugatsia) et Ziki (Sheila Munnyva). Il s’agit du premier film kényan à être présenté au Festival de Cannes. C’est déjà un grand événement en soi. En plus, il marque l’histoire de son propre pays, abordant la thématique de l’homosexualité alors que le climat anti-LGBTQ+ y demeure très fort (être gay est puni de prison). Interdit au Kenya (sauf pendant sept jours où la jeunesse de Nairobi s’est précipitée dans les salles, s’opposant ainsi à la censure), Rafiki avance dans un flot de musiques et de couleurs qui se refuse à tout misérabilisme ou lourdeurs pour prôner un féminisme rafraîchissant, et ce, même s’il reste formellement assez conventionnel et très prude.

Le plus intéressant sont les images qu’il montre du Kenya et de l’Afrique, loin des a priori et des clichés, avec des adolescentes qui tentent de s’extraire du machisme en place, prises dans le tumulte de leurs propres émois. On y découvre aussi la scène musicale locale, avec des morceaux de la rappeuse Muthoni Drummer Queen, ou encore de Chemutai Sage, Njoki Karu et Mumbi Kasumba. La bande originale, très hip hop, est d’ailleurs entièrement interprétée par des femmes, Africaines.  L’une des preuves que Rafiki, en plus d’être un film sur la difficile réalité des LGBTQ+ en Afrique, est aussi et avant tout un film féministe, mettant de l’avant le désir d’émancipation des femmes : dans le film, l’une d’elles comprend par exemple qu’elle pourrait devenir docteure et non pas “seulement” infirmière. Les deux amoureuses diront d’ailleurs ne pas vouloir devenir «des kényanes typiques», à la maison, au service de leurs hommes.

*Le film rejoue le samedi 13 octobre à 14h15 au Quartier Latin.

Thunder Road de Jim Cummings 

Autant Rafiki est féministe, autant Thunder Road, bizarrerie tragicomique parfois un peu artificielle, offre à voir une autre vision de ce signifie «être un homme.» Le policier texan Jimmy Arnaud est aussi atypique qu’émotif, grandiose que pathétique. Avec lui, le cinéaste revisite complètement la figure du «flic» viril et sans faille auquel nous a habitué le cinéma américain : Jimmy est ainsi traversé de mille émotions, qui débordent aux pires moments, et au visage de tout le monde. Plus tôt cette année, The Rider de Chloé Zhao refaçonnait quant à lui la figure du cowboy, qui devait assumer sa fragilité pour avancer. L’enjeu scénaristique est similaire dans Thunder Road (référence à une chanson de Bruce Springsteen) : plus le personnage s’abandonne à ses cris et à ses larmes, plus il a des chances de survivre dans une Amérique où le maintien des apparences asphyxie ses habitants.

Cummings – scénariste, réalisateur et interprète du rôle principal – fait du grand écart le mode de fonctionnement d’un film doux-amer qui s’amuse à changer brutalement de ton, parfois dans une même scène pour déstabiliser le spectateur (voir le plan séquence de plusieurs minutes qui ouvre le film dans une alternance complexe de rires et de malaises).  Résultat : ça marche, même si l’hystérie générale apparaît parfois un peu facile et moins bien maîtrisée qu’ailleurs (on pense par exemple beaucoup aux personnages burlesques et un peu fous interprétés par Jim Carrey, ou encore aux deux premières saisons de la série Twin Peaks qui mélangeaient aussi solennité et folie, embarras et comédie dans des contextes cauchemardesques).

*Le film rejoue le samedi 13 octobre à 20h au Cinéma du Parc.

Fugue d’Agnieszka Smoczynska 

Deuxième film de Smoczynska après sa comédie musicale horrifique The LureFugue part d’un paradoxe scénaristique : dresser le portrait d’une femme dont on ne sait rien, qui ne sait rien d’elle-même, voire pire : qui ne veut rien savoir du tout. Amnésique, celle-ci réapparaît au sein de sa famille après deux années d’absence, se fait appeler Alicja, et non plus Kinga, et ne semble avoir aucune intention de retrouver son identité. Le scénario aborde la thématique de l’amnésie sous un autre angle qu’à l’accoutumée : il est ici moins question pour la réalisatrice de filmer un personnage qui tente de remettre en place le puzzle de son identité (au contraire, l’objectif ultime est bien de la nier) que de filmer ce que cette page blanche provoque comme dynamique avec l’entourage et la société (qui devient-on si l’on refuse de se définir? D’exister?).

S’il évolue donc bien sur le terrain du film de genre (avec cette atmosphère oppressante et grisâtre caractéristique de bon nombre de films de l’Europe de l’Est, et ce personnage-fantôme qui a déserté le monde des vivants), le film (très psychologique) ne s’aventure jamais sur celui du thriller souvent associé à cette thématique (MementoThe Bourne Identity,The Jacket). D’ailleurs, il se refuse lui-même à toute étiquette, se déployant très librement et sans destination évidente, sinon celle de la fuite (en ce sens, le dernier plan est éloquent). On pourrait reprocher au film un côté froid et une absence d’émotions, mais cela sied bien au personnage principal qui se désire en coquille vide, hors d’elle-même et hors du monde, pour ne plus (faire) souffrir.

Cutterhead de Rasmus Kloster Bro 

Enfin, on retrouvait une autre figure féminine d’intérêt dans l’excellent huis clos danois Cutterhead, soit Rie, une photographe qui se retrouve enfermée et menacée de mourir asphyxiée sur le chantier souterrain d’une ligne de métro de Copenhague en compagnie de deux travailleurs, l’un Croate et l’autre Érythréen. Histoire de survie et métaphore évidente des problématiques d’immigration contemporaine qui secouent l’Europe, Cutterhead utilise à merveille son espace et sa lumière limités pour remplir sa mission première : générer l’angoisse.

Rie, qui s’impose comme le symbole de l’Europe actuelle (pleine de bons sentiments, mais condescendante et finalement peu encline à partager ses richesses avec les autres), est le protagoniste le plus intéressant de cette étude de caractère qui tend un miroir peu reluisant à la société occidentale. Sur la forme, Cutterhead constitue en plus une véritable expérience de claustrophobie, intense, grinçante et très réussie, qui joue avec les peurs primales du spectateur : le noir, l’enfermement, le basculement dans la folie. L’une des meilleures surprises de cette première semaine de festival.

*Le film rejoue le samedi 13 octobre à 17h30 au Cinéma du Parc.


10 octobre 2018