FNC 2018 – blogue n°4
par André Roy
Le Festival du nouveau cinéma a une politique des bras ouverts : il accueille tous les genres de films et des cinéastes inconnus et reconnus. Pour notre part, nous sommes allés presque par hasard voir quatre films dont nous ne savions rien des auteurs, sauf pour Ivan I. Tsverdovsky, qui avait déjà deux films à son actif dont Classe à part qui avait en son temps été remarqué.
L’Allemagne actuelle de Trobisch
Le premier long métrage de l’Allemande Eva Trobisch, All Good (« Tout va bien », en français) est une heureuse découverte. Il est dans l’air du temps puisqu’il raconte un viol et ses suites subies par Janne. Celle-ci ne rapporte pas l’agression à son compagnon, Pietr, pas plus qu’elle ne lui parle de sa décision d’avorter. Elle décide de faire fi de cet événement, n’en parlant ni à sa mère ni à son patron. Son refus de reconnaître le viol en tant que tel, qui se transforme en déni, aura lentement des conséquences sur son union avec Pietr, mais aura surtout des répercussions psychologiques sur elle. Trobisch suit de très près Janne, mais pas à la manière des frères Dardenne qui collent leur caméra (pour ainsi dire) au dos de leurs interprètes. Non, elle ne la lâche pas, la plaçant toujours au centre (dans tous les sens du mot) du plan, ne dérogeant jamais de son point de vue. Elle utilise une caméra à l’épaule, une naturalité dans les dialogues et une volonté d’épuiser un sujet qui rappellent – en mieux – le cinéma de Thomas Vinterberg et les préceptes du Dogma95. Pas de complaisance dans la démonstration d’une catharsis; rien ne sonne faux dans la détresse Janne, détresse qui éclatera aux derniers plans du récit. L’œil de Trobisch est un laser qui troue doucement toutes les protections que Janne a érigées autour de son secret, laissant découvrir les affects d’une blessure impossible à guérir. L’ère post-Harvy Weinstein n’est vraiment pas réjouissante.
La Russie poutinienne de Tsverdovsky
Avec son troisième long métrage, Jumpman*, Ivan I Tsverdovsky offre une métaphore très claire de la Russie de Poutine et de son pouvoir dans toutes les sphères de la société. Il choisit de montrer frontalement la corruption, la concussion, l’hooliganisme et une petite bourgeoisie préoccupée uniquement par l’argent. Voici un pays froid, indifférent à toute morale et à toute souffrance, comme Denis, le protagoniste principal que les premières scènes nous montrent stoïque devant la douleur (on l’entoure de boyaux de caoutchouc et on les serre jusqu’il ne puisse plus respirer). Il a 16 ans, est l’orphelin d’une mère qui a maintenant 32 ans et qui le retire de la crèche pour qu’il puisse utiliser autrement sa résistance aux supplices. Il rackettera des chauffeurs en se faisant frapper par les automobiles (on peut se rappeler ici le film de Nagisa Oshima, Le petit garçon, qui est d’une tout autre teneur). Très bien préparé, il s’en tire avec peu de plaies. Son ami, qui est policier, organise ces extorsions; si les chauffeurs refusent le chantage (en donnant une forte somme d’argent), ils sont alors traduits devant la justice où le procureur, l’avocat de la défense et la juge sont de mèche. Jusqu’au jour où Denis refuse de jouer le jeu et décide de retourner à l’orphelinat. Sous forme d’un thriller, ce récit très noir – tout est filmé la nuit et dans des appartements aux lumières tamisées – donne froid dans le dos, les images glacées et glaçantes participant de l’impact de ce portrait, dynamique et fluide, de la corruption à tous les étages de la société et de l’hypocrisie de la nouvelle bourgeoisie russe. « Moscou ne croit plus aux larmes » devant la forfaiture, le vol, la vénalité, se dit-on, en se rappelant le titre du film de 1980 de Vladimir Menchov. Elle ne croit plus qu’à l’argent. Frère en cinéma d’Andreï Zvyagintsev, Ivan I. Tsverdovsky dénonce une Russie qui a perdu son âme.
Le Singapour touristique de Daisuke Myazaki
Le cinéaste japonais, qui nous avait déjà donné il y a deux ans Yamato, décide d’envoyer deux jeunes filles faire une virée dans Singapour. L’une d’elles, Nina, ayant perdu son amie Sumire et son portable, s’égare dans cette immense cité et traverse tranquillement ses quartiers malaisien, arabe et chinois jusque tard dans la nuit. On ne sera pas surpris que Tourism ait fait partie du ArtScience Museum de Singapour et y a été projeté durant huit jours d’affilée. Oui, c’est un film publicitaire qui ne dit pas son nom, un road movie qui n’ose l’être et, avec la voix off d’un enfant, un documentaire qui ne l’est pas. Quoi dire de plus?
Entre la Colombie, le Pérou et le Brésil avec Beatriz Seigner
Los silencios est une très belle œuvre; il faudrait qu’elle soit achetée et projetée de nouveau à Montréal. Nuria, Fabio et leur mère Ampara se retrouvent dans une sorte de no man’s land, une petite île d’Amazonie située entre le Pérou, le Brésil et la Colombie que la famille a fuie à la suite des violences entre les Farc, les paramilitaires et l’armée nationale colombienne. Le père aurait disparu durant le conflit, mais réapparaît dans leur nouveau domicile. De là à croire aux fantômes et que l’île en est peuplée… Dans cet entre-deux, entre les fantômes et les vivants, réside la secrète magnificence de ce film, de son filmage contemplatif sur les marécages et les forêts embrumés, sur un village noyé durant la saison des pluies. Si la petite famille est hantée par le manque d’argent, elle l’est aussi par la mort qui semble habiter chaque coin de l’île. Le film prend tout son temps pour raconter cette obsession, cette présence de la mort dans chaque parole et dans chaque geste (on demande, par exemple, aux morts ce qu’il faut répondre à une proposition d’exploitation pétrolière de l’île). La grande vérité : la vie est un long fleuve tranquille sur lequel les barques du village flottent à la lumière des lampes à la rencontre des disparus, comme le montrent les derniers et extraordinaires plans du film. Los silencios est une fable politique qui n’est plombée par aucune idéologie ni par aucun discours politique. Ce film est un poème, une méditation sensible et lumineuse.
*Jumpman est projeté de nouveau samedi 13 octobre à 21 h 30 au Quartier Latin 10.
13 octobre 2018