FNC 2018 – blogue n°5
par Charlotte Selb
Les spectateurs du FNC attendent certainement avec impatience les nouveaux films de Jia Zhang-Ke (Ash Is Purest White) et Bi Gan (Long Day’s Journey Into Night), deux films qui méritent largement leurs éloges reçus à Cannes, mais non moins incontournables sont les deux autres films chinois du festival présentés respectivement en Compétition internationale et dans les Nouveaux Alchimistes, An Elephant Sitting Still et Down There. Radicalement différents dans leur durée – le premier fait près de quatre heure, le deuxième 11 minutes –, les deux œuvres ont en commun d’offrir un portrait sombre et sourdement violent de la société chinoise contemporaine. Premier et dernier long métrage du jeune réalisateur Hu Bo, dont le talent s’est tragiquement éteint à l’âge de 29 ans, An Elephant Sitting Still (Prix FIPRESCI du Forum de la Berlinale 2018) suit durant une seule journée quatre protagonistes aux destins croisés : un lycéen maltraité chez lui et à l’école, sa camarade de classe dont il s’est épris et qui fuit elle aussi une relation familiale abusive en fréquentant le vice-principal du lycée, un jeune bandit hanté par le suicide d’un ami, et un vieil homme que son fils s’apprête à placer dans un foyer pour personnes âgées. Tous cherchent à fuir leur existence misérable vers la ville de Manzhouli, où l’on dit qu’un éléphant reste simplement assis en ignorant les malheurs du monde. Dans des teintes perpétuellement ternes et avec une caméra qui encercle au plus près ses personnages, ne leur laissant aucune porte de sortie, Hu Bo observe des relations humaines où les connexions ne se font que dans l’agressivité et le ressentiment. Les écarts générationnels et le capitalisme galopant semblent avoir détruit tout tissu familial et social, laissant chaque individu dans une irrémédiable solitude et une rage désespérée.
Avec un dispositif beaucoup plus minimaliste et dans un laps de temps fictif très bref (quelques minutes la nuit), Zhengfan Yang imagine dans le court métrage Down There des voisins réagissant à des cris entendus dans la rue. Une conversation en voix off entre un homme et une femme s’interrogeant s’ils doivent intervenir est juxtaposée à un plan de la façade d’un immeuble, où l’on voit à travers les différentes fenêtres une douzaine de voisins accordant peu, puis aucune attention à l’incident hors champ. Un plan unique glaçant qui illustre l’individualisme brutal et la perte de la communauté en Chine.
Le FNC investissait pour la première fois le tout nouveau Cinéma Moderne en présentant une œuvre sonore et sans image qui bénéficiait ainsi de l’équipement Dolby Atmos de la salle. Narré à plusieurs voix, utilisant de la musique et du son projeté par 27 haut-parleurs, la pièce française Le brasier Shelley de Ludovic Chavarot et Céline Ters raconte la vie de Percy Bysshe Shelley, poète romantique britannique mort noyé à l’âge de 30 ans. Il s’agit d’une occasion intéressante de redécouvrir la vie et les écrits du sulfureux poète généralement moins connu du grand public que sa seconde épouse Mary Shelley, mais l’œuvre n’est pas aussi expérimentale qu’on pourrait s’y attendre étant donné son inclusion dans les Nouveaux Alchimistes. Hormis l’expérience immersive procurée par la salle de cinéma, il s’agit d’une pièce radiophonique relativement classique dans sa narration, qui devrait cependant plaire aux amateurs de podcasts et aux nostalgiques de récits radio désirant vivre une expérience améliorée, dans le confort de la salle noire.
Les amateurs d’avant-garde pouvaient plutôt se tourner vers le premier long métrage solo de la réalisatrice canadienne Andrea Bussmann, Fausto (mention spéciale Cinéastes du présent à Locarno). Tournée sur la côte de Oaxaca, au Mexique, le film mêle les légendes et l’histoire, les personnages fictifs de Faust aux vrais protagonistes locaux, les mythes indigènes à la réalité contemporaine. La légende allemande de Faust est réinterprétée sous le prisme de l’histoire coloniale des Amériques, les multiples récits d’avidité et de pacte avec le diable du film s’inscrivant dans la quête de pouvoir et d’argent des colonisateurs, et de leur conflit avec les forces mystérieuses de la nature. Bussmann signe un riche et intrigant film de fantômes aux nombreuses clés de lecture, qui questionne comme ses œuvres précédentes les conventions du documentaire et de la fiction.
An Elephant Sitting Still est à nouveau présenté ce dimanche 14 octobre, 13h15, au Cineplex Odeon Quartier Latin.
14 octobre 2018