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Festivals

FNC 2018 – blogue n°6

par Céline Gobert

On continue à voir des films au FNC. Étrangement, ce sont les gros noms qui déçoivent le plus cette année : If Beale street could talk de Barry Jenkins, qui a ouvert le festival, ne parvenait pas à se détacher d’une certaine artificialité, accumulant les longueurs, The House that Jack built de Lars Von Trier est une œuvre gonflée de prétention et ridiculement misogyne, et même Ash is purest white, bien qu’intéressant dans son traitement de la temporalité, est loin d’être le meilleur Jia Zhangke.

En réalité, c’est ailleurs, chez des films un peu plus «confidentiels» que se trouvait le meilleur du festival.

 

The Reports on Sarah and Saleem de Muayad Alayan :

Intense petite pépite cachée dans la section Panorama International,  The Reports on Sarah and Saleem bâtit son récit d’adultère comme un film à suspense, avec crescendo émotionnel, sérieux du traitement et beauté de la mise en scène en bonus (à voir : certains plans nocturnes de Jérusalem). Une femme trompe son mari (colonel dans l’armée israélienne). Un homme (livreur de café) trompe son épouse enceinte. L’histoire serait somme toute banale s’ils n’étaient respectivement pas Juive et Palestinien, vivant l’un et l’autre de chaque côté du mur, dans des conditions de vie quelque peu différentes (elle est riche, il est fauché). La découverte de leur liaison entraîne le quatuor au cœur d’une intrigue romanesque qui prend souvent des allures de polar (secrets, filatures, rebondissements), suffocante à souhait quand les intérêts de chacun et les considérations politiques semblent faire refermer doucement l’étau sur eux.

Là où l’on aurait pu craindre un manque de subtilité dans l’exploration du sujet, la finesse du scénario, écrit par Rami Alayan le frère du réalisateur, surprend pour le mieux, notamment dans le traitement du rapport hommes/femmes. Féministe, sans être irréaliste non plus, le film redonne ainsi le pouvoir à ses personnages féminins, à la tête de leurs choix et de leurs destinées. Les personnages masculins sont aussi très soignés : personne n’est tout à fait victime, ni tout à fait bourreau, piégés dans la réalité d’un conflit qui complexifie tout, les relations humaines en premier lieu. L’image finale n’est pas sans rappeler la fin d’Une séparation d’Asghar Farhadi, qui laissait ses personnages sur un même silence, alors qu’ils se libéraient enfin du poids de leurs mensonges et rancœurs.

*Le film rejoue le dimanche 14 octobre à 15h15 au Cinéma du Parc.

 

Birds of Passage de Ciro Guerra :

On avait découvert le cinéma de Ciro Guerra avec L’Étreinte du Serpent, qui s’intéressait aux conséquences des contacts entre peuple d’Amazonie et étrangers. Ici, c’est le trafic de marijuana des années 1970, et plus largement le capitalisme, qui vient perturber les Wayuu, un peuple autochtone et les détourner du sacré. Bien moins fort côté esthétique que le premier long, quoique réservant encore des plans magnifiques (on pense à cet immense nuage qui se dresse au-dessus de la demeure familiale en proie à mille tourments), Birds of Passage demeure une fascinante peinture de la chute d’un clan.

Divisé en cinq chapitres («Herbe sauvage», «Les Tombes», «Prospérité», «La Guerre» et «Les Limbes»), le film ne serait qu’un cousin de la série Narcos s’il n’offrait pas d’abord une plongée passionnante dans l’univers spirituel des Wayuu, marqué par les rituels (voir la scène d’ouverture), le sens donné à leurs rêves et le respect consacré à leurs morts. Il y a d’ailleurs une séquence hallucinante où un cadavre est exhumé afin que ses proches puissent laver les ossements et lui rendre hommage.

 

Los Silencios de Beatriz Seigner :

Autre film au sang colombien, Los Silencios, fait aussi la part belle au sacré et au spirituel, laissant entrevoir une culture sud-américaine bien plus proche de ses morts que la nôtre. Par exemple, ici aussi, les protagonistes s’adressent à leurs défunts, et respectent certains rituels (de chants par exemple) pour leur rendre hommage ou leur dire adieu. C’est avant tout cet aspect-là qui se révèle aussi le plus fascinant dans ce second film de Beatriz Singer, qui avait signé en 2009 Bollywood Dream, la première coproduction entre le Brésil et l’Inde.

Le film situe son récit au cœur d’une île inconnue à la frontière du Brésil, de la Colombie et du Pérou, et d’un arrière-fond politique fort (conflits armées et pauvreté). Baigné dans une lumière crépusculaire, enveloppé de clairs-obscurs, Los Silencios brille par la beauté de ses cadrages, et une délicatesse certaine dans la façon de capter l’environnement naturel.

 

The Gentle Indifference of the World de Adilkhan Yerzhanov :

Enfin, titré ainsi parce que le personnage principal est un amateur de l’écrivain Albert Camus, ce film kazakh, présenté dans la section Un Certain Regard à Cannes cette année, suit le duo Saltanat/Kuandyk, forcé de se rendre en ville, faute d’argent.

Comme Los Silencios, c’est un film qui est profondément marqué par le désespoir économique, le deuil de proches, et la difficulté de survivre aux deux. Et comme lui également, il demeure profondément positif, rappelant (sans naïveté aucune) que ce sont le groupe, l’amour et la solidarité qui permettent aussi d’y faire face.

On y trouve en bonus le ton un peu loufoque, l’humour pince-sans-rire et les cadrages fixes et soignés, aux allures de tableaux, d’un Kaurismäki, ainsi que quelques beaux instantanés poétiques, par exemple : cette rose blanche sur laquelle perlent des gouttes de sang qui ouvre le film.


14 octobre 2018