Festivals

FNC 2019 – Blogue no. 3

par Samy Benammar

Dans les couloirs de la Cinémathèque, entre les colonnes de L’Imperial et les sièges trop confortables du Cineplex, un sentiment étrange flotte entre les festivaliers : quelque chose se joue entre les murs du FNC. Un acte politique sous-jacent là où derrière une collection d’images, de corps animés de textures d’écran se dissimule le véritable enjeu : dire et entendre, montrer et voir. Peut-être le véritable film est moins celui dans la salle que celui qui se construit dans les files d’attente là où on l’on saisit les bribes d’une conversation : « As-tu lu la critique du FNC par … ». Mais dans les courses entre deux séances, le temps manque pour capter l’intégralité de ce dialogue. Plus tard, parcourant la programmation sur notre téléphone cellulaire, un message apparaîtra en haut de l’écran : « Oui, la grosse polémique. Je t’avouerai, que je me fiche un peu de cela ». C’est qu’un festival est autant éprouvant que stimulant, moment de condensation cinématographique où la consommation massive de contenus est à la fois démultiplication des opportunités de voir un « chef d’œuvre » et augmentation du nombre de séances insipides qui abiment l’espoir.

L’espoir ressenti par exemple en s’approchant de la projection du premier long métrage de Jérémy Clapin J’ai perdu mon corps primé à Cannes, encensé par la critique et noyé sous les récompenses du prestigieux festival d’Annecy. Dès ses premières minutes, l’animation de Clapin prend une envergure que nous ne lui connaissions pas, lui qui nous a habitué à des courts métrages minimalistes animés par une valse de corps au croisement de l’anthropomorphe et de la pure fantaisie de formes pures. Dans J’ai perdu mon corps, le dessin vient se situer dans une forme de photoréalisme renvoyant immédiatement aux classiques du roman graphique. La scène d’ouverture est encourageante, inscrivant la quête du personnage de Naoufel dans une errance répondant directement au deuil et au déracinement de sa jeunesse. C’est la première narration du film, en parallèle de laquelle se développe celle de cette main, que l’on devine vite être celle du protagoniste principal, à la recherche de son corps. Ce sont sans doute ces dernières séquences qui subjuguent le plus. Animées en 3D, elles ont ensuite été retravaillées par un travail de texture pour produire un effet d’aplat où la profondeur est traduite par des ombres qui parviennent à créer le sentiment de voir les traces d’une mine de graphite prendre forme. On pensera par exemple à la scène du métro où la main confrontée à des rats devient un personnage sensible dont les mouvements, entre les jeux de lumière et une bande sonore irréprochable, créent un moment angoissant et touchant. Si nous sommes éblouis par ces passages, la déception vient vite car l’animation est très inégale dans ses qualités : chutes de frame rate, visages grossiers, design des personnages emprunts de clichés. D’un point de vue purement technique, ces impairs viennent alimenter le sentiment d’une œuvre incohérente, trop chaotique, construite comme un assemblage hétérogène où l’on ne peut que se réfugier dans certains plans pour oublier la qualité moyenne de l’ensemble. Plus grave que ces défauts visuels, le récit développé atteint vite ses limites. Le suspens produit par la main qui devrait pousser le spectateur à se questionner sur l’origine de ce démembrement ne dure qu’une vingtaine de minutes car, sans en dévoiler la fin, le début de l’apprentissage de Naoufel chez un menuisier donne un indice assez grossier sur le dénouement. D’autre part, cette double narration et cette forme de suspens renvoient directement aux courts métrages de Clapin mais aussi à une majorité de l’animation actuelle, se réfugiant dans des scénarios réduits au minimum dont la lourdeur ne semble être acceptée qu’au sein de ce genre. Les violons se multiplient dans J’ai perdu mon corps, le discours social est dilué dans une histoire d’amour classique et le tout vire au mélodrame larmoyant de tristesse et d’espoir écartant progressivement la complexité de ses premières scènes. Si l’on veut bien sortir déçu de ce film, sans doute avions nous trop d’attentes, il est plus difficile de comprendre les raisons qui l’on érigé aux sommets de l’animation cette année. C’est là que le regard, de nouveau, est habité par cette lutte politique sous-jacente, car il n’est pas ici seulement question d’un film mais de l’animation de manière générale qui souffre de cette tolérance aux récits moyens. Car si J’ai perdu mon corps est un film globalement réussi, les discours élogieux qui l’entourent en font un objet problématique tant il semble aussi agréable qu’anecdotique.

Le cumul des tentatives infructueuses nous pousse parfois à un léger désespoir, errant entre les films à la recherche d’une dose, d’un éblouissement, de ce film qui nous fera oublier le reste, le temps d’une séance, un court instant se laisser absorber par le rectangle lumineux, gisant glorieux au milieu de la salle noire. Au cinéma du parc, on se dirige alors vers une valeur sûre, une cinéaste qui a su en un seul film avoir toute notre sympathie. C’est la première canadienne de L.A. Tea Time de Sophie Bédard Marcotte après le surprenant Claire l’Hiver qui avait apporté une fraicheur féminine encourageante au cinéma québécois. Ce deuxième long métrage prend la suite du précédent, s’ouvrant sur un clin d’œil à l’entreprise artistique dans laquelle se lançait Claire à la fin de celui-ci. Mais il n’est plus ici question de ce personnage, Sophie Bédard Marcotte porte son propre nom et, poursuivant sa démarche d’autofiction, elle adopte ici une forme plus proche du documentaire, se jetant éperdument et accompagnée des conseils de Chantal Akerman dans un road trip à travers les États-Unis dont l’ultime étape serait une rencontre rêvée avec Miranda July. Une cinéaste symbole de réussite, modèle idéal qui remplace Francesca Woodman, qui était la référence « dépressive » dans Claire l’Hiver. La dimension documentaire de ce film offre quelques scènes remarquables, un vieux bonhomme du Texas dont le machisme lubrique déstabilise la jeune femme (le regard de Sophie Bédard Marcotte suffit dans ces moments à dire toute la complexité de la situation), ou cet échange avec une danseuse où encore une fois le jeu (le non-jeu ?) de la réalisatrice nous amène dans une intimité si singulière. Cependant, force est de constater que L.A. Tea Time poursuit avec un peu trop de fidélité les intentions de Claire l’Hiver, et la spontanéité est remplacée par une maîtrise qui fait passer d’une modestie sensible à une réitération de la même formule. Encore une fois le film regorge de moments hilarants, jeux formels et verbaux qui font tantôt sourire tantôt rire aux éclats, mais la succession de ces gags ne semble prendre corps nulle part. L.A. Tea Time est indispensable pour quiconque serait passé à côté de du cinéma de cinéma de Sophie Bédard Marcotte et son humour est toujours aussi unique dans le paysage québécois (on oserait même dire international), mais sur le fond, le film continue de traiter les mêmes sujets sans réelles nouveautés. Dans le film, Sophie évoque une troisième œuvre qui s’écarterait de la banalité du quotidien pour proposer une science-fiction dantesque. Sans aller dans l’extrême de cette plaisanterie, L.A. Tea Time semble appeler à un renouvellement chez la réalisatrice qui confirme ici toute la sincérité et la sensibilité d’une parole que l’on espère voir échapper au renfermement et explorer d’autres espaces, moins confortables, dans un prochain film.

A la limite de l’épuisement, titubant dans l’escalier en essayant de démêler les idées qui s’entrechoquent dans la tête, les images du Liberté d’Albert Serra, premier film vu pendant le festival et déjà discuté par Carlos Solano, reviennent en mémoire. Incapable de définir le sentiment qui nous habite à l’issu de ce film et se demandant s’il ne s’agissait pas là d’une grande œuvre par sa simple capacité à remettre notre rapport au cinéma en question, à nous questionner pendant plusieurs jours, une séance des Nouveaux Alchimistes se profile. Cette programmation de films non narratifs laisse parfois un goût doux amer lorsque les films présentés n’ont d’expérimental que le nom de la sélection dans laquelle ils s’inscrivent. Le programme courts métrages compétition internationale les nouveaux alchimistes 3 offre néanmoins une œuvre qui répond enfin au désir brulant d’une découverte qui saura condenser le temps d’un visionnement délicatement toute la lutte politique, la faire sentir et ne plus la réfléchir. Collage de bandes filmiques de 35 et de 16 millimètres, E-Ticket de Simon Liu est un Peter Tscherkassky dopé aux réseaux sociaux, fresque visuelle en perpétuel mouvement dans une ère nourrie par l’image jusqu’à contamination du subconscient. À partir d’archives et pour échapper à ce flot incessant, Simon Liu s’enferme pendant plusieurs mois, il découpe, colle, assemble, linéarise et défait la structure du visible pour créer un film à l’image de son regard : erratique, dénué de toute chronologie et poussant le spectateur à prendre une décision. Il est impossible de voir E-ticket dans son intégralité, la vitesse et la fulgurance du montage nous impose de choisir en permanence où poser les yeux. Loin de n’être qu’un simple essai graphique expérimental, le film offre une proposition politique en phase avec les enjeux contemporains, car on distingue dans certains photogrammes, un char, une protestation sans avoir le temps de l’identifier : est-ce une archive ou une actualité ? Sans doute est-ce d’abord et avant tout une agression, une interpellation pour l’esprit qui pensait pouvoir s’endormir, continuer à se laisser porter entre les projections. Simon Liu nous force ici à sortir de la salle un peu étourdi, pour se poser la question que l’on ne rêvait même plus voir apparaître : « Mais qu’est ce que je viens de voir ? ».

SÉANCES DE RATTRAPAGE :

Courts métrages compétition internationale les nouveaux alchimistes 3 : VENDREDI 18 Octobre à 17h15 à la Cinémathèque – Salle Fernand-Seguin.

J’ai perdu mon corps : lundi 14 Octobre 2019 à 17h30 au Cineplex Odeon Quartier salle 10 + dimanche 20 Octobre à 17h00 Cinéma du Musée.

L.A. Tea Time : dimanche 20 octobre à 18h30 au cinéma du parc 3.


14 octobre 2019