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Festivals

FNC 2019 – Blogue no. 5

par Elijah Baron

Il est encore un peu déconcertant de voir apparaître quelquefois, en début de séance, ces rayons multicolores qui envahissent l’écran pour former un énorme “N”, symbole d’un avenir incertain pour le cinéma traditionnel. Si Netflix semble être en train de changer la donne dans l’industrie, les oeuvres produites sous son égide n’ont au final rien de particulièrement radical. Au contraire, Marriage Story de Noah Baumbach est un film « à l’ancienne » qui renvoie directement au cinéma des années 1970, aux comédies doucement mélancoliques de Woody Allen et aux drames prestigieux du type de Kramer vs. Kramer. Autrement dit, c’est un film comme on n’en fait presque plus, qui ne tombe ni dans le piège du sentimentalisme prétendument humaniste des productions commerciales, ni dans l’auto-indulgence d’un certain cinéma d’auteur. Kylo Ren (Adam Driver) et Black Widow (Scarlett Johansson) n’ont ici rien de surhumain ; ce ne sont que deux individus touchants de par leur banalité, des êtres extrêmement bien cernés et définis, comme le sont de manière générale les personnages de Baumbach, l’un des scénaristes les plus efficaces de son époque. Le récit relate le divorce inutilement compliqué des protagonistes en alternant entre leurs perspectives. Bien que le point de vue de l’enfant pris entre deux feux ne soit pas pris en compte, c’est dans cette position que se retrouve le spectateur, sa sympathie étant partagée entre les deux personnages. Loin d’adopter un regard accusateur ou vengeur, le cinéaste exploite le potentiel comique des situations les plus difficiles, et illustre avec une ironie piquante les rouages de l’industrie du divorce qui exacerbe systématiquement les sentiments les plus bas.

Que deux films aussi différents que Marriage Story et Beanpole puissent être projetés et visionnés l’un à la suite de l’autre, tel est le paradoxe des festivals de cinéma. Plus de place chez Kantemir Balagov pour le filet de sécurité qu’était dans le film de Baumbach la musique bienveillante de Randy Newman. Entrer dans le monde de ce jeune cinéaste russe, déjà récompensé au FNC pour Closeness, son premier film, c’est s’ouvrir à des coups émotionnels insoupçonnés. Mais c’est surtout assister à l’émergence d’une toute nouvelle génération d’artisans du cinéma, d’une véritable relève ; Balagov a le pouvoir de concentrer autour de lui de prodigieux interprètes et techniciens, tous en-dessous de la trentaine, et dont le talent ne fait aucun doute. C’est le cas ici de la directrice photo Kseniya Sereda, dont une autre oeuvre, Acid, est présentée dans la section Panorama international, et des actrices Viktoria Miroshnichenko et Vasilisa Perelygina. La participation de ces femmes au projet est d’une importance cruciale ; il est clair que pour Balagov, comme pour l’écrivaine Svetlana Alexievich qui a servi d’inspiration à Beanpole, un regard féminin sur la Seconde Guerre mondiale s’imposait. C’est un film empli de la douleur de celles qui reviennent de guerre avec de telles mutilations physiques et psychologiques que le concept de victoire en perd tout son sens, puisque pour elles le combat s’étirera sur toute une vie. Voilà de quoi remettre en question le caractère festif du Jour de la Victoire, célebré en Russie depuis 1965, et dont les accents militaristes ne font que gagner en aggressivité. Beanpole est d’une telle violence émotionnelle qu’on a parfois envie de détourner le regard ; mais les images sont si riches en couleurs et en textures qu’elles subjuguent autant qu’elles secouent.

Finissons sur un autre film qui ébranle, par sa forme encore plus que par son contenu : Bird Talk, adapté du dernier scénario d’Andrzej Zulawski par son fils Xawery, est une oeuvre enragée et engagée qui nous prend d’assaut, s’abat sur nous avec une telle force qu’il faut un temps pour entrer dans son rythme dément. Les images se succèdent avec fièvre et la musique ne cesse de démarrer et de s’interrompre dans un montage nerveux, fracturé, anxiogène qui donne l’impression d’assister à un exorcisme ou une crise d’épilepsie. Or, une fois qu’on accède à la logique que suit ce flot de conscience, une communion s’installe dans la salle, le quatrième mur n’existe plus. Tout est permis, tout est toléré : c’est la joie de faire du cinéma qui domine. Mais le film a bien un sujet, même deux, et ils sont abordés de manière franche et auto-référentielle. Le premier sujet concerne la montée de l’extrême-droite en Pologne, et il est traité principalement sur le mode comique : « C’est comme enculer un tigre, c’est drôle et effrayant à la fois ». Le deuxième sujet concerne le rapport de Xawery Zulawski à son père, décédé en 2016. On devine que toute une dimension spirituelle s’est ajoutée au scénario au moment où le fils a décidé de réaliser le projet. Le père y est directement invoqué, dans un désir d’hommage, de continuité : sa présence se ressent fortement dans les dialogues surréalistes, à mi-chemin entre le théâtre et la poésie, dont il est l’auteur, mais elle est aussi concrète, puisque nous le voyons intervenir en tant que personnage. Dans les mains d’Andrzej Zulawski, peut-être Bird Talk aurait-il ressemblé à un testament ; dans les mains de son fils, c’est un film plein de vie et de promesse.

SÉANCES DE RATTRAPAGE:

Marriage Story : 18 octobre à 19h au Cinéma du Musée

Beanpole : 19 octobre à 16h15 au Cineplex Quartier Latin


18 octobre 2019