FNC 2020 – Blogue n°7
par Apolline Caron-Ottavi
« Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer »
Le Barbier de Séville, Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
Comment (faire) rire en 2020 ? La question peut légitimement se poser, tant les semaines défilent avec chacune son lot d’événements accablants, d’abus de pouvoir éhontés, de polémiques nouvelles et de violences en tout genre, le tout rivalisant dans les actualités avec la pandémie en cours, quitte à éclipser les nouvelles de la catastrophe de fond qui se joue à l’échelle du siècle, et qui est pourtant le contexte auquel l’on doit ce charmant virus : la planète s’effondre, la déforestation va bon train, la banquise fout le camp, les phénomènes extrêmes deviennent la norme et les îles coulent en silence. Ça va bien aller.
Essayons donc de rire un peu, grâce aux comédies made in France, malicieuses et intelligentes, qui se sont glissées dans la programmation en ligne du Festival du nouveau cinéma, section Temps Ø. Commençons par Poissonsexe, fable écologique et romantique réalisée par Olivier Babinet, qui nous avait offert le savoureux Swagger il y a quelques années. Rien n’est tout à fait à sa place dans ce film et c’est ce qui est absolument réjouissant. Un biologiste (lunaire et formidable Gustave Kervern), perdu sur les côtes françaises, étudie la vie marine alors que la dernière baleine du monde part à la dérive, et rêve d’avoir un enfant alors que la fécondité humaine est gravement en berne. La rencontre d’une fille aux cheveux roses (pétaradante India Hair) et la découverte miraculeuse d’un axolotl (allez googler si le mot est inconnu au bataillon, ça vaut le détour), créature aquatique ici anormalement parlante, impertinente et lubrique, vont lui permettre de retrouver (à peu près) son chemin et de comprendre le sens profond de ses désirs dans ce monde de fous. Abordant sur le ton de la plaisanterie absurde le face à face pourtant plein de gravité des impérieux désirs reproductifs des humains et de la sixième extinction qu’ils ont mise en branle, Babinet signe un film déjanté, émouvant, profondément mélancolique et pourtant bourré d’espoir. Le tout bricolé avec un petit budget : un film « responsable » en quelque sorte, dans tous les sens du terme, comme on aimerait en voir de plus en plus souvent.
Il y a également Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi et John Wax, une autre belle surprise dans le paysage de la comédie française (attention, on est très loin bien sûr du vaudeville en appartement haussmannien). Jean-Pascal Zadi y joue le premier rôle, celui d’un acteur dont la carrière n’a jamais vraiment décollé mais qui imagine son heure de gloire venir en organisant une marche des hommes noirs, contre le racisme systémique, à Paris. Il se lance à la recherche de soutiens parmi les stars noires du showbiz français : cette prémisse donne lieu à une structure de film à sketchs, ponctuée par les caméos de vedettes dont les rôles font écho de près ou de loin à leur véritable persona. Il n’est pas si dérangeant de ne pas tous les reconnaître, car l’intérêt du film est ailleurs : dans son humour décapant, qui passe au crible les paradoxes du militantisme identitaire et l’irréconciliabilité des sensibilités exacerbées, tout en révélant brutalement au tournant de certaines scènes les relents nauséabonds du racisme « ordinaire » et la violence de la lutte des corps comme des classes qui se joue en permanence dans la société. Les ressorts burlesques marchent à fond (Zadi, grand corps maladroit aux idées floues, malmené de bout en bout), les dialogues sont jubilatoires, et le discours antiraciste du film a d’autant plus de chances d’avoir une portée réelle (à la différence d’un Moonlight prêcheur de convaincus? On vous laisse voir le film de Zadi et Wax pour saisir l’allusion) que son discours passe par l’autodérision, l’irrévérence et le rire qui, faut-il encore le rappeler, demeure la plus efficace et courageuse des armes.
Et pour ceux qui voudraient continuer sur leur lancée et apprécient d’autant mieux les farces qu’elles sont sales et féroces, soulignons Thalasso de Guillaume Nicloux, la « suite » de L’enlèvement de Michel Houellebecq, reprogrammé pour l’occasion. On a ici affaire à Michel Houellebecq et à Gérard Depardieu, dont la rencontre fortuite dans un centre de thalasso va faire voler en éclat les règles d’hygiène, les consignes de santé et l’ordre établi dans ce temple du bien-être et de la reconnexion avec soi-même. Un peu comme une bombe, en fait. A-t-on besoin d’en dire plus ? Les aficionados des pavés dans la mare se reconnaîtront.
Avec tous ces films, il ne s’agit pas de ricaner pour ne plus penser à rien, mais de retrouver le sens de la dérision, de conjurer les drames, de réfléchir sans ruminer, de déjouer ceux qui se prennent trop au sérieux, d’avancer ensemble en terrains (dé)minés, d’embrasser un rire collectif, celui d’une communauté humaine, et ce même si l’on est tout seul sur son canapé. Bref, ce sont des films qui font rire pour mieux résister. Résister à la dépression ambiante, résister à l’égocentrisme galopant, résister à l’oppression, résister aux dérives autoritaires, résister aux conventions, résister à la bienséance hypocrite. Voilà qui fait du bien et qui redonne un peu de cœur au ventre, même si tout ne va pas forcément bien aller.
Il reste une semaine pour profiter de la programmation en ligne du FNC 2020.
Les passes de section sont désormais à -50%, celle de Temps Ø (11 films) est ainsi à 44$, ici.
24 octobre 2020