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Festivals

FNC 2020 – Blogue n°2

par Elijah Baron

On perçoit souvent un film selon le contexte dans lequel on le visionne, et le fait de devoir vivre le FNC à domicile ne peut que nous confronter à l’étrangeté de la situation actuelle, créant une certaine distance avec les images présentées. En parcourant les films de la programmation, on constate notamment qu’une partie du cinéma réaliste se trouve dans une position délicate, les œuvres tournées avant le début de la pandémie ayant été rendues quelque peu obsolètes par la « nouvelle normalité » à laquelle se sont depuis pliées nos vies. Le simple fait de voir à l’écran des individus interagir sans masque ni distanciation sociale peut à présent générer un malaise momentané. L’attrait envers un cinéma de l’évasion, de la contemplation, pourrait être au contraire grandi par les circonstances ; il y a de quoi être attiré, par exemple, par ces trois films internationaux, unis par un rapport particulier à la féminité, à la nature, aux mythes, à la vie urbaine, mais aussi par leur représentation d’existences en suspens entre les mondes.

Conçu comme le premier volet d’une trilogie inspirée de légendes allemandes, et réalisé d’une main sûre par Christian Petzold, Undine est un heureux mélange de douceur et d’ambiguïté, de lyrisme épuré et d’oscillation narrative. S’il est chargé, comme les films précédents du cinéaste, du poids lourd d’un passé à la fois historique et personnel, ce mélodrame fantastique se distingue avant tout par l’élégance que peuvent avoir les fables simples et bien mises en forme. Sans forcément réinventer le mythe de la sirène, Petzold en fait une lecture abstraite et hautement romantique, trouvant la beauté et le mystère du mythe dans l’idée de récurrence de motifs narratifs, visuels et sonores. La présence de Paula Beer et de Franz Rogowski contribue d’ailleurs à cet effet de déjà vu ; le duo de Transit, réuni ici une seconde fois, brille de par sa dynamique familière et complexe, notamment dans des scènes muettes situées sur terre comme au fond des eaux. C’est dans ces moments que le film, somme toute paisible et engageant, s’apprécie le mieux ; son discours flottant, qui semble porter en même temps sur les relations amoureuses, l’histoire de Berlin et le retour aux mythes, n’en constitue peut-être pas, après tout, l’intérêt principal.

The Cloud in Her Room, le premier long métrage de Zheng Lu Xinyuan, se caractérise également par une atmosphère flottante, engourdie, comme lasse de réfléchir. La rigidité formelle d’un Petzold part brusquement en fumée, se diluant dans l’univers noir-et-blanc, puis blanc-et-noir, d’un Hangzhou peuplé de personnages qui ne sauraient vivre autrement que la tête dans les nuages. La caméra alterne entre une distance qui efface les personnalités, et une proximité extrême qui ne fait rien pour les rétablir ; quelque part entre les deux, il y a Muzi, une jeune chinoise (incarnée par la charismatique Jin Jing) que nous voyons rôder dans les ruines du passé de ses parents, et celles de son propre avenir. En pénétrant sa chambre, où elle se livre à des activités plus ou moins signifiantes, on est frappé par le fait d’accéder de manière aussi authentique à son intimité, en ces temps où chacun est prisonnier de la sienne. La beauté visuelle de ce film, aperçue à travers la fumée de tabac qui domine les espaces, ne suffit pas toujours à combler les attentes ; on se rend compte que la cinéaste n’a finalement à proposer que cette porte vers la vie des autres, le corps des autres, leurs espoirs brisés et flux de conscience.

On comprend beaucoup mieux la valeur d’une telle proposition lorsque, ayant ignoré les avertissements parvenus de Venise, et cédé devant le nom de Terrence Malick, on se retrouve confronté à un projet aussi déplorable que The Book of Vision. Il n’était pourtant pas insensé de croire que ce premier film de fiction réalisé par l’Italien Carlo S. Hintermann pouvait être une grande œuvre de la démesure, semblable à Cloud Atlas ou à The Fountain de par ses envolées narratives et ses aspirations philosophiques. Or, il manque en fin de compte au cinéaste, outre un style propre, ne serait-ce qu’un brin de folie ; l’esthétique dérivée du style de Malick, qui a produit le film, ne s’accompagne que d’un scénario déclamatoire, inapte à construire un récit intelligible, et encore moins à formuler une vision intelligente de la médecine et de ses évolutions. The Book of Vision prétend étudier les liens de la science et de la spiritualité, mais ne fait en réalité qu’encourager au scepticisme vis-à-vis de la médecine moderne, à une période des plus propices à la désinformation. Le mois dernier, Hintermann disait : « Au XVIIIe siècle, quand la médecine antique cède le pas à la médecine moderne, d’un côté il y a l’élan des Lumières, de l’autre le tableau folklorique d’une Europe riche en rites païens et en traditions ancestrales. Aujourd’hui, les deux cohabitent, et c’est à nous qu’il revient d’en faire une synthèse nouvelle. Pendant la pandémie, toutes nos certitudes se sont écroulées et nous avons compris que le monde doit être réinterprété. » Avant la pandémie, son film n’aurait été que médiocre ; aujourd’hui, au vu de la réinterprétation à laquelle il encourage, son film semble particulièrement odieux.

 

Les films de la 49e édition du FNC peuvent être visionnés en ligne jusqu’au 31 octobre.


11 octobre 2020