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Festivals

FNC 2020 – Blogue n°3

par Samy Benammar

La nuit est encore tombée, il y a quelques jours sans prévenir, nous forçant à nous tapir au creux de nos appartements pour profiter de cette édition du FNC en ligne, essayant d’oublier, le temps de quelques visionnements, la sensation irremplaçable du brouhaha qui précède les films et du réconfort des sourires qui accompagnent la sortie de la salle. La nuit est tombée mais nos téléviseurs et nos ordinateurs apparaissent comme autant d’écrans sur lesquels se reflète une lumière solaire et pouvoir ainsi explorer la programmation du festival m’évoque ces soirées où l’on se perd à observer la Lune sur laquelle persiste l’éclat du jour jusqu’à l’aube. L’astre me semble illustrer parfaitement les trois premiers films visionnés cette année, qu’il s’agisse de Lúa Vermella ou To the Moon qui y font directement référence où de Judy VS Capitalism dont le cri renvoie à cette même résistance de la lumière.

To the Moon présente en long et en large toute la puissance évocatrice de la Lune en proposant un collage d’images aux textures diverses, explorant l’histoire du cinéma sous le prisme de ce symbole intemporel qui subjugue les regards.  Découpant le film en chapitres, Tadhg O’Sullivan propose une exploration quasi exhaustive des valeurs symboliques qui ont été données à la Lune. Résolument mélancolique, ce film de montage balaie ainsi un éventail très large de situations, allant du romantisme du croissant de Lune sous lequel se joue un amour naissant, à l’inquiétante noirceur d’une lueur crépusculaire d’où jaillissent les monstres. L’exercice est exécuté d’une main de maître, parvenant à produire une envoutante fluidité dans la succession des scènes et des choix de dialogues mis en valeur en étant tantôt rattachés à leurs plans respectifs tantôt transformés en voix off auxquels se superposent des images d’un autre cinéma créant une intertextualité au cœur de l’ambition du projet. Malheureusement, la rigidité de la structure et le manque de porosité entre les sections ne permet pas au film d’acquérir un discours propre. L’effet de compilation n’empêche pas le film d’offrir un doux poème par lequel on se laisse volontiers bercer mais en définitive, il n’en ressort aucune idée nouvelle. To the Moon reste ainsi, et c’est plus louable que critiquable, une sublime succession de citations.

On entre dans Lúa Vermella comme dans un documentaire, observant un village côtier se construire plan par plan. Le lieu est à la fois familier et distant. Nous l’avons déjà traversé dans ces régions du monde où l’industrialisation a transformé ces hameaux en espaces hors du temps au sein desquels il ne reste que quelques rares pécheurs qui se racontent les histoires d’ancêtres disparus en mer. Et ce sont ces légendes rurales qui vont venir s’immiscer entre les briques délabrées de l’image. Lúa Vermella se raconte comme une rumeur, si bien qu’observant les corps presque figés des villageois fantomatiques, on se demande si ce sont leurs mots qui nous parviennent où ceux d’une voix qui s’élève des murs et du ressac de l’eau sur le rivage. Une inquiétante étrangeté se construit ainsi dans la rencontre de plans magnifiques – jouant sur l’immensité du paysage et la petitesse des maisons qui le bordent – et les paroles qui incarnent parfaitement l’idée de folklore. En effet, ce dernier constitue le ciment qui lie le fantastique à la réalité, venant brouiller les frontières entre les deux et faisant des histoires de sorcières et de monstres marins, des rêves mais aussi des métaphores de la solitude et du désespoir au point où l’on ne sait plus exactement si nous avons vu ou non cette forme obscure qui longe le rivage, prête à dévorer les habitants. Par des choix de mise en scène extrêmement simples (on pensera évidemment aux draps qui viennent recouvrir les corps pour en faire des fantômes, peut-être en étaient-ils déjà) Lúa Vermella multiplie les idées et offre un spectacle visuel sans cesse renouvelé sous la lumière d’une Lune pleine de mythes et d’une mémoire sanglante dont le pourpre finira par envahir tout l’écran. Pesant, lourd, même écrasant, le film est une expérience esthétique troublante et pénétrante, extrêmement exigeante pour son spectateur qui, s’il se laisse prendre au jeu des légendes, finira lui aussi dévoré par les eaux troubles du village.

Dans Judy vs Capitalism, Judy Rebick est présentée en légende vivante de l’activisme canadien. Elle évoque par les éclats de son rôle historique une forme de lueur dans l’obscurité. Impliquée dans l’une des premières cliniques d’avortement du pays dans les années 1980 et toujours active dans les récentes années, son refus de l’injustice et sa défiance envers l’autorité est l’occasion pour Mike Hoolboom de traverser une histoire de la lutte politique au Canada. Les techniques visuelles du cinéaste sont ici mises au service du personnage dont il manipule les archives. Ainsi, les superpositions et autres ralentis auxquels il nous a familiarisés deviennent l’incarnation d’un parcours dont le récit mêle le rôle politique de l’activiste à son intimité. Le jeu habile entre les images publiques et les images personnelles permet de dresser un portrait aussi touchant qu’inspirant. On y aborde autant la dépression que l’oppression, les deux démons contre lesquels elle s’est battue toute sa vie. En résulte un documentaire passionnant autant par sa forme que son contenu et une parole qui résonne avec l’année en cours alors que Judy le point levé harangue la foule. Comme La lune qui refuse de se laisser dévorer par l’obscurité, comme le FNC qui survit en ligne, elle hurle : “We won’t, we won’t shut the fuck up”.

 

Les films de la 49e édition du FNC peuvent être visionnés en ligne jusqu’au 31 octobre.


13 octobre 2020