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Festivals

FNC 2020 – Blogue n°5

par Jérôme Michaud

Les œuvres à thématique religieuse n’ont pas toujours la cote. On pourrait dire que ce sont rarement celles qui apparaissent comme les plus stimulantes au premier regard. Lorsque vient le temps de choisir entre deux films, dont l’un traite étroitement d’une des doctrines de la foi, en en faisant parfois même indirectement la promotion, plusieurs auront tendance à éviter ce premier choix pour se rabattre sur le second, et ce même si cela implique de se tourner ainsi vers une proposition artistique de moindre envergure. Peut-être est-ce simplement, pour certains, le relent d’un traumatisme de jeunesse, celui d’avoir dû endurer, année après année, l’interminable version française de la minisérie Jésus de Nazareth, réalisé par Franco Zeffirelli, qui jouait en trame de fonds à la télévision lors des repas de Pâques en famille?  S’il fallait rassurer les cinéphiles en quête de films d’auteur singuliers, alors qu’ils hésitent encore à s’aventurer vers les intrigants Servants et This Is Not a Burial, It’s a Resurrection, on peut affirmer que ceux-ci évitent avec brio les tendances prosélytiques et qu’elles sont avant tout des œuvres artistiques parfaitement abouties.

Sous ses allures de drame religieux austère, Servants se révèle en fait être une magnifique réappropriation du film noir. L’inquiétante froideur de sa trame sonore et sa mise en scène rigide finement calibrée parviennent à créer un pont habile entre ces deux genres cinématographiques en apparence diamétralement opposés. S’ouvrant sur un meurtre mystérieux, Servants fonctionne sur le mode de la révélation : chaque scène permet de mieux comprendre l’implication des personnages dans la lutte qui oppose un séminaire de religieux au régime communiste et autoritaire tchécoslovaque du début des années 1980. Ce dernier tente de réduire au silence et d’étouffer l’autonomie ecclésiastique autant que faire se peut. D’une belle efficacité, le récit ne se déploie cependant pas sans heurts. Condensé en seulement 80 minutes, il est tissé serré au point de parfois manquer de clarté. On comprend tout de même aisément les grands axes et c’est surtout la guerre intestine qui se dessine au sein du séminaire qui retient l’attention. Le cinéaste slovaque Ivan Ostrochovský humanise la violence interne au groupe en la ramenant à l’échelle individuelle, plus précisément en centrant son histoire sur les conséquences fâcheuses qu’auront ces événements sur l’amitié et la vie de deux jeunes séminaristes. Servants se distingue par la sensibilité dont il fait preuve lorsque vient le temps d’aborder l’impact profond et brutal que peut avoir un régime autoritaire dans son plus bas ruissellement, celui qui pulvérise l’individu au profit de grands idéaux appliqués unilatéralement. Le film est assez sombre dans son propos et cela le rapproche d’autres œuvres majeures de proches voisins d’Ostrochovský : The Painted Bird du Tchèque Václav Marhoul et Ida de même que Cold War du Polonais Paweł Pawlikowski, d’autant plus que tous ont également une photographie en noir et blanc absolument renversante.

D’ailleurs, lorsque vient le temps de parler de maîtrise de l’image, This Is Not a Burial, It’s a Resurrection est loin de faire piètre figure. L’élégance de ses cadrages et de ses mouvements de caméra, l’utilisation judicieuse de la profondeur de champ et la beauté sensible de la texture donnée à l’image sont quelques-unes des caractéristiques marquantes du second film de Lemohang Jeremiah Mosese. Cinéaste lesothien dont on avait eu la chance de voir Mother, I Am Suffocating. This Is My Last Film About You, son magnifique premier long métrage, aux RIDM l’an dernier. Aux prouesses techniques du cinéaste s’ajoute, avec complexité et fluidité, un entrelacement incessant qui alterne entre une narration poétique portée par une voix d’homme caverneuse, une composition sonore riche par moments expérimentale, et des dialogues brillants qui sont admirablement bien rendus par des acteurs savamment choisis pour leur rôle. Au centre du récit, on suit Mantoa, une octogénaire qui vient de perdre son fils, le dernier membre de sa famille. Femme aux croyances religieuses fortes, elle attend maintenant sa mort et souhaite être enterrée dans sa communauté auprès de ses proches. Son désir est cependant assombri par l’ordonnance d’expropriation qui pèse sur son village alors que la construction d’un barrage s’apprête à l’engloutir. Mosese fait de la religiosité de sa protagoniste une valeur intrinsèque forte et légitime qui guide son cheminement face aux forces qui menacent son deuil. On assiste ainsi à une bataille entre tradition et modernité au sein de laquelle le religieux est un aspect traditionnel dominant sans pour autant être le seul. Quitter le village conduirait aussi à démanteler la communauté et à transformer le mode de vie rural de chacun de ses membres. Tout comme dans Servants, la force antagoniste émanant du gouvernement a quelque chose d’inéluctable pour les personnages qui n’ont aucune emprise envisageable sur elle. Mosese excelle à faire ressentir toute la tragédie qui se joue pour Mantoa et il parvient ainsi, avec une rare intensité, à nous faire vivre tout le désespoir qui accable sa protagoniste. This Is Not a Burial, It’s a Resurrection est un tour de force magistral de la part d’un cinéaste émergeant dont on suivra le parcours avec attention.

Les films de la 49e édition du FNC peuvent être visionnés en ligne jusqu’au 31 octobre.


17 octobre 2020