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Festivals

FNC 2021 – Blogue n°3

par Céline Gobert

Wildhood de Bretten Hannam

Un festival n’est réussi que lorsqu’aux côtés des grands noms de cinéastes bien établis (cette année : Sean Baker, Hong Sang-soo, Tsai Ming-liang ou Jane Campion pour ne citer qu’eux) surgissent pépites inattendues, perspectives d’auteurs surprenantes et nouvelles voix. C’est ce genre d’éclair merveilleux que provoque le Canadien Wildhood, premier long métrage solaire de l’artiste Mi’kmaq, bispirituel et non-binaire Bretten Hannam. Sélectionné en Compétition nationale, son film (tiré de son propre court-métrage Wildfire) nous arrive tout droit de la Nouvelle-Écosse et déploie un style d’une délicatesse rare qui rappelle, par sa sensibilité et ses accents queer, les premiers films de Gus Van Sant et tout particulièrement de My Own Private Idaho.

Hannam suit la quête identitaire du jeune adolescent Link parti, aux côtés de son petit frère, sur les traces de sa mère biologique autochtone. Sur la route, le garçon fait la rencontre de Pasmay, par lequel il est irrésistiblement attiré et grâce à qui il va pouvoir se rapprocher de ses racines. Alternant des séquences caméra à l’épaule qui reflètent les remous intérieurs du trio masculin et des scènes aux images plus léchées, magnifiées par une attention particulière portée à la nature et au monde du vivant, Hannam ne craint jamais de s’aventurer sur des territoires sentimentaux, ce qui hisse le film vers des sommets d’humanité et de beauté. Son propos (entre autres : notre héritage culturel nous façonne et nous console) résonne dans notre réalité de plus en plus déconnectée des forces harmonieuses et cycliques de la nature.

Moon, 66 Questions de Jacqueline Lentzou

Voici un autre film, celui-ci sélectionné en Compétition internationale, placé sous l’égide de forces surnaturelles ou spirituelles : les lunes influentes, les cartes de tarot prophétiques. La Grecque Jacqueline Lentzou y raconte la lente réconciliation d’une fille un peu étrange et décalée (excellente Sofia Kokkali) avec son père mutique, récemment victime d’un AVC et dont elle doit s’occuper.

Entrecoupée d’images VHS filmées en 1997 (« le jour de la naissance de Gena Rowlands » mais pas seulement), la relation père/fille trouble et torturée de Moon, 66 Questions se dévoile tout en silences et en disruptions, adressant un sujet lourd (la maladie, la perte d’autonomie) par le biais d’une approche audacieuse, tantôt pince-sans-rire, tantôt ludique. Lentzou avance ainsi en érigeant un système d’échos amusants (sans l’être tout à fait) : à une scène étouffante de rééducation d’un corps paralysé répondent des séquences à l’humour noir cathartique dans lesquelles la jeune femme tente de se mettre dans la peau de son père, soit en rampant sur le sol, soit en essayant d’allumer une cigarette en tremblant.

Bien que l’émotion reste le plus souvent à distance – probablement la faute d’un scénario cousu de façon très cérébrale malgré l’intensité des thèmes abordés – ce long métrage ouvre la porte à un talent prometteur dont il faudra suivre la suite de la carrière.

In Front of Your Face de Hong Sang-soo

Enfin, quelques mots sur l’un des films les plus bouleversants de cette 50e édition du Festival, pioché parmi « les incontournables » : le 26e long métrage du sud-coréen Hong Sang-soo.

Le cinéma du maître de l’épure traverse depuis quelque temps une passe plus mélancolique, voire dépressive, dont l’hivernal Hotel by the River en est la plus parfaite illustration. Même si esthétiquement plus lumineux (avec ce soleil et ces fleurs printanières florissantes qui célèbrent entre autres les retrouvailles de deux sœurs dont l’une est partie vivre plusieurs années aux États-Unis), le cœur d’In Front of Your Face n’en demeure pas moins cruel et triste.

Au fil de rencontres et de repas partagés, HSS offre des plans si merveilleux qu’ils feraient pleurer : une marche sororale, main dans la main dans une rue déserte, des notes jouées à la guitare qui sonnent différemment une fois la terrible révélation faite, une cigarette allumée sous un parapluie, pour la dernière fois. Ces petits instants de magie volés à la barbe du temps symbolisent ces choses « en face de nous » qu’il faut absolument distinguer pour bien vivre ; des instants qui ne renvoient à rien d’autre qu’au moment présent, cette seule vérité dont on soit à peu près sûrs.

Alors que faire sinon rire ? demande HSS à travers son personnage principal Sangok (sublime Lee Hye-yeoung). Rire à gorges déployées, rire goulûment, non sans cynisme, à la gueule de nos morts imminentes.

 

Wildhood est présenté en ligne jusqu’à la fin du mois.

Moon, 66 Questions est projeté le lundi 11 octobre à 17h30 au Cinéma du Musée, puis en ligne.

Une séance en salles (Cinéma du Musée) est prévue pour In Front of Your Face, samedi 16 octobre à 18h20.


11 octobre 2021