FNC 2021 – BLOGUE N°5
par Bruno Dequen
Chaque année, la compétition nationale du FNC permet de faire un état des lieux assez juste du cinéma de fiction québécois et, dans une moindre mesure, canadien. Or, après une année 2020 quelque peu minée par les films reportés, les attentes étaient grandes cet automne, comme le souligne le festival en consacrant son ouverture et sa clôture à deux films québécois. Quel bilan provisoire est-il possible de dresser après quelques films ? Si, pour reprendre le titre du récent documentaire percutant de David Dufresne, la France se voit imposée d’être « un pays qui se tient sage », le Canada vu par son cinéma est « un pays qui se cherche ». Le prochain blogue s’attardera plus particulièrement au très prometteur Damascus Dreams et à La contemplation du mystère, notre collègue Céline Gobert a déjà fait l’éloge de Wildhood et notre critique de Bootlegger est disponible ici. Du plus inspirant au moins inspiré, voici trois autres premiers longs métrages à partir desquels réfléchir le cinéma d’ici :
Ste. Anne de Rhayne Vermette
Sélectionné à la dernière Berlinale, ce récit poétique manitobain est enfin visible au Québec. Sur papier, rien de neuf sous le soleil canadien. Le film suit le retour dans son ville natale de Renée (interprétée par la cinéaste), une jeune femme métis tourmentée qui avait abandonné sa jeune fille aux soins de son frère. Les retrouvailles sont tendues, le poids du passé est lourd à porter, et Renée questionne son appartenance à ce territoire et à ses racines.
Si le film mérite une attention particulière, c’est que son récit volontairement minimaliste est au service d’une véritable recherche d’écriture cinématographique singulière. Pour le dire simplement, Ste. Anne est bien plus proche d’un certain cinéma dit expérimental que de la fiction traditionnelle. Porté par des voix off asynchrones, accumulant les scènes en 16mm davantage impressionnistes que narratives, il s’agit d’une proposition aussi éloignée que possible du cinéma commercial. Or, ce parti pris est d’autant plus intéressant qu’il semble totalement en symbiose avec une volonté d’affirmer un point de vue autochtone propre à la cinéaste. Ainsi, outre la capacité à rendre compte des multiples échos de la nature, le choix délibéré de décontextualiser les scènes – à la fois au sein du récit, mais aussi dans le temps, à travers des références à de multiples époques possibles – nous invite à laisser de côté nos préconceptions pour mieux plonger dans un rapport au monde qui fait fi des hiérarchies. Et si la redéfinition de soi ne pouvait passer que par la prise de conscience nécessaire que passé, présent et futur étaient coexistants ? Pour Rhayne Vermette, cela signifie clairement qu’il faut trouver de nouvelles façons de raconter, quitte à parfois aller peut-être un peu trop loin hors du récit, et son film est l’une des plus belles propositions dans ce sens.
Le bruit des moteurs de Philippe Grégoire
Trouver une nouvelle voie. Telle semble être l’ambition de Philippe Grégoire qui, avec ce premier long métrage, impose d’entrée de jeu une vision doucement surréaliste, fondée sur un humour aussi absurde que laconique. Le tout pour retracer les mésaventures improbables d’un jeune douanier condamné à retourner dans sa petite ville de banlieue où l’attendent sa mère propriétaire d’une piste de course, des policiers harcelants et une jeune pilote islandaise aux intentions aussi affirmées qu’étranges.
Cité deux fois dans le film, André Forcier est clairement le père spirituel du cinéaste. Or, si le premier tiers du film intrigue, et qu’on ne peut que louer le désir de vouloir faire du cinéma qui sort du sempiternel drame psychologique réaliste qui prédomine encore au Québec, force est d’admettre qu’il manque à ce Bruit des moteurs des perspectives thématiques plus denses qui auraient permis aux multiples saynètes qui composent le film d’éviter de tourner malgré tout à l’exercice de style. Sans être convaincu, il y a néanmoins suffisamment de désir de mise en scène chez Grégoire pour qu’on attende la suite.
Nouveau-Québec de Sarah Fortin
Troisième film, troisième récit de personnage qui retourne dans son village/ville d’origine et se pose des questions identitaires et existentielles. On aurait pu ajouter Bootlegger à cette liste. Sans même parler du nombre incalculable de films québécois obsédés par le deuil d’une figure paternelle (à ce sujet, voir d’ailleurs La contemplation du mystère dans le prochain blogue). Dans Nouveau-Québec, tout est là. À la suite du décès de son père, une jeune femme un peu triste dans la trentaine retourne avec son chum peu sympathique à Schefferville. Là-bas, elle découvrira les secrets de son père et sera confrontée à sa place dans le monde.
S’il serait vraiment intéressant de ne plus voir autant de films de « deuil/retour à la maison » dans les prochaines années, le bat blesse plus particulièrement dans ce Nouveau-Québec qui n’a trop souvent de nouveau que le titre. Filmé sans réelle inspiration dans la lignée du réalisme québécois de rigueur, porté par des personnages peu engageants (à l’importante exception faite du très beau personnage interprété par Jean-Luc Kanapé), le film peine à se distinguer comme œuvre de cinéma, d’autant plus que les enjeux dramatiques sont souvent écrits de façon un peu schématique. Néanmoins, la dureté sans concession de certains échanges est suffisamment rare pour être remarquée.
15 octobre 2021