Je m'abonne
Festivals

FNC 2021 – BLOGUE N°7

par Elijah Baron

Pour qui a la chance de profiter pleinement d’une programmation aussi riche et variée que celle du FNC, il peut finir par y avoir quelque chose de profond au fait de reconnaître si souvent, dans des films de toutes provenances, autant de thématiques communes. On pourrait certes parler de clichés (les deux derniers blogues mentionnaient l’omniprésence de certains sujets au sein du cinéma québécois), quoiqu’au niveau international, ces liens témoignent avant tout de l’universalité des expériences et besoins humains qui poussent à créer et à partager des œuvres d’art. Par exemple, nombreux sont cette année (et probablement chaque année) les films qui touchent au déracinement, aux départs forcés ou volontaires, aux retours ambivalents, au poids d’un passé et d’une Histoire difficiles à porter, tout comme à représenter à l’écran.

1970 de Tomasz Wolski

 En tant que documentaire sur un soulèvement populaire à l’ère communiste, 1970 du polonais Tomasz Wolski rappelle certainement The Event (2015) de Sergei Loznitsa ; on constate d’ailleurs que les deux cinéastes viennent tout juste de collaborer sur le montage de Babi Yar. Context. Or, le projet de Wolski ne consiste pas uniquement à nous faire vivre un moment d’Histoire aux côtés de ses participants, mais de confronter deux points de vue qui s’opposent autant qu’ils se complètent. D’une part, il y a les rues de Pologne, observées parfois clandestinement à travers des images d’archives monochromes qui reconstituent la progression implacable des événements ; de l’autre, les coulisses du pouvoir, un étrange spectacle de marionnettes qui visualise les conversations privées, enregistrées à l’époque et désormais libres d’accès, entre différents individus dont les décisions ont mené au massacre.

Le contraste surréaliste entre ces deux mondes qui s’influencent mutuellement sans réellement se rencontrer constitue l’intérêt principal de 1970. Dans le clair-obscur enfumé et solitaire des cabinets ministériels où, de coup de fil en coup de fil, un peu à la Mulholland Dr. (2001), une tragédie se met en place, on ne voit rien de la violence extérieure, qu’elle soit physique ou économique ; à l’inverse, les responsables de cette violence évitent souvent les projecteurs, n’apparaissant finalement que sur le banc des accusés symbolique que leur préparent les cinéastes de demain.

Unclenching the Fists de Kira Kovalenko

Le second long métrage de la russe Kira Kovalenko est quant à lui hanté par un traumatisme plus récent : la prise d’otages de Beslan, qui fait une multitude de morts et de blessés dans une école en 2004. Sans qu’elle ne soit explicitement identifiée, cette tragédie se trouve au cœur du mal-être d’Ada (Milana Aguzarova), qui rêve de fuir les rapports familiaux à la fois fusionnels et oppressants qui l’empêchent de s’affirmer en tant que jeune femme. Dans ce premier rôle presque muet, Aguzarova livre une performance complexe et immensément expressive ; on a rarement vu depuis Emily Watson dans Breaking the Waves (1996) des yeux aussi globuleux et émouvants.

Kovalenko est la deuxième jeune cinéaste formée par Alexandre Sokourov à se démarquer sur la scène internationale après Kantemir Balagov, dont les impressionnants Closeness (2017) et Beanpole (2019) avaient déjà été présentés au FNC. Comme Closeness, Unclenching the Fists évite les principaux centres urbains et accorde, à travers l’histoire d’une émancipation féminine, une voix à un territoire gravement sous-représenté dans le cinéma russe : l’Ossétie du Nord y apparaît douce comme une plaie qui se referme, semblable aux couleurs atypiques que revêtent les personnages, et abondante en spécificités linguistiques, culturelles et géographiques que Kovalenko souligne avec un mélange prégnant de réalisme psychologique et de sensibilité poétique.

 Compartment No. 6 de Juho Kuosmanen

C’est une tout autre Russie que fait découvrir à sa protagoniste dans Compartment No. 6 Juho Kuosmanen (voilà un nom qu’il faudra retenir absolument), un territoire inaccessible et enneigé où les rapports humains sont rares, mais susceptibles de devenir incroyablement tendres et puissants. Très loin des montagnes d’Ossétie, dans l’intimité d’un train parcourant le Nord-Ouest en direction de Mourmansk un hiver à la fin des années 1990, l’étudiante finlandaise Laura (Seidi Haarla) se lie d’une amitié improbable avec son voisin de compartiment, l’ouvrier Lyokha (Yuriy Borisov), vulgaire et buveur, avec lequel elle peine initialement à communiquer.

L’humour et le naturel de leurs interactions accordent une grande part de magie à ce film qui évite adroitement, pour le coup, les attentes associées au drame romantique. Les personnages sont attirés l’un vers l’autre par un manque partagé d’affection, mais il n’y a rien de banal à la simplicité de ce rapport ; leurs différences donnent lieu à une fragilité qui se maintient, multipliant les spontanéités, jusqu’au dernier plan. Le passé, tant historique (Laura est à la recherche de pétroglyphes, Lyokha évoque le voyage dans l’espace de Yuri Gagarine) que personnel (on ne sait rien du passé de Lyokha), ne compte peut-être pas après tout : chez Kuosmanen, une nouvelle rencontre équivaut à une réinvention.

Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh 

Le nom du premier cosmonaute russe est également invoqué par les cinéastes Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, dans une œuvre qui représente une surprenante rencontre entre les mondes ; faisant appel à une multitude de langues et de communautés, et surtout filmé dans la véritable cité Gagarine peu avant sa démolition, ce film fait constamment intervenir le réel dans le but de rendre hommage à un lieu condamné, ainsi qu’à ses anciens habitants.

Si le récit de la résistance acharnée d’un jeune homme, déterminé à conserver le passé, subjugue par son approche visuelle et thématique de la vie en banlieue, Gagarine accumule beaucoup trop de maladresses de scénario et de mise en scène pour le public adulte auquel il semble être destiné. Il mérite néanmoins d’être complimenté pour l’utilisation brève mais formidable de Denis Lavant, et pour son ambition de créer un rapprochement entre l’histoire isolée d’une cité résidentielle de la banlieue parisienne et une histoire globale de l’humanité, avec les espoirs universels qui s’y rattachent.


21 octobre 2021