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Festivals

FNC 2021 – Blogue n°2

par Céline Gobert

La psyché de Jane Campion

Vous pensez : « Elle a réussi! » (« She made it! »)

Moi je pense : « Je suis une imposteure » (« Such a pretender »).

C’est en ces termes que Jane Campion a débuté le jeudi 7 octobre sa leçon de cinéma devant un public montréalais conquis et attentif. Pendant un peu plus d’une heure, la réalisatrice néo-zélandaise de 67 ans s’est dévoilée comme une cinéphile perfectionniste, pleine d’humilité et de doutes, avant tout passionnée par ce qui se connecte « à la psyché ».

« I work with my psyche », « the way they connected to psyche », « the deep roots of psyche » : les meilleures décisions qu’elle a prises, au travail ou ailleurs, étaient plus instinctives qu’intellectuelles, affirme Campion. Ceux et celles qui connaissent bien sa filmographie ne seront pas surpris d’une telle affirmation. De la jeune femme dans Sweetie qui choisit son mari en fonction des révélations du marc de café (le fameux point d’interrogation sur le visage) au pouvoir de la poésie (In the Cut), des rêves (Top of the Lake) et des superstitions (An Angel at My Table), les personnages chez Campion ne suivent que leurs passions salvatrices (l’écriture, les désirs de liberté) et/ou leurs élans destructeurs intérieurs (Holy Smoke, The Piano). De la même façon, Campion n’a écouté qu’une voix : celle du désir fou de création, cette « obsession » de devenir une cinéaste qui a guidé tous ses choix de vie, qui l’a sans cesse fait douter de son talent, l’a tiraillée de mille angoisses. Même lorsqu’enfin sélectionnée et récompensée à Cannes en 1982 pour le court métrage An Exercise in Discipline – Peel, elle finit sur un lit d’hôpital, aux soins intensifs, aux prises avec un asthme dû à l’anxiété. On sent que Campion partage la fougue et la souffrance des héroïnes qu’elle aime filmer : l’atypique Sweetie, l’écrivaine Janet Frame, la pianiste Ada, l’idéaliste Isabel Archer. Ce qui l’a sauvée ? « Plus d’inspiration que de peur », répond la réalisatrice, la peur étant l’ennemi ultime du créateur selon elle. Deux gouttes de peur de trop peuvent tuer une carrière naissante.

Jane Campion au FNC 2021 – Crédit photo Maryse Boyce (idem pour la photo d’ouverture)

Bien sûr, la cinéaste de 67 ans est aussi revenue sur le female gaze et la rareté des réalisatrices de cinéma avant l’ère #MeToo. Mais encore une fois, elle insiste : son féminisme fut moins un travail délibéré qu’un geste de l’intuition, une impulsion encore débouchant sur une vérité d’une simplicité désarmante : elle a toujours écouté son ressenti. Maintenant que davantage de femmes prennent leur caméra, Campion s’est sentie plus libre d’aborder des personnages masculins dans The Power of the Dog, son premier film Netflix (Lion d’argent pour la meilleure réalisation à Venise). Là encore, Campion a suivi son instinct. Comme pour ses autres films, elle a répété avec ses acteurs trois semaines en amont du tournage afin qu’ils développent ce qu’elle appelle une « mémoire du corps ». Elle a notamment fait appel à un chorégraphe pour que Benedict Cumberbatch et Jesse Plemmons apprennent à exprimer physiquement la dynamique de domination qui régit leur relation fraternelle. Ni en mots ni en pensée mais fidèle à « l’esprit Jane Campion », c’est-à-dire à un langage instinctif : celui du corps et des tripes.

Wheel of Fortune and Fantasy de Ryusuke Hamaguchi

Pour le Japonais Ryusuke Hamaguchi, l’art sous toutes ses formes (littéraire, cinématographique, théâtral, etc.) est tout également relié à l’invisible, même si, pour sa part, il fait la part belle aux mots. Non seulement l’art possède un pouvoir quasi surnaturel, mais il permet tout : guérir, séduire, dire ce qui n’a pu être dit, vivre ce qui n’a pu être vécu. Du moins, c’est ce vers quoi pointent ses deux dernières œuvres : Drive My Car (vu au TIFF) et ce plus léger Wheel of Fortune and Fantasy, Ours d’argent à la plus récente Berlinale, projeté au FNC ce dimanche et en ligne. Ça parle, ça parle, ça parle tellement ici qu’on se croirait chez Rohmer ou chez le Sud-coréen Hong Sang-soo à qui il emprunte la méthode épurée en matière de cadrage, de narration, et même de zoom ! Seuls les mots – stimulateurs de l’imagination, sources d’affrontements – sont ici le moteur de l’action.

En trois temps et trois histoires (qui ne sont pas reliées), Wheel of Fortune and Fantasy fait du désordre amoureux et de la rencontre avec l’autre les enjeux d’un film qui rappelle les longues séquences de son excellent Happy Hour ; séquences exquises par ce qu’elles dévoilent des désirs féminins. Ainsi, dans le premier épisode de quelque 35 minutes, petit théâtre du ressentiment et de l’amour trahi, deux ex-amants croient raviver brièvement les braises d’une relation perdue. Dans le second épisode (le plus long), la prose érotique d’un écrivain prend une tout autre allure dans la bouche de celle qui la lit. Dans le dernier, enfin, l’amour se conjugue au passé et au féminin. Encore une fois, dans un même segment, quelque chose surgit et disparaît aussitôt, évanescent, décevant (encore un point commun avec Hong Sang-soo). Ils en ont du pouvoir, les mots, chez Hamaguchi : ils émoustillent les sens, réparent le passé, interrogent et forment la vie-même, et, sous le couvert de l’anodin, semblent contenir tous les secrets de l’univers.

In the Mirror de Laila Pakalnina

Enfin, mentionnons l’intéressant In the Mirror de l’artiste lettonne Laila Pakalnina sélectionné en Compétition Internationale. Dans la myriade d’œuvres plus ou moins radicales dans leurs expérimentations formelles cette année (et plus ou moins intéressantes), l’identité forte de In the Mirror frappe tout de suite l’œil. Si Pakalnina y retravaille à la sauce contemporaine le récit de Blanche-Neige, c’est surtout le procédé filmique qu’elle emploie qui retient l’attention – ce qui n’a rien d’étonnant pour un film dont les personnages sont absolument tous dominés par leur quête perpétuelle d’attention. Ainsi, les acteurs et actrices se filment eux-mêmes et tiennent la caméra dans leur main, tournée vers eux comme s’il s’agissait d’un miroir dans lequel ils se contemplent. Parfois, ils se battent pour avoir l’attention, notre attention – « Hey! Filme-moi aussi! » peut-on ainsi entendre.

Évidemment, impossible de manquer les échos au narcissisme en vigueur sur nos médias sociaux, ainsi qu’à notre société de performance – d’ailleurs l’action se déroule en grande partie dans un centre d’entraînement sportif où l’on compte son nombre de pompes de façon obsessive. Quand on sait que Pakalnina est une journaliste télévisuelle de formation, on comprend pourquoi la charge contre notre société de représentation narcissique est aussi forte et à peine voilée. À l’écran, elle met de l’avant l’acteur qui se filme et l’acteur qui se regarde, qui plus est conscient de notre regard de spectateur à nous, faisant de cette mise en abyme (de cette mise en scène) de la contemplation un spectacle de l’absurdité ; spectacle qui n’a rien à envier à l’artificialité de nos réseaux sociaux sur lesquels chacun se contemple et contemple l’autre, dans un jeu de représentation des sois codifié, obéissant à des exigences de performance variées.

En s’appuyant sur des transitions et circonvolutions de caméra étonnantes ainsi qu’un travail sonore pensé, In the Mirror crée rapidement son propre mouvement interne, son propre rythme fascinant où les personnages se battent pour rester sur le devant de l’objectif (en fait, le devant de la scène). Pour qu’ils existent, il faut bien qu’on les regarde.

 

The Power of the Dog sera projeté au Cinéma du Musée le jeudi 14 octobre à 20h10.

Wheel of Fortune and Fantasy est à savourer dimanche 10 octobre à 15h30 au Cinéma du musée, ou en ligne.

In the Mirror est à découvrir dimanche 10 octobre 20h30 au Cinéma du Parc, ou en ligne.


9 octobre 2021