FNC 2014 : c’est parti!
par Céline Gobert
1- Le Port de l’Angoisse d’Howard Hawks
« Anybody got a match ? ». La réplique est mythique et a révélé au monde entier le beau timbre de voix rauque et le regard si particulier de Lauren Bacall. Soyons clairs : il n’y a pas de meilleure façon pour vous d’entrer dans cette édition du Festival du Nouveau Cinéma que de le faire en compagnie du couple-star que formaient Humphrey Bogart et Lauren Bacall. Afin de rendre hommage à l’actrice, décédée en août dernier, le FNC projette Le Port de l’Angoisse d’Howard Hawks, ce jeudi à 13H – classique hollywoodien de 1944 qui a immortalisé la rencontre et l’amour entre ceux que l’on surnommait « Bogey » et « The Look ». Adaptée d’un roman d’Hemingway et scénarisée par Faulkner, l’intrigue du film passe complètement au second plan pour ne laisser la place qu’au jeu de séduction entre les deux acteurs (ainsi qu’au nombre incalculable de cigarettes qu’ils fument!). Leur couple introduit à merveille deux des thématiques phares des deux prochains jours : le couple et la passion.
2 – Je suis à toi de David Lambert
En effet, ce jeudi à 19H, le duo homosexuel de Je suis à toi, film belge de David Lambert (Hors les murs) viendra intensément ouvrir la section FOCUS. Entre Henri, boulanger obèse interprété par Jean-Michel Balthazar et Lucas le jeune apprenti qu’il a fait venir d’Argentine (Nahuel Pérez Biscayart), il n’est d’abord question que d’un échange de bons procédés : Lucas y gagne un boulot, Henri y gagne du sexe et de la compagnie. Rapidement, Audrey (interprétée par Monia Chokri) s’immisce entre les deux hommes pour ouvrir un surprenant triangle amoureux, plein de pudeur même si souvent très cru ; cruel aussi (dans ce qu’il dit du monde, d’internet et de la société de consommation), mais étrangement très tendre. David Lambert s’écarte des clichés de la romance gay pour se concentrer sur autre chose : la dynamique des sentiments entre trois personnages abîmés par l’existence. Ces derniers, évoluant d’abord dans le cadre volontairement limité qu’impose le cinéaste, s’éloignent rapidement de l’idée que l’on se fait d’eux. Grâce au chemin parcouru et à leurs nuances respectives, ils font alors respirer et s’illuminer une œuvre qui, sans cela, nous aurait écrasé de trop de sordide.
3 – L’Institutrice de Nadav Lapid
Couple (atypique) encore dans l’israélien L’Institutrice (présenté vendredi soir) entre une maîtresse d’école … et son élève de 5 ans. Derrière une histoire qui n’a a priori aucun rapport avec l’économie libérale (au contraire il s’agit de poésie!), L’Institutrice, à l’instar de Je suis à toi, critique aussi une société de profit et de consommation. En se passionnant pour un petit poète de cour d’école, la jeune maîtresse combat in fine la déculturation des esprits et une logique libérale générale qui détruit la beauté et les mots. Filmé en steadycam, le film trouve toutefois rapidement ses limites dans une mise en scène gadget qui ne sert pas vraiment le propos (si ce n’est de façon un peu trop simpliste) : gros plans rapprochés pour signifier la bulle dans laquelle s’enferme la jeune femme (et se coupe du monde, des réalités et du regard d’autrui) ou encore amples mouvements de caméra pour épouser le lyrisme verbal du môme. Certains effets de style sont discutables, comme lorsque les acteurs se cognent à l’objectif, voire franchement limites et/ou pas assez approfondis (le parallèle entre la nudité du mari, puis du gamin sous la douche…).. Résultat : on ne voit plus que la caméra de Nadav Lapid qui se perd constamment dans l’intention sans afficher de lignes directrices fortes.
4 – A Street in Palermo d’Emma Dante
Dans la même section (Panorama), on trouve également la légère (mais amusante) comédie italienne A Street in Palermo d’Emma Dante, qui en dit beaucoup sur la Sicile – et l’Europe en général- écartelée entre ses vieux (conservateurs) et sa jeunesse (progressiste). Les deux, respectivement symbolisés par une vieille dame et un couple lesbien, s’affrontent dans une ruelle de Palerme, piégés dans des voitures qu’ils se refusent obstinément à déplacer. Le film est projeté jeudi à 15H30.
5 – Tokyo Tribe de Sono Sion
Pour du bizarre plus honnête et mieux assumé, on vous conseille plutôt d’aller faire un tour du côté de la plus alléchante des sections, la Temps Ø, qui s’ouvre jeudi soir, à l’Université Concordia, avec du lourd : Tokyo Tribe, nouveau délire du japonais (et poète!) Sono Sion (The Land of Hope) en forme de rap-opéra gangsta’. Why don’t you play in hell ?, du même réalisateur, avait d’ailleurs remporté le Prix du public Temps Ø au FNC 2013. Nous serons au rendez-vous pour suivre l’un des réalisateurs nippons les plus romantico-punks de notre époque !
6 – Réalité de Quentin Dupieux
Bizarrerie également, voire même philosophie de l’absurde, pour Réalité de Quentin Dupieux que l’on avait rencontré l’an passé pour son foufou et (faussement) idiot Wrong Cops. Cette fois, accompagné de l’acteur français Alain Chabat dans le rôle principal, il critique en substance la même chose que Lapid dans L’institutrice : la bêtise grandissante d’esprits sans culture, nourris à la toute-puissante TV. Doublé d’une pique acerbe contre un certain cinéma d’auteur qui s’écoute penser et se regarde filmer, ainsi que contre ses amateurs (du producteur au critique ciné), Réalité (projeté vendredi à 21H) interroge et remet en cause notre rapport d’humains et de spectateurs à la fiction. Mieux : par sa prolifération de mises en abyme (et de récits dans le récit … du récit!), il annihile à la fois toute réalité, et toute fiction. Avec une esthétique moins série Z que dans Wrong Cops, Dupieux n’a de cesse de poursuivre une même intention : l’exhortation à penser par soi-même.
Que ce soit pour l’un ou pour l’autre des films précités, suivons donc son bon conseil et rendez-vous dans les salles du festival !
Retrouvez ici-même tous les deux jours les conseils et suggestions de l’équipe de revue24images.com!
Tous les détails sur le festival: https://www.nouveaucinema.ca/
8 octobre 2014