FNC 2014 – Des choix déchirants pour les 11 et 12 octobre
par Gilles Marsolais
Les événements et les films à voir se bousculent au FNC les deux prochains jours.
1 – Boychoir de François Girard
Ce samedi 11, François Girard reçoit une Louve d’honneur lors de la projection de son nouveau film, Boychoir. Après 32 films brefs sur Glenn Gould (1993), auréolé de quatre prix Génie, et Le violon rouge (1998), qui a connu un succès international en plus de remporter l’Oscar de la meilleure musique originale, le cinéphile sera curieux de découvrir le nouvel opus du cinéaste qui s’implique autant au théâtre que du côté de l’opéra. Centré sur la rédemption par le chant choral d’un jeune garçon défavorisé par la vie, ce film est sans fausse note, et il évite le mélodrame surligné. Manifestement, Dustin Hoffman connaît la musique et le jeune Garrett Wareing impose sa présence. Mais ce film de mélomane est calibré pour édifier le spectateur américain et on y cherche en vain la trace d’un « nouveau cinéma », ainsi que la signature d’un cinéaste.
2 – Fires on the Plain de Shinya Tsukamoto
Au plan international, le cinéaste japonais Shinya Tsukamoto (Tetsuo : The Iron Man, 1988; Kotoko, 2011) aura droit au même traitement à l’occasion de la projection de son dernier long métrage, Fires on the Plain. Attendu fébrilement par ses fans, ce remake iconoclaste du film de Ken Ichikawa, sur la retraite de l’armée impériale japonaise des Philippines durant la Deuxième guerre mondiale, impose une vision cauchemardesque de la guerre, tout en proposant une expérience sensorielle qui se veut hors norme. Mais il risque fort de décontenancer les cinéphiles non familiers avec le style propre au Festival Fantasia comme l’est ce film. D’après Nobi, l’œuvre littéraire de Shohei Ooka, cette nouvelle mouture filmique est centrée plus précisément sur le massacre systématique d’un bataillon nippon. Lors d’une séquence décisive, la caméra affolée se fraye un chemin dans la végétation rougeoyante, parmi les soldats encore debout atrocement défigurés ou qui se vident de leurs liquides comme des fontaines, n’ayant plus rien d’humain, ou encore elle rampe parmi les corps dépecés et des membres détachés rebondissant sur le sol, au son d’une musique assourdissante. Par un effet de contraste saisissant, celle-ci finit par imposer le silence alors que la caméra se recentre sur les rares survivants hagards, des morts-vivants. C’est dire que le film n’offre aucun répit au spectateur. Par ailleurs, au plan du contenu, Shinya Tsukamoto souligne les rapports de domination brutale et de totale soumission qui existaient au sein de cette armée impériale, en osant même illustrer à l’écran le renversement final de ce « droit divin » : l’exécution d’un gradé par l’un de ses subordonnés. Aussi, et surtout, il aborde d’une façon explicite, on ne peut plus concrète, la délicate question du cannibalisme, pour des questions de survie, qui aurait été répertoriée à quelques reprises au sein de cette armée au cours de cette sale guerre. En conséquence, Fires on the Plain ne peut que susciter des opinions diamétralement opposées. Mais réussit-il pour autant à approfondir la réflexion sur l’état de barbarie dans lequel notre monde bascule ? Pas sûr ! Pour en discuter, il faut déjà le voir. Âmes sensibles, s’abstenir.
3 – Mange tes morts de Jean-Charles Hue
Le lien n’est pas voulu, mais on lui préférera peut-être Mange tes morts de Jean-Charles Hue, inscrit dans la Compétition internationale et déjà lauréat du Prix Jean-Vigo 2014. On y retrouve, sur le même mode fictionnel lorgnant vers le documentaire, les mêmes personnages/acteurs non-professionnels que dans son film précédent (La BM du Seigneur, 2011), des Yéniches, des « gens du voyage » blonds aux yeux bleus vaguement apparentés aux Gitans, mais plus ou moins sédentarisés, formant ici une petite communauté Born Again. Filmé en plans-séquences nerveux, le film se concentre sur le choix décisif que doit faire le jeune Jason à un tournant de sa vie, tiraillé entre le goût du risque, incarnant l’appel de la liberté relancé par son demi-frère Fred fraîchement sorti de prison, et la voie de la sagesse incarnée par son cousin Moîse. On a affaire à un cinéma physique, musclé, qui ne cherche pas à rajuster son image en accompagnant ses personnages dans leur recherche effrénée de leur propre vérité. Le scénario est bancal par moments, et la réalisation néglige même certains personnages en cours de route, mais néanmoins il se dégage de l’ensemble un feeling efficace, couplé à un sentiment d’étrangeté.
4 – Spartacus et Cassandra de Ioanis Nuguet
Mais il faut plutôt se rabattre sur Spartacus et Cassandra de Ioanis Nuguet pour mieux connaître la réalité des Roms. Ce documentaire bouleversant nous la donne à vivre du point de vue des deux jeunes adolescents du titre, en effectuant un véritable travail dans la durée. Ces enfants murissent, évoluent spirituellement et vieillissent littéralement devant nous, grâce à la parfaite intégration du dispositif technique de réalisation et de prise de vues. Incontournable, pour sa façon d’illustrer les choix déchirants devant lesquels sont placés les « gens du voyage » et nombre d’immigrants.
5 – Cavalo Dinheiro de Pedro Costa
Plusieurs autres films sont à l’affiche aujourd’hui et demain, les 11 et 12, pour satisfaire les goûts les plus variés. Certains ne voudront pas rater Cavalo Dinheiro, programmé dimanche, qui a obtenu le Prix de la mise en scène à Locarno. Dans ce film évoquant inévitablement son quartier de prédilection de Lisbonne (Fontainhas), Pedro Costa propose en quelque sorte une relecture de l’histoire officielle au moyen d’une recherche formelle élaborée qui, en misant notamment sur le clair-obscur, vise à mettre en valeur la trajectoire particulière des laissés-pour-compte originaires du Cap-Vert. Les époques et les souvenirs, combinés à un profond sentiment d’inutilité, se confondent à l’heure des bilans et des adieux. Incidemment, dans la foulée de cette projection, le cinéaste profite de son bref passage à Montréal (du 12 au 14) pour y donner aussi une classe de maître.
6 – Baal de Volker Schlöndorff
À rattraper : Baal de Volker Schlöndorff. Un téléfilm récemment restauré qui n’avait eu droit qu’à une seule diffusion en avril 1970. S’inspirant de la toute première pièce de théâtre de Brecht et réunissant devant la caméra le jeune Rainer Werner Fassbinder, Margarethe von Trotta et Hanna Schygulla (rien de moins!), cet objet rare devient un précieux témoignage de l’Âge d’or du Nouveau cinéma allemand (post 1965) et des valeurs qu’il véhiculait à travers même ses excès et ses débordements anarchistes.
7 – Refugiado de Diego Lerman
À ne pas rater non plus, Refugiado. Diego Lerman s’y intéresse aux répercussions de la violence faite aux femmes chez un enfant de huit ans qui en est le témoin et la victime. Pris avec sa mère dans l’engrenage d’une fuite désespérée pour échapper à un père et mari violent et coriace, cet enfant, Matias, y perdra progressivement son innocence, et plus encore. Le spectateur risque fort de ne pas sortir indemne de cette projection.
Pour finir l’une de ces deux journées en beauté, du côté du FNC Lab, je me laisserais tenter par Superposition, la performance attendue de Ryoji Ikeda, compositeur de musique électronique et artiste visuel japonais, présentée par le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC), qui propose une « expérience sensorielle unique » saluée par la critique internationale. Une performance qui débute ici sa tournée nord-américaine.
10 octobre 2014