FNC 2015 : Femmes, démons et prisons
par Céline Gobert
Sans ordre de préférence, voici nos conseils pour les films projetés du 13 au 16 octobre prochain :
Les Démons de Philippe Lesage : Haneke est venu poser ses valises à Longueuil. C’est la meilleure façon de décrire ce nouveau film du réalisateur du documentaire Ce coeur qui bat (Prix de la Cinémathèque québécoise pour la meilleure œuvre québécoise-canadienne, Prix du meilleur espoir Québec-Canada par l’ONF en 2010). Avec le cinéaste autrichien (Benny’s video, Le Ruban Blanc), Lesage partage un même désir de fouiller les faces sombres de l’enfance. Plus généralement, Les Démons partage avec le cinéma autrichien une méchanceté implacable : on pense aux monstres de Goodnight Mommy de Veronika Franz ou encore à la trilogie d’Ulrich Seidl.
Lesage adopte également des angles de vue dérangeants (par exemple, le Mal chez l’enfant et le Bien dans la figure du pédophile), qui rappellent l’oeuvre acérée et trash d’un Todd Solondz (encore un méchant). L’histoire – celle d’un enfant en proie aussi bien à des démons intérieurs que confronté aux dangers que présente le monde des adultes – se déroule dans un climat de crise émotive et sociale qui vient rapidement mettre les nerfs du spectateurs à vif: sida, homosexualité, parents qui se déchirent, ou se trompent.
Le plus intéressant est l’intérêt que porte le documentariste aux mouvements des corps, à l’énergie qu’ils dégagent, ensemble; des corps comme des moteurs, destructeurs, formant des ballets absurdes ou menaçants. Rapidement, il transforme la moindre séquence inoffensive (une baignade entre ados, un cours de sport) en prémisse de film d’horreur. Au-dessus de la mêlée des films québécois sortis tout récemment, le film, tenace, marque durablement l’esprit. À découvrir le mardi 13 octobre à 18h30.
Everything will be fine de Wim Wenders : Avec la mort accidentelle d’un petit garçon en point de départ, le film de Wim Wenders, tourné entre autres au coeur de l’hiver québécois, est peut-être moins explicitement un film de fantômes que l’est le Journey to the shore de Kiyoshi Kurosawa mais il n’en demeure pas moins une oeuvre entêtante sur la perte et le deuil. Par des reflets, des ellipses couvrant une douzaine d’années, de lents travellings et autres profondeurs de champ (en 3D), Wenders évoque les morts autour des vivants, un thème sombre et mélancolique qui l’obsédait déjà dans Les Ailes du désir en 1987.
Malgré l’interprétation lourdaude d’un James Franco en roue libre, qui ne laisse jamais son corps aller (et même si cela sied au personnage cérébral de l’écrivain qu’il interprète), Wenders fait preuve d’une telle empathie pour ses personnages que pointe, doucement, une atmosphère suffisamment languide et élégiaque pour se révéler séduisante. À découvrir en 3D vendredi 16 octobre à 20h. En prime, vous y croiserez Oka, Montréal, Patrick Watson, Marie-Josée Croze, et, au loin lors d’une scène de promenade, notre bien reconnaissable stade olympique !
L’Ombre des femmes de Philippe Garrel : Les deux Garrel, père et fils, seront projetés cette semaine. Le père, avec son histoire de triangle amoureux fauché dans un Paris en noir et blanc, fait du cinéma à l’ancienne et livre un joyau, semblant tout droit sorti des années 60-70. L’excellence de son cinéma semble se définir dans tout ce que L’Ombre des femmes évite de faire, et a la bon goût d’être : cérébral mais jamais intello, bouleversant mais jamais complaisant, toujours politique, à l’écoute, éminemment de son temps (malgré ses allures de ciné d’antan). Le cinéma de Garrel père se savoure, mais ne se consomme pas, pose un regard d’une grande acuité sur la dynamique féminin/masculin, dénué de tout manichéisme. Il s’agit d’un autre bijou en noir et blanc après les récents La Jalousie et La frontière de l’aube. Dans ce format, il semble à son meilleur: touchant à l’essentiel, parvenant à une forme de pureté dans l’élagage et dans le discours. Le film est diffusé le vendredi 16 à 15h15 ainsi que le samedi 17 à 19h10.
Les deux amis de Louis Garrel : Garrel fils filme également un triangle amoureux dans lequel il interprète un Abel paumé dans la capitale française et dont l’amitié avec Clément (Vincent Macaigne, devenu l’interprète idéal pour tous les personnages de garçons romantiques borderline du cinéma français !) est mise à mal en raison de leur rencontre avec la belle Mona (Golshifteh Farahani), mystérieuse jeune femme qui purge une peine de prison. Inspiré par la pièce de théâtre Les Caprices de Marianne d’Alfred de Musset, Louis Garrel ose un film à la mélancolie joyeuse.
Tour à tour touchant, libre, le film aborde avec tendresse et cruauté les fragiles amitiés masculines et analyse, à l’instar de Garrel père, les forces de domination et de compétition en jeu dans toute relation sentimentale, qu’il s’agisse d’amitié ou d’amour. Formellement, Les deux amis reste léger et insaisissable et, comme ses héros, il n’entre dans aucune case. Vif comme un enfant mais incroyablement mature dans sa description d’une solitude humaine écrasante, le film affirme la même chose que L’Ombre des femmes : l’existence n’a pas de sens si on la vit seul, exclu du groupe, et chacun de son côté. Le film sera diffusé le mardi 13 octobre à 16h ainsi que le vendredi 16 octobre à 19h.
À surveiller également :
Le québécois Endorphine de André Turpin (Un crabe dans la tête) qui sera projeté le jeudi 15 octobre à 19h30 dans le cadre d’une soirée « hypnotique » et suivi d’une soirée avec DJ à l’Agora Hydro-Québec de l’UQAM. Tout comme Les Démons de Lesage, il s’essaie à la catégorie Compétition Internationale après un passage à Toronto.
Enfin, Room de Lenny Abrahamson (Frank, What Richard did) revient lui aussi du TIFF, auréolé par le Prix du Public. On vous en reparlera à sa sortie en novembre mais sachez d’ores et déjà qu’il s’agit d’une adaptation émotionnellement très intense du non moins intense best-seller d’Emma Donoghue racontant la survie d’une mère et de son fils, retenus à leur insu dans une petite pièce exiguë. À voir le mardi 13 octobre à 13h30.
13 octobre 2015